Hallucination

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Cette journée fut un véritable enfer, comme souvent. Tu ne comptais plus le nombre de regards virulents que tu devais essuyer au quotidien. Tu avais l'impression d'être un tueur en série en direction de ton lieu d'exécution, ou un bouffon rejeté par son roi. Mais tu avais l'habitude. Et heureusement que cette habitude arrivait à calmer leur violence. Tout ce qui t'importait à présent c'était de retrouver ton chez-toi. Seul et à l'abri des regards, afin de pouvoir utiliser ton splendide don. Celui de pouvoir créer une réalité alternative dans laquelle tu étais dominant. Rien ni personne n'osait remettre en cause ton autorité. Au moins, tu y étais tranquille. Tu pouvais marcher dans la rue sans grands soucis. Même si les forces de l'ordre étaient bien souvent à tes trousses,la vitesse qui t'était donnée dans cette dimension te suffisait pour les fuir. Cependant, si tu l'alliais avec tes réflexes hors pairs et une lame aiguisée, cela serait un jeu d'enfants de les éliminer un à un. C'est pourquoi tu ne sortais que le soir à présent. Si seulement ce monde était réel... Mais tu devais te limiter à de simples hallucinations...

Comme tous les soirs, au crépuscule, tu te couchais sur ton lit et fermais tes yeux. Ce moment pouvait durer une comme plusieurs minutes, ça n'était pas important. Tu savais que tu finiras par ouvrir les yeux dans cette autre réalité, là était l'essentiel. Ta soirée était déjà organisée dans ton esprit. Rien de nouveau, dès que tu es en capacité de bouger, tu sors par la fenêtre et suivais un tracé différent chaque soir. Tu allais où tes jambes te portaient, à partir du moment où tu étais de retour sur ton lit, pour obtenir quelques importants moments de sommeil avant que le soleil n'apparaisse pour revenir à la réalité. Même doté de ce genre de capacités, un humain reste un humain, et a par conséquent besoin de sommeil. C'est justement épuisant de mener une vie dans un monde parallèle, hallucinatoire ou non. C'est mine de rien incroyable. Tu étais capable de générer une réalité alternative à la seule force de ton esprit. Et pourtant, tout semblait banal. Comme si tu étais parfaitement conscient du monde autour de toi. Alors que tu étais seulement couché sur ton lit.

Plusieurs semaines passèrent. Ces mêmes regards virulents restaient toujours aussi insistants. Allaient-ils te laisser tranquille un jour ? Nul ne le savait. L'avenir détient les clés du savoir. Mais tant qu'il te restait ton échappatoire, tout allait bien. Il est presque évident que sans, tu n'aurais pas tenu, crevé plus d'une paire d'yeux et assombri plus d'une existence. Mais il est rarement utile d'imaginer ce qui arriverait si un événement aux probabilités infimes se produisait. Réfugié dans ton imaginaire, tu marchais nonchalamment à travers la rue quand une énième sirène de police t'arracha de tes pensées. C'était la troisième patrouille qui t'arrêtait ce soir. Mais ce soir n'était pas comme tous les soirs. Trop c'est trop. Cette fois pas de fuite, tu décidas de passer à l'attaque. Ce couteau dans la poche de ta veste te démangeait depuis trop longtemps déjà. Ton sang ne fit qu'un tour. Sans réellement prendre le temps de la réflexion, tu bondis sur le premier policier dès qu'il fût à ta portée et le poignardas au cœur. Le second n'eût pas le temps de réagir que ta lame volait déjà dans sa direction. Tandis que le premier toussait du sang en t'insultant de divers noms d'oiseaux, l'autre tomba de tous son long sur le capot de la voiture, couteau entre les deux yeux, teintant le blanc immaculé du véhicule de traces rouges vives. Sans témoins, tu te contentais de sourire bêtement en regardant les deux hommes se vider de leur sang. Ce sourire se mua cependant en un rire digne des plus grands psychopathes de ta génération. Ce dernier point confirma que tu n'étais pas dans la réalité, une telle réaction ne te ressemblait pas. Au contraire, tu te serais probablement évanoui. Mais savoir que tout n'était pas réel devait sûrement te rassurer. Tes capacités physiques y étant modifiées, il est cohérent d'y observer des différences de caractère.

