Tous les soirs tu t'enfermais dans ta chambre. Tous les soirs tu regardais mélancoliquement ton bras droit, couvert de bleus, et ton bras gauche, couvert de plaies. Tu repensais à avant, quand tu ressentais des émotions. Mais ce n'est que le passé. Aujourd'hui, tu n'es qu'une coquille vide. Les émotions ? Pour toi, elles se limitaient à la solitude et le désespoir. Tes seuls amis t'ont abandonné pour aller voir ailleurs. "Trop morbide" disaient-ils. L'isolement est la pire des prisons. Surtout pour quelque chose que l'on a pas choisi. Est-ce-que c'est de ta propre initiative que tu ne ressens plus de réels sentiments ? Bien sûr que non. Mais ça n'a pas empêché ton entourage de te renier. Cela les a presque encouragé à agir de la sorte. Au fond, ça se comprend. Ils ont à portée un pantin qui ne ressent rien, autant se défouler dessus. Mais ils avaient tort. L'isolement, tu y étais habitué, tu as passé toute ta courte vie entouré d'une poignée de personnes, au sein d'un groupe fixe. Même quand il s'est disloqué, tu n'as pas été triste. Mais tu as souffert. Et pas qu'un peu. Sans jamais t'expliquer pourquoi, toutes tes connaissances ont fini par te rejeter de leur vie, même si ça impliquait de te rouer de coups. D'où tes bleus. Ils avaient au moins la décence de concentrer leurs assauts sur un seul bras, ça localisait la zone d'impact et te permettait de te lâcher sur ton autre bras. Et tu ne t'es pas privé. Il était impossible de connaître la couleur d'origine du cutter au pied de ton lit. Il était recouvert d'une couche écarlate, renouvelée chaque soir. C'était devenu ton rendez-vous quotidien.
Tous les soirs, enfermé dans ta chambre, après avoir rapidement pensé à ton passé, tu saisissais cette douce lame, et laissais s'exprimer la bête en toi. Même si tu ne ressentais aucune émotion, tout éclatait le soir venu. Telle une éponge, tu absorbes ce qui passe à ta portée. Mais si tu ne t'essores jamais, tu satures, et finis par exploser. Parfois tu arrivais à te retenir. Tu allais discrètement te cacher dans la salle de bain. Et tu pleurais. Tu pouvais toujours regarder dans le miroir pour t'assurer que tu étais bel et bien vivant, mais c'était impossible. La seule chose que tu voyais était une masse informe. Était-ce un mirage de ton cerveau pour oublier ton malheur ? Ou pour te dire qu'il vaut mieux en finir ? Ou les larmes brouillent-elles juste trop ta vue ? Ou y avait-il une autre tâche sur le miroir ? Tu n'as jamais su. Cette routine sanglante était parfaitement ancrée en toi à présent. Tu ne pouvais pas imaginer une journée sans ces intenses mutilations nocturnes.
C'est à partir de ce moment que tu as arrêté de mener une vie digne de ce nom. Fatigué de te défendre, tu laissais les gens te frapper sans relâche, même si ça impliquait un passage à l'hôpital. Tant que tu avais ton moment face à face avec ton précieux cutter, plus rien ne comptait. Tout ce que tu voulais, c'était t'ôter des litres et des litres de sang frais. Même si tu étais un peu plus exigeant chaque jour, cela n'avait pas d'importance. Tu voulais saigner. De plus en plus. Tu t'ouvrais de plus en plus profond. À ce moment il était évident qu'une seule session par jour n'allait pas te suffire éternellement. Tu pris l'habitude de le faire en public, dès que l'envie te prenait. Tu laissais néanmoins ton cutter chez toi, il appartenait aux moments sacrés nocturnes. Durant ces derniers, tu perdais toute humanité en toi. Tu devenais véritablement un monstre. Déjà que seuls désespoir et solitude te parvenaient, il n'était pas aisé pour toi d'être réellement humain sans les sentiments le définissant. Tu étais devenu une bête sauvage, qui n'agit que selon ses instincts, et sa soif de sang. De son propre sang. Mais cette fois, c'était la fois de trop. Tu n'avais plus aucune retenue depuis un certain temps déjà, mais il te restait la raison. Celle qui t'a retenu. Celle qui a disparu ce soir là. Ce soir fut déterminant. Il était impossible de te raisonner. Tu avais sombré dans la folie.
Tous les soirs, meurtri par une journée sous le signe de la violence, tu t'enfermais dans ta chambre et relâchais tes instincts à travers de multiples scarifications. Mais un soir, la journée fut trop violente, et tes blessures trop profondes. En t'endormant, tu ne réalisais pas que tu ne te réveillerais jamais. En entrant dans ta chambre, on ne voyait qu'un cadavre, au milieu d'une grandissante flaque de sang, un cutter à la main, plus écarlate que jamais.
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Recueil OS
Short StoryBonsoir à vous, Vous trouverez ici mes OS, pas spécialement joyeux ou longs, mais on puise tous notre inspiration quelque part. C'est toujours bon à préciser, les âmes sensibles devraient rester loin d'ici. Je sais pas si un jour j'en écrirais d'aut...