Chapitre 6 : Cheyenne

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Ça fait un moment que plus personne n'est venu. Ni pour moi, ni pour lui.

J'ai presque fini de déloger ma dixième brique. Déjà.
Ce n'est pas normal. Quelqu'un aurait déjà du venir m'apporter à manger.

Et je commence à avoir très faim.

Par pitié, faites qu'ils ne nous aient pas abandonné ici.

Jordan ne m'a pas encore parlé aujourd'hui. Ça m'inquiète. J'ai peur qu'il soit mort.

- Jordan !

Pas de réponse.

C'est un risque à courir, mais tant pis. J'ai besoin de savoir si il va bien. Enfin si on peut dire.
Je me place devant le mur. Si tout va bien, il ne devrait pas résister.
Je plie les jambes et lance mes pieds joints dans les briques autour desquelles j'ai creusé.
Une fois. Les briques n'ont pas bougé.
Deux fois. Je sens que ça tremble sous mes pieds.
Trois fois. J'y vais de toutes mes forces. Le morceau de mur s'effondre.

Je me relève et tire mon matelas. C'est dans ce coin de la pièce que j'ai caché mes desserts et de l'eau. J'ai une dizaine de barres chocolatées et trois petites bouteilles d'eau récupérées sur mes plateaux repas.
Je les fais passer par le trou dans le mur avant de m'y glisser à mon tour.

Merde, c'était vraiment très juste. Mes pauvres hanches ont bien failli rester coincées entre les briques.

Quand je me relève, je vois la silhouette suspendue de Jordan. L'odeur dans cette pièce est horrible et je dois me retenir pour ne pas vomir.

Je me précipité vers lui, crie son nom, essaie de le secouer. Rien n'y fait.
Je pose ma main sur sa joue. Il n'est pas froid, donc il est vivant.

Il ne va pas apprécier ce que je me prépare à faire, mais je n'ai pas le choix. Je dois absolument lui faire reprendre connaissance.

J'inspire un grand coup et lui met la plus grande claque de toute mon existence.

Il grogne.

- Jordan ?

Il ouvre enfin les yeux. Très lentement, mais il les ouvre.

- J'ai rêvé ou tu viens de me gifler ?

Sa voix est faible. Éteinte.

- Je n'avais pas le choix, tu étais inconscient. Je t'ai fait mal ?
- Tu plaisantes ? Tu frappes comme une fille.

C'est peut-être parce que je suis une fille, connard.
Bien décidée à ne pas laisser passer cette insulte, qui, soit dit en passant, n'a pas de sens, je lui colle un crochet du droit.
L'effet ne se fait pas attendre. Il se dresse autant que ses entraves le permettent.

- Non, mais t'es folle !
- Au moins, t'es bien réveillé maintenant. Tu penses pouvoir tenir debout le temps que je détache tes sangles ?
- Ouais.

Je libère d'abord son bras droit. Il titube un moment avant de se stabiliser. Je m'attaque alors à l'autre.

Il est enfin libre. Je l'aide à avancer jusqu'au mur pour qu'il puisse s'y adosser et il se laisse glisser sur le sol.

- Tiens, mange ça. Ce n'est pas grand chose, mais c'est tout ce qu'on a. Je les ai récupérés sur mes plateaux repas.
- T'es une vraie fourmi, toi.
- Tais-toi et mange.
- À vos ordres, m'dame.

Je ris. Je ne sais pas comment, mais oui, j'arrive à rire malgré la situation.
Jordan mange la barre de chocolat comme si sa vie en dépendait.

- Putain, ça fait du bien. Bon, je peux savoir ce que tu fais de mon côté du mur que tu n'as pas creusé ?

Un point pour lui. Je m'installe à côté de lui et lui tend une bouteille, lui conseillant de ne pas boire trop vite.

- Ça fait un moment que plus personne ne vient. Je crois qu'ils nous ont abandonné ici. Du coup, comme tu ne répondais pas, j'ai décidé de venir. Et j'ai bien fait.

Il ne dit rien. Et je lui laisse le temps de digérer l'information. Ça ne doit pas être évident de se retrouver une nouvelle fois dans cet enfer.

- On va sortir d'ici. Je te le garantis.
- Je sais. Tes frères vont venir. Je ne les connais pas, mais j'ai envie de te faire confiance.

Je pose doucement ma tête sur son épaule. Ça fait si longtemps que je suis seule. J'ai besoin de ce contact.
Il prend ma main dans la sienne. Lui aussi a besoin de ça.

On dit toujours qu'à deux on est plus forts. C'est on ne peut plus vrai dans notre cas. Nous avons besoin l'un de l'autre pour tenir le coup.

- On se fait vraiment chier, pas vrai.

Il n'a pas tort. Ce silence de mort me plombe le moral. On entend même plus les filles pleurer.

- A comme abricot.
- Quoi ?
- On s'ennuie, autant jouer. Allez à toi. Un aliment par B.
- Je sais pas moi, un burger.
- Pourquoi pas. C comme carotte.
- Sérieux, tu vas me balancer tout les fruits et légumes que tu connais.
- J'aime bien les fruits et les légumes. Et toi ? Je parie que tu n'es pas capable de m'en citer un seul.
- Et toi de citer autre chose. D comme datte.
- Je suis impressionnée. E comme escalope.
- Peut mieux faire. F comme fraise.
- Ok, qu'est-ce que tu dis de ça ? G comme glace.
- Quel goût ?
- Vanille-citron. Et toi ?
- Chocolat-banane.

Nous jouons ainsi jusqu'à la fin de l'alphabet. Le silence retombe alors. Lourd. Angoissant.

- Tu viens de quelle tribu ?
- Les Utes du Sud.
- Et tu t'appelles Cheyenne ? C'est un peu bizarre, non ?
- Une lubie de mon père. Il a un humour très particulier.
- Je vois ça. Tu connais Canalla, alors ?
- Évidemment, c'est mon petit frère.
- Attends ! Ça veut dire que tu es la fille du chef Ouray ?
- Oui. Comment tu connais mon frère ?
- Il est prospect chez les Eagles.

J'en reviens pas. Il a enfin réussi à convaincre notre père. C'était son rêve depuis tout petit. Je suis tellement heureuse pour lui.

- Merci de l'avoir pris. C'était son vœu le plus cher.
- C'est Kill qu'il faut remercier. Moi je n'y suis pour rien.

Mais Kill n'est pas là. Pas encore.

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Devil's Eagles T2 : Les ailes du désespoir Où les histoires vivent. Découvrez maintenant