Chapitre 14 : Snake

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Je connais le poste de police comme ma poche, la salle d'interrogatoire aussi.
J'en ai passé des heures dans cette pièce, sauf que j'étais assis de l'autre côté de la table.
Ça fait un quart d'heure que je glande. Eux qui étaient si pressés de nous embarquer, ils prennent tout leur temps à présent.
Ils ont l'air d'avoir oublié que mon frère est flic. Que j'ai été flic.

Je connais toutes leurs techniques d'interrogatoire sur le bout des doigts.
Celle-ci consiste à nous faire attendre pour faire monter la pression.
Et si ils ont besoin de faire monter la pression, c'est qu'ils n'ont aucun élément à charge. Si c'était le cas, ils seraient déjà en train d'essayer de me faire avouer.
Tout est toujours plus simple avec des aveux.

La porte s'ouvre sur le flic de tout à l'heure. Celui qui tire une gueule de dix pieds de long.

Il s'assied et jette un œil à son dossier sans m'adresser la parole.

Je sais qu'il n'y a rien dans ce dossier hormis les photos de la scène de crime et peut-être même l'un ou l'autre vague témoignage.

Je l'entend déjà me dire que des témoins ont vu un homme de ma taille vétu de noir qui décampait sur une moto.
En gros, rien de solide.

Le connard lève enfin les yeux et me balance une photo de la scène de crime sous le nez.

- Et ben, dis-je en prenant l'air surpris. Celui qui a fait ça devait vachement le détester.
- Arrête ta comédie, Parker. Des témoins t'ont vu quitter les lieux.

Ben voyons. Et même si c'était vrai, ils n'aurait pas pu m'identifier avec ma cagoule.

- Impossible. Je n'y étais pas.
- Et tu étais où ?
- Je peux pas vous dire, je sais pas quand il est mort.
- Ton emploi du temps de la journée !

Ok, j'avoue, il est rusé. Mais moi aussi.

- Alors ma femme et moi, on s'est levé tard, vers 10h. On était crevé d'avoir baisé toute la nuit. En même temps, son costume d'Indienne, mmmh. Vous l'avez vue en venant nous chercher ? Une vraie Pocahontas. Bref, on a passé la journée à baiser comme des lapins. On a quitté l'hôtel vers 16h30 pour aller dîner chez ma mère. Elle nous a préparé son fameux gratin aux choux de Milan. Une tuerie, sans mauvais jeu de mots. On était tous en train de regarder l'album de famille quand vous et votre collègue êtes arrivés.

Il n'a pas l'air satisfait. Il continue de prendre des notes, la mâchoire crispée comme pas deux. J'ai envie de le faire chier.

- Vous savez, si vous n'avez pas eu le temps de tout noter, il y une caméra dans cette pièce qui a tout enregistré.

Il se lève et sort de la salle. Je me demande s'il a compris qu'il n'a aucune chance avec moi.
Il revient avec un dossier long comme le bras.

- Tu sais ce qu'il y a là-dedans ? C'est ton dossier, connard.
- Je crois pas. Je pense que c'est un dossier de plaintes que j'ai déposé contre Reese. Personnellement, je n'ai aucun casier judiciaire. Vous pouvez vérifier. Je suis un honnête citoyen de l'état du Colorado.
- Tu le détestais et tu as décidé de te venger.
- Après cinq ans ? Sérieux ?
- Et pourquoi pas ?
- C'est ridicule. Soyons clairs, vous avez un mobile, j'ai un alibi. Vous prétendez avoir des témoins, ce dont je doute fortement vu vos questions hasardeuses. Vous n'avez pas non plus de preuves et encore moins l'arme du crime, auquel cas vous auriez déjà pris mes empreintes. Vous n'avez rien du tout contre moi. Vous perdez votre temps. Et vous me faites perdre le mien.

Il ne répond pas et se dirige vers la porte.

- Encore une chose. Mon avocat ne devrait plus tarder. Quand il sera là, soyez gentil de me l'envoyer.

Il sort en claquant la porte. Je crois qu'il est furax. Tant mieux.

La porte s'ouvre à nouveau, sur Steve cette fois. C'est un brave type. Il avait l'air triste quand j'ai quitté la police. Il m'avait même fait part de son soutien dans cette affaire.

- Salut Jo, dit-il en s'asseyant. Ça fait un bail. Qu'est-ce que tu deviens ?
- Essayez tout ce que vous voulez, je n'ai rien à vous dire. Le coup du bon flic et du mauvais flic, même dans les films ça ne marche plus depuis bien longtemps.
- Écoute, Jo. On est beaucoup à être contents qu'il soit mort. C'était un pourri. Si c'est toi, merci vieux.
- Regarde-moi bien dans les yeux. Je. Ne. L'ai. Pas. Tué.

Son téléphone vibre, il y jette un coup d'œil et m'annonce que mon avocat est arrivé et que je suis libre.
Je me lève et quitte la salle.

Dans le couloir, mon frère et mon avocat m'attendent. Je sers la main du notable, récupère mes effets personnels et nous sortons.

- Comment on rentre ? demande mon frère.

J'attrape mon portable et appelle Hank pour qu'il nous envoie quelqu'un.
J'allume une cigarette et m'adosse au mur.

- On vient nous chercher.
- Tant mieux, j'avais pas envie de passer la nuit ici. Je suis là assez pendant la journée.
- Tu m'étonnes !

Quand la voiture arrive musique à fond, j'ai des envies de meurtre.
Je ne bouge pas d'où je suis, si bien que le chauffeur descend.

- Vous montez ou quoi ? J'ai pas que ça à faire !
- Alors prospect, de un, tu vas baisser d'un ton avec moi. J'ai qu'un mot à dire à ton Prez et t'es viré. De deux, tu vas me couper ta putain de musique de merde et de trois, tu vas attendre sagement que je finisse ma clope.
- Et on peut savoir qui t'es pour balancer ce genre de menaces.

Je remonte mes manches, mon tatouage bien en vue.

- Je suis le VP du chapitre de Denver, p'tit con.
- Merde, je suis désolé, je savais pas. Prenez tout votre temps, je suis pas pressé. Je vais vous attendre dans la caisse et je vais couper la musique.

Mon frère me regarde, les yeux ronds comme des soucoupes.

- Tu lui as foutu une sacrée trouille. Il a quoi de particulier le chapitre de Denver ?
- C'est le chapitre mère. Allez viens, on rentre.

Nous montons dans la voiture qui nous ramène chez ma mère.

J'ai hâte de revoir ma femme. Il n'y a qu'elle qui arrive à me détendre. Et Dieu sait que j'en ai besoin.

Devil's Eagles T2 : Les ailes du désespoir Où les histoires vivent. Découvrez maintenant