Cette nuit fût riche en émotions, et pour cause, tu as beau être retourné dans le monde normal plus tôt que d'habitude, tu restais épuisé. Tu n'avais qu'une hâte, en finir avec cette journée et t'affaler sur ton lit pour récupérer ton sommeil de retard. Ton dernier passage dans tes hallucinations étais suffisamment intense pour te suffire une bonne semaine. Mais, le soir venu, il sembla que tu n'avais pas le choix. Tu fermais les yeux, sans rechercher à changer de dimension cette fois, mais tu les rouvris dans cette dernière. Soit, tu pouvais toujours te reposer dans ton lit et fermer tes paupières, mais une force guidait tes pas vers la fenêtre. Indépendamment de ta volonté, tu te retrouvais dans la rue, sous ta fenêtre. Mais à peine tu eus le temps de comprendre ce qui t'était arrivé que des sirènes de police retentissaient déjà au loin. Dans un état trop lamentable pour te battre, le mieux à faire était probablement de te cacher le temps que la zone soit quadrillée. Il ne faut pas oublier que dans cette réalité, tu étais recherché. Même si tu ne pouvais pas savoir si ces patrouilles étaient pour toi ou toute autre chose, il valait mieux ne pas prendre de risques. Mais sans lieu suffisamment à couvert pour te fournir une cachette digne de ce nom, la meilleure option s'est révélée être la fuite. Chose qui s'avérait être compliquée, étant donné ton état de fatigue.

Cette mascarade a duré pendant plusieurs journées, sans aucun répit. Il était évident que tu ne pouvais pas courir indéfiniment, et que les forces de l'ordre finiraient bien par te rattraper. Lorsque ce jour arriva, tu te rendis compte de la situation. Il n'y avait pas qu'une poignée de policiers, mais bien une vingtaine d'entre eux. Tu étais donc encerclé par une armée d'agents en uniforme, arme à la main, canon pointé vers toi. Cependant, tu gardais ton calme. Tout n'était que simulation orchestrée par ton imagination. Dans le pire des cas, tu te réveillerais en sursaut. Soudainement, une violente douleur te traversa la jambe et te fis tomber à terre. Tout ceci ne t'empêcha pas d'être pris d'un fou rire incontrôlable. Au fond, tu savais que tout ça était irréel, donc tu te permettais d'être relativement détendu. Pour les hommes autour de toi en revanche, la situation était bien plus tendue, et pour cause, ils n'ont pas hésité à t'envoyer une salve de balles. Toutes n'ont pas fait mouche. C'est assez surprenant de la part de personnes entrainées de rater une cible immobile à seulement une poignée de mètres d'ailleurs... Mais là n'est pas le sujet. La douleur de cette seconde vague fût telle que tes rires n'ont pas perduré plus longtemps. Elle était telle que, pour la première fois, tu voulais retourner chez toi. Fuir, loin d'ici. Alors tu fermas les yeux et patienta. Tu sentais la douleur se dissiper petit à petit. Tu restas quelques minutes dans cette position avant de soulever tes paupières. Ce que tu fis quand ta souffrance fût relativement diffuse. Jamais tu ne t'étais senti aussi léger. Tu te relevas et regardas autour de toi. Tu n'étais pas sur ton lit, mais dans la rue. Un regard en arrière et tu compris. Si la douleur avait quitté ton corps si aisément, c'est parce que la vie le quittait aussi. Tu n'avais jamais soupçonné que mourir dans ce monde signifiait mourir tout court. Tu regrettais tous tes choix. Remis en cause tes actions, ton existence. Telles étaient tes dernières pensées avant de disparaître, empli de chagrin et de regret, et de sombrer à jamais dans le néant.

Tu étais en fait atteint de troubles mentaux. Il n'y a jamais eu d'autre monde, mais seulement une autre personnalité. Par conséquent, chacune de tes actions est bel et bien arrivée dans notre réalité. Notamment tes meurtres. Quand tu fermais les yeux, tu laissais ton autre personnalité prendre le dessus. Vêtu d'une veste longue et d'un masque pour préserver ton identité, tu étais recherché sous cette description pour errer de manière menaçante dans les rues de nuit. Tu avais aussi une démarche bien plus imposante, ainsi qu'une posture bien plus droite, c'est pourquoi tu effrayais les personnes qui osaient s'approcher trop près.

Recueil OSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant