16. Avec les honneurs

446 29 14
                                    

Ruggero

Je vais recevoir une médaille pour avoir tué. C'est la seule pensée qui tourne dans ma tête depuis que mon sergent m'a donné cette information. Karol a beau arguer que j'ai sauvé des otages et ramener le corps de mon ami chez lui, je ne peux pas oublier les coups de feu, les balles qui pleuvent, et celles qui viennent de moi. Je crois que j'ai arraché trop de vie pour mener une existence normale.

Les cauchemars qui me réveillent en plein milieu de la nuit gâchent également celle de Karol. Nous ne vivons pas ensemble depuis longtemps, mais je sais que je la dérange. La pauvre a besoin de dormir et je l'en empêche. Je secoue la tête pour revenir à l'instant présent.

Ma fiancée se tient à côté de moi, son bras passé sous le mien. Son ventre se voit de plus en plus. Elle se plaint qu'elle grossit, moi je la trouve seulement de plus en plus belle. Je ne sais pas ce que j'ai fait pour mériter de les avoir dans ma vie, elle et le bébé. Dans la salle adjacente, j'entends le public s'installer. Les journalistes discutent entre eux et je ne peux pas m'empêcher de couler un regard vers les chaises disposées dans l'une des nombreuses salles de la mairie. C'est cet endroit qui a été choisis pour la remise des médailles.

J'esquisse un sourire en reconnaissant quelques têtes. Mon retour a la vie normale est compliqué. Les cauchemars me hantent et je dois apprendre à marcher avec une prothèse. Le pire, ce sont les douleurs qui semblent venir de ma jambe coupée. C'est comme si elle se trouvait encore là, cisaillée par des milliers de poignards. J'ai trouvé des astuces pour les faire cesser, grâce aux hommes et femmes que j'aperçois sur les chaises. Ils sont abîmés par les horreurs qu'ils ont vécu, ces vétérans avec qui je me réunis chaque vendredi pour tenter d'évacuer tout ce que j'ai vécu. Heureusement que ce groupe de soutien existe. Sans lui, et sans Karol pour me pousser à y aller, je ne parviendrai pas à envisager l'avenir.

- Mi amor, tout va bien ?

La douce voix de ma fiancée me ramène à la réalité. Je me tourne vers elle en tentant d'esquisser un sourire. Je crois que je ne parviens qu'à grimacer, mais qu'importe.

- Je ne mérite pas cette médaille, soufflé-je.

La jeune femme soupire en se plantant devant moi. Elle ajuste ma cravate avec dextérité et m'embrasse doucement; Son baiser me rassure et m'ancre dans la réalité. J'ai besoin d'elle.

- Alors on la jettera dès qu'on sera à la maison, répond Karol.

- Ils croient tous que j'ai sauvé ces hommes, mais pour combien de vies perdues ? Ne comptent-elles pas ?

- Elles comptent, mi amor, mais tout le monde ici a bien conscience que c'était toi ou eux ! Tu as obéis aux ordres. Tu as sauvé ces otages, ramenés nos compatriotes dans leur pays, et contribué, à ta façon, à ce que les hommes qui les ont enlevé ne puissent pas recommencer. Je sais que tu portes sur les épaules un poids terrible, mais c'est terminé maintenant ! Tu ne retourneras pas là-bas. Tu es ici, avec moi, avec notre fils, et pour de bon !

Incapable de trouver les mots, je l'embrasse. Je ne sais pas où elle puise cette force, mais le femme qui se tient devant moi n'est plus l'adolescente timide que j'ai connu. Elle a bien changé, et je ne l'aime que plus.

Une sonnerie de trompette majestueuse retentit. C'est l'heure. Je me redresse légèrement. Les militaires qui m'entourent font de même. Ils portent tous l'uniforme militaire du terrain. Pour ma part, j'ai celui de la ville, celui que je porterai à présent. Avec ma jambe, je ne peux plus retourner au front. J'ai obtenu un poste dans l'administration de l'armée, derrière un bureau. Cela m'a donné accès à une maison avec deux chambres dans laquelle Karol et moi vivons depuis ma sortie de l'hôpital. Nous avons assisté aux funérailles de Logan, et sa mère m'a remercié de l'avoir ramené au pays.

Karol attrape mon bras. Prête à me suivre jusqu'à l'estrade, elle se tient à mes côtés. J'ai tenu à avancer sans béquilles aujourd'hui. En ordre, nous avançons sur l'estrade. Je claudique sous le regard des journalistes, familles de militaire et amis, venus assister à la cérémonie. Mon cœur bat à tout rompre et seul le bras de Karol que je sens peser sur le mien me rassure et m'apaise.

J'ai besoin d'elle. J'ai besoin de son amour. J'ai besoin de ma famille. Comme si elle le sentait, ses doigts se referment légèrement autour de ma manche pour m'indiquer qu'elle est bien là, qu'elle ne partira pas.

Je suis définitivement rentré chez moi.

*********************************

Écrit par AngieWings97


Mi AmorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant