chapter two

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audio : Summertime Sadness ~ Lana Del Rey
[PdV Danna]

La bouche pleine de dentifrice, je chante - pardon, crie - les paroles de Summertime Sadness de Lana del Rey devant mon miroir. Mes longs cheveux bruns foncés sont en bataille, du moins c'est ce que l'image de furie que reflète le miroir me donne. Je crache mon reste de dentifrice et me rince la bouche. Ensuite je me lave les mains et tente de remettre un peu d'ordre dans mes cheveux, avant de sortir de la salle de bain.
L'appel de la veille de la mère de Jade m'a quelque peu bouleversée. Moi qui suis d'habitude d'un naturel plutôt détendu, suis-je assez anxieuse face à la situation présente. Jade est de type électron libre, voltigeant d'une personne à une autre - genre confondus - sans jamais forger d'attaches. Je ne sais pas à quand remonte sa dernière relation sérieuse. Les filles disent de moi que je suis pareille, sauf que la nuance est que je suis à la recherche d'une relation sérieuse mais je parviens toujours à foirer mes coups. Exaspérant.
Pour en revenir à la situation de mon amie, elle doit être actuellement dans les bras d'une personne rencontrée en soirée la veille. Mais bon, elle pourrait au moins se donner la peine de nous donner des nouvelles. Qu'elle se refuse à faire un rapport sept jours sur sept/vingt-quatre heures sur vingt-quatre à ses parents, je peux le concevoir, mais qu'elle n'envoie ne serait-ce qu'un court message vocal pour nous raconter ses vacances et nous dire que tout va bien ne serait pas de refus. Ça allégerait grandement nos questions et soulagerait tout le monde.
Je prends mon sac à bout de bras et m'élance dans la rue en courant. Avec un peu de chance, je pourrais réussir à attraper le bus de midi pile. Bon il ne faut pas que je repose tous mes espoirs dessus non plus. Je n'ai jamais été ponctuelle et ce n'est pas aujourd'hui que ça va débuter. J'atteins l'arrêt de bus au moment même où le véhicule démarre.
- Putain ! je vocifère devant le regard outré des petites vieilles femmes assises sur le banc à mes côtés.
Je soupire, abandonnant l'idée de m'excuser auprès d'elles sachant pertinemment qu'elles commenceront à débattre sur mon comportement et celui déplorable des jeunes d'aujourd'hui à cause de l'avènement de la technologie ou je ne sais quelle autre débilité.
Je décide donc de marcher jusqu'au parc où m'attendent les filles - et où je me rendrais avec trois-quarts d'heure de retard, bien évidemment - seulement à dix minutes de marche de là. Après tout, cela me permettra de prolonger mon summer body un peu plus longtemps ; je pourrais reprendre mes bonnes vieilles habitudes et m'enfiler des paquets de chips à la chaîne après cette douloureuse période que le sport et la nourriture saine. Tout ça dans l'unique but d'être présentable sur la plage, quel gâchis !
    J'arrive sur la place de la mairie, mes écouteurs dans les oreilles après une dizaine de minutes de marche intensive. Il y règne la bonne ambiance et convivialité habituelle de Sacramento. De plus, le soleil est au rendez-vous ce qui pourrait expliquer le fait que les terrasses des bars sont noires de monde. Je continue ma route en direction du Old Sacramento State Historic Park, le parc le plus vieux de la ville, à proximité du centre. Au bout de la grande rue principale, je distingue un attroupement anormal de voitures de police et d'hommes et de femmes tout de bleu vêtus, une insigne incrustée au niveau de la poitrine.
    En m'approchant un peu plus près je réalise qu'il s'agit du Holiday Inn, un bed&breakfast typique de la ville. Du moins, ce qu'il en reste. Le bâtiment est noirci par la cendre et une odeur de métal brûlé est distinguable à proximité. Un incendie.
    De nombreux habitants et touristes sont déjà regroupés devant la devanture de l'hôtel, à contempler les dégâts. Il y a aussi un peloton de journalistes, occupés à dégoter la meilleure photo possible du drame. C'est fou comme tout peut partir en fumée en un clin d'œil, pensai-je. Sans mauvais jeu de mot. J'ai dû exprimer le fond de ma pensée à haute voix car déjà quelques journalistes lèvent la tête vers moi, d'un air jugeur.
    Le gérant de l'hôtel, Doug Robinson, sort du bâtiment accompagné d'un petit groupe d'hommes en costumes cravates. Sa famille s'est fait un nom dans la ville, bien qu'étendue, grâce à cet hôtel. Ces dernières années, il était connu pour être le repère de joueurs de cartes et dealers friqués malgré sa devanture et ses locaux luxueux.
Je me fraye un chemin parmi la foule pour essayer de glaner quelques informations à propos de l'incendie. Un groupe de journalistes est déjà en train d'interroger un inspecteur de police ainsi qu'un pompier au costume noirci par les flammes.
- Avez-vous des hypothèses par rapport au point de déclenchement de l'incendie ? crie une journaliste à travers la foule, faisant vaciller son microphone au-dessus des têtes pour arriver le plus près possible de la bouche des deux hommes.
Je lis sur son équipement qu'elle fait partie de la Gazette de Sacramento, le journal où la mère de Cora est rédactrice en chef. L'inspecteur jette un regard au pompier, qui hoche la tête, puis se racle la gorge.
- Nous ne sommes pas encore bien sûr mais il semblerait que ce soit parti de la canalisation du cellier. Par la suite, ça s'est très rapidement propagé, raconta le pompier.
Les journalistes s'activent à griffonner quelques mots sur leur bloc-notes.
- Est ce que ça signifie que l'incendie était... ?
    - Oui, il s'agit d'un incendie criminel, la coupa l'inspecteur. Du moins c'est ce que tout porte à croire. Premièrement, le feu a démarré dans le cellier alors qu'il aurait du partir des plaques de cuisson ou tout objet utilisant encore le gaz, pas du cellier où il n'y avait rien de combustible en particulier.
    A ce moment-là, la poignée de journalistes présents s'anima ; tous sur la pointe des pieds à lever haut la main et à crier pour se faire entendre au-delà du chahut.
    - Quand Monsieur Robinson débutera-t-il les rénovations ?
    - À quelle heure a eu lieu le départ de feu ?
    - Y a t-il eu des blessés ?
    L'inspecteur soupira tout en jetant un coup d'œil lancinant à sa montre, d'un geste délibérément impatient et irrespectueux.
    - Un seul commis a été touché par l'incendie mais sa blessure reste superficielle. Plus de questions.
    L'homme tourna les talons tandis que la foule en délire se détourna vers Doug Robinson, qui avait l'air assez dépassé par la situation. Ce qui semblaient être deux gardes du corps firent barrage devant les journalistes, en tentant de les écarter par des revers de main.
    Mon portable vibre dans ma poche arrière, me ramenant à la réalité. Merde je suis plus en retard que jamais, pensai-je en faisant défiler la liste de messages et d'appels manqués de mes amies. Un d'entre eux me demandait si j'avais bien pris la salade, que j'avais bien évidemment oublié sur le comptoir de la cuisine. Mais quelle teub ma parole !
     Quinze minutes plus tard, après avoir fait un mini-detour ni vu ni connu à la supérette la plus proche, j'arrivai enfin au parc. J'avais les bras affreusement chargés de gourmandises en tout genre - histoire de me faire pardonner de mon long retard.
    Je localise rapidement mes amies, étendues dans l'herbe avec leurs lunettes de soleil.
    - Tu en as mis du temps ! ironise Patience.
    - Oups. Je sais, dis-je en ébauchant un sourire coupable. Je suis pardonnée ?
    Je désigne d'un geste du menton la pile de nourriture dans mes bras ankylosés.
    - Wow, j'espère que vous avez faim, rit Cora.
    Pour tout dire, je meurs de faim. Étant l'estomac du groupe, c'était sans grand altruisme que j'avais choisi la plupart de mes produits préférés.
    - Ah. Il fait beau ! déclare Veronica d'un ton enjouée, étendant ses longues jambes minces et dénuées de poils à la vue de tous.
    Avec sa taille et son corps parfait, elle avait un job à temps partiel comme mannequin dans une agence de la ville.
    - De quoi profiter de la golden hour pour faire des dizaines de photos ! je déclare dans un clin d'œil.
    J'enfourne une tomate cerise et ouvre l'opercule plastique contenant un lot de wraps.
    - D'ailleurs, en parlant de photos, il faut absolument que je vous parle de mon stage ! C'est ahurissant, les gens y sont tellement talentueux ! déclare Cora, exaltée.
    Une fois lancée on ne peut plus l'arrêter. Je décide donc de m'allonger sur l'herbe et de prendre le paquet de Doritos sur mon ventre.
    - ... et donc là je lui ai dit-
    - Co' tu parles trop, dis-je exaspérée.
    - Oh.
    Elle m'adresse une petite moue déconfite adorable. Mon plus grand défaut - et grande qualité à la fois - c'est mon surplus d'honnêteté, accompagné d'un manque de tact transcendant.
    - Je vous ennuie ? demande Cora d'une petite voix.
    - Mais non ne t'inquiètes pas, répond Veronica.
    Elle me fusille du regard par la même occasion. Veronica est la fille la plus gentille que je connaisse, elle déteste faire du mal à n'importe qui, quitte à mentir. Et considéré que Cora est la plus sensible du groupe, elle répare au quotidien mes « dommages involontaires », appelons les comme ça.
- Désolée Co', dis-je en lui faisant un câlin.
- C'est pas grave, déclare celle-ci, un nouveau sourire sur les lèvres.

SACRAMENTO AFFAIROù les histoires vivent. Découvrez maintenant