9. Dialogue de sourd

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En une fraction de seconde, tout change. Je le vois dans l'expression de mes parents. Ils ne savent plus quoi dire, ni que faire. Soudain, ils se rendent compte que je ne suis plus une adolescente normale qui s'apprête à entrer à l'université, mais au contraire une jeune adulte enceinte. Je ne sais pas trop à quelle réaction je m'attendais, mais certainement pas à ce qu'ils me regardent sans prononcer le moindre mot, les yeux exorbités. Tendue à l'extrême, le cœur battant si fort qu'il m'assourdit, j'attends. Les doigts de Valentina sur mon bras ne cessent de se serrer un peu plus. Elle sent la tension qui règne. J'ai été horrible de l'entraîner là-dedans. Mon amie ne mérite pas de se retrouver dans mes galères.

Après tout, c'est mon problème. C'est moi qui ai couché avec Ruggero, et malgré les protections, malgré la pilule, me voilà maintenant enceinte. Enfin, quelque chose se passe. Mon père se lève, lentement. Il me fixe, puis son regard se porte vers mon amie. Valentina semble se ratatiner à mes côtés. La pauvre n'a jamais eu à affronter la colère de mon père. Et ce que je lis dans son regard est terrifiant.

La déception et la rage se mêlent. Il n'a jamais accepté mon petit ami, et ce n'est pas maintenant que ça va commencer.

- Mademoiselle, veuillez quitter notre maison, déclare-t-il.

Son ton froid s'infiltre dans mes veines jusqu'à glacer mon cœur. Je me paralyse, gelée de l'intérieur. Plus rien n'a de sens à présent, et l'homme doux et aimant qu'il fût a laissé la place à cet être qui ne ressemble pas à l'homme que j'ai connu. Et pourtant, malgré la trouille qu'il lui inspire, Valentina redresse la tête.

- Je reste avec Karol, jusqu'à ce qu'elle n'ait plus besoin de moi.

- Très bien, alors emmenez-là avec vous.

- Pardon ?

Les mots s'étranglent dans ma gorge. Incapable d'en prononcer plus, je me contente de fixer mon père jusqu'à ce qu'il dise quelque chose. Mais il n'ajoute rien. Mon regard se porte vers ma mère. Celle-ci préfère garder les yeux baissés sur les coussins du canapé, comme si rien n'était plus intéressant que ça en ce moment. Les larmes brûlent ma rétine.

- Maman, murmuré-je.

Mais elle ne dit rien. Je secoue la tête, parvenant à briser l'étreinte de Valentina pour m'approcher de la femme qui m'a porté et élevé.

- Dis quelque chose, soufflé-je, défends-moi !

Peu à peu, ma voix s'affermit. Mon père contourne le canapé pour faire barrage de son corps, m'empêchant d'approcher plus. Soudain, la tristesse qui empoignait mon cœur se transforme en colère contre ces deux personnes censées m'aimer et me protéger quoi qu'il arrive. Ils bottent en touche dès que j'ai besoin d'eux.

- Tu aurais dû nous écouter assène durement mon père. Maintenant, c'est trop tard. Sors de cette maison avant que je ne t'y balance dehors.

J'écarquille les yeux. Mon cœur cesse de battre, mon estomac se noue. Je pensais pouvoir compter sur eux. J'estimais notre relation plus forte que ça, mais je me suis fourvoyée. Pour ce couple si traditionnel et respectueux des vieux enseignements, je suis une pute. C'est ce que je lis dans le regard de mon père, mais cela ne m'arrête pas. Ils sont deux, et j'attends que mon second parent prenne également la parole.

- Maman, je t'en prie ! Tu le savais ! Je sais que tu l'avais remarqué ! Alors pourquoi ?

Lentement, mon père se tourne vers sa femme, mais celle-ci reste stupidement muette. Cruellement silencieuse. L'absence de ses mots me torture le cœur.

- Ne mêle pas ta mère à tes fautes, déclare l'homme qui se tient en face de moi. Tu aurais dû rompre avec cet homme quand nous te l'avions demandé. Maintenant que tu nous as trahis, pars. Tu fais honte à notre famille.

Ce n'est plus mon père outre mesure. Je déshonore notre famille par mon état. Comme si je l'avais voulu. Comme si j'en avais envie.

- Va-t'en.

Il se détourne. Il prend la main de sa femme et l'oblige à se lever. Il l'entraîne hors de la pièce. Au moment de franchir le seuil, elle se tourne vers moi. Dans son regard, je lis son incompréhension, son sentiment de trahison, mais surtout sa douleur. Et je ne sais pas l'interpréter. Mes jambes se dérobent sous moi. Je suis incapable de tenir debout plus longtemps. Une larme s'échappe. Glisse sur ma joue. Valentina me retient. Elle ne dit rien, parce qu'aucune phrase ne pourra me rassurer à présent. Rien ne pourra effacer ce moment. Cette rupture. Une porte claque, quelque part dans la maison. Pourquoi ai-je l'impression qu'aucun retour en arrière n'est possible à présent ?

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Chapitre écrit par AngieWings97


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