chapter three

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audio : Ashley ~ Halsey
[PdV Patience]

- Entrez !
Je pousse la porte de la maison de Danna après avoir toqué poliment. Quand j'entre, je réalise que je suis la première arrivée, à ma grande surprise, considéré que Veronica est la ponctualité même.
Le salon des Phillips est vraiment très luxueux, avec un espace très aéré, un écran plat en guise de télévision, des fauteuils très confortables couleur moutarde créant une harmonie distinguée avec les tons ternes gris et beiges du reste de la pièce. J'adore l'atmosphère soft que cela procure.
Danna est accoudée au bar, le regard dans le vide, sa main faisant des aller-retours effrénés depuis le bol de cacahuètes posé devant elle jusqu'à sa bouche.
- Oula, tu n'as pas l'air dans ton assiette, je déclare devant le regard vide de mon amie.
Elle ne cille pas.
- Dis moi que tu l'as reçue toi aussi, chuchote-t-elle.
Elle tourne la tête puis braque ses yeux sur moi. Son regard est aussi fixe et sans-vie que celui d'un mort-vivant, je pense.
- De quoi tu parles ? je demande, perplexe.
Elle tapote une enveloppe dont l'encolure a été arrachée proprement. Pendant ce temps, elle se sert ce qui semble être un énième verre de whisky - à en juger par son haleine emplie d'alcool. Je glisse ma main à l'intérieur. J'en ressors une feuille de papier épaisse, pliée en deux. Un sigle officiel apparaît dans le coin gauche de la tête de page.
- Qu'est-ce que c'est ?
Danna inspire un grand coup. Je vois ses yeux s'embuer de larmes jusqu'à ce qu'elle les ferme une fraction de secondes et que tout revienne à la normale. Comme si j'avais rêvé.
- C'est un ordre de présence. Au tribunal. Pour témoigner.
Je laisse tomber la feuille au sol. Mon pouls monte en flèche d'un seul coup. J'ai un très mauvais pressentiment.
- Danna ?
- Les Harris ont averti la police de la disparition de Jade, balance-t-elle d'une traite.
Soudainement, il fait très chaud. J'ôte rapidement ma veste en jean, et mon jean lui-même. Je me retrouve en tee-shirt et culotte. Je vois la piscine à débordement à travers la baie vitrée, avec Allys, la sœur de Danna, tentant de capter les derniers ultraviolets du soleil qui se couche à l'horizon. L'eau miroitante me paraît très tentante, tout à coup. Je m'élance et saute dans l'eau chaude, ce qui provoque un tsunami aux alentours et éclabousse Allys.
- Ahhhh, putain fais attention ! vocifère-t-elle.
Je ne lui rends même pas un petit sourire d'excuse comme j'en ai l'habitude mais au lieu de ça, je plonge la tête sous l'eau et fait une série de mouvements de brasse pour me calmer. Puis quand j'imagine que mon rythme cardiaque a atteint sa fréquence habituelle, je m'extirpe de l'eau et m'asseois au bord du bassin.
J'ai été idiote de sauter avec mon tee-shirt. Maintenant je dois l'enlever et le tordre pour lui enlever un maximum d'eau. Ce qui fait que mon soutien-gorge beige est devenu complètement transparent. Pudique, je rentre dans la maison, les mains posées sur mes seins et je me dirige vers Danna, qui n'a pas bougée d'un pouce, toujours accoudée au billot.
- Je peux t'emprunter un teeshirt ? je lui demande.
- Oui-oui bien sûr.
Je monte rapidement à l'étage et passe devant la chambre de son frère Elliot en quatrième vitesse, d'où s'échappe un air de jazz et une odeur de tabac.
Je m'infiltre dans la chambre de Danna et ouvre un tiroir de sa commode au hasard à la recherche d'un tee-shirt. J'ôte mes sous-vêtements et les remplace par mon maillot de bain, histoire d'être au sec.
J'enfile un tee-shirt au hasard ainsi qu'un jogging puis me retourne et fourre le reste de mes affaires dans mon sac à dos. J'entends du bruit en bas, les filles ont dû arriver à l'instant. Tout à coup, j'entends un raclement de gorge et voit Elliot, le frère de Danna, adossé au chambranle de la porte en peignoir gris et bas de pantalon, une cigarette à la main. Je retrousse mon nez inconsciemment à l'odeur du tabac qui flotte à présent dans tout le couloir du premier étage et dans la chambre de mon amie.
- Je me disais bien que j'avais vu quelqu'un passer, dit-il de sa voix de ténor.
Je souris, ne sachant pas trop quoi répondre. Elliot est toujours aussi sexy que dans mes souvenirs, cependant. Il n'a que deux ans d'écart avec Danna, ce qui signifie qu'il devrait entrer à l'université cette année - ou prendre une année sabbatique, j'ignore ses projets.
- Sympa le tee-shirt Bambi, déclare Elliot de sa voix rauque.
- Il est à ta soeur, je grimace en remarquant seulement l'apparence du tee-shirt hideux de Danna.
Elliot part d'un petit rire. Je ramasse mes affaires en écarquillant les yeux et me dirige vers la sortie. Je le contourne, il étouffe un petit hoquet de surprise.
- Pourquoi tu m'évites ? quémande-t-il en saisissant mon poignet.
Je fuis son regard. Il me lève le menton. J'essaie de me dégager, mais il resserre sa main autour de mon poignet.
- Arrête, je le supplie d'une petite voix.
Il lâche ma main d'un coup sec tandis que je lève finalement la tête vers lui. Il me lance un regard désemparé.
Je descends les escaliers en direction du salon des Phillips. J'y retrouve Danna, Cora et Veronica, en train de discuter et de rire, réunies autour du bol de chips que Danna avait préparé avant. Je regarde Danna, actuellement en train de se bidonner, ce qui contraste cruellement avec la posture dans laquelle je l'ai laissée, vide et recroquevillée sur elle-même. Je lance un regard aux alentours et m'attarde sur le billot du bar, à la recherche d'une quelconque lettre abandonnée. Il n'y a plus rien, si ce n'est la trace d'un verre dont un peu de liquide a débordé. Je reporte mon regard vers les filles. Veronica m'adresse un petit clin d'œil.
- Coucou, me dit Cora de sa voix douce.
Je leur souris et m'asseois en tailleur à côté d'elles. Danna me tend une bouteille de scotch déjà vidée au deux tiers. Vu l'haleine et les rires répétés de mon amie, j'imagine que le liquide disparu doit actuellement être en train de naviguer à l'intérieur de ses reins.
J'essaie de m'immiscer dans la discussion en cours mais je suis trop fatiguée mentalement pour réfléchir. Aujourd'hui a encore été une dure journée. Entre l'ordre à paraître devant le tribunal pour la disparition de Jade et maintenant Elliot... je ne sais plus sur quel pied danser. Je saisis la bouteille de scotch, puis m'arrête pour y observer mon reflet avant d'en boire quelques gorgées. On va laisser Patience l'irréprochable de côté, ce soir, exceptionnellement, me rassure ma conscience.
Je bois ce qui reste de la bouteille d'une traite puis m'essuie la bouche avec un morceau du tee-shirt Bambi.
Une main se pose sur mon bras, c'est celle de Veronica qui me demande également si tout va bien. Veronica a toujours été là plus perspicace de nous toutes avec sa personnalité introvertie et son impressionnant sens de l'observation.
- C'est compliqué, je réplique dans un sourire forcé.
Elle m'adresse un sourire rassurant - même si l'once d'inquiétude dans ses yeux ne disparaît pas pour autant - et me fait une étreinte avant de rentrer à nouveau dans la conversation.
Je me perds dans mes pensées pourtant bien embrumées par l'alcool. Je regrette comment les choses sont devenues avec Elliot. Nous avions une très bonne relation mais bien sûr il a fallu que je finisse par tout foutre en l'air, pour changer.
Les Phillips ont toujours été des très bons amis de la famille. Danna a été, du plus loin que je me souvienne, ma première amie. Nos parents se connaissent depuis l'époque du lycée et ne se sont jamais perdus de vue depuis. Nos mères sont tombées enceinte au même moment, et ont accouché à deux semaines d'intervalle.
Aussi, nous partons tous en vacances à l'étranger une fois par an pendant plusieurs semaines. A vrai dire, nous voyons plus souvent la famille Phillips que nos propres proches ; ce qui rendait nos relations les uns avec les autres presque fraternelles, comme si l'on partageait un lien de sang. C'est une des raisons qui nous a poussé à cacher les différentes choses qui nous sont arrivées, à Elliot et moi. Mais, de toute façon, depuis le départ de la mère de Danna, nos deux familles se rencontrent bien moins fréquemment, malheureusement.
Je pense que j'ai toujours eu une petite attirance pour Elliot, même si j'ai tout fait pour la cacher à moi-même. Depuis petits, nous avons entretenu des rapports très amicaux, au point que nous nous considérons comme des meilleurs amis ou des frères et soeurs de coeur. Mais l'été dernier, notre relation a tourné court en quelque sorte, puisqu'Elliot n'a pas arrêté de m'envoyer des signaux ambigus ou même de flirter publiquement avec moi. Bref, à la fin de notre été, j'ai désiré m'entretenir sérieusement avec lui sur le devenir de notre relation, qui selon moi partait sur une pente trop glissante.
  Il m'a dit qu'il n'arrivait plus à penser à moi comme la petite Patience avec laquelle il avait pris de nombreux bains étant petit ou encore joué aux gendarmes et aux voleurs pendant des heures durant. Il a déclaré que depuis quelques temps il pensait perpétuellement à moi et qu'il aimerait peut-être tenter quelque chose autre que de l'ordre de l'amitié, à quoi j'ai répondu idiotement que j'avais potentiellement été secrètement à fond sur lui pendant toutes ces années. Grave erreur. Le début de la fin, je dirais même.
  Nous avons donc passé le reste de notre été ensemble, à l'abri de tous. Je ne regrette pas tout ce que nous avons partagé, mais je ne pouvais plus omettre un fait si gros à Danna. Donc, quand Elliot m'a fait une déclaration d'amour - lui, qui d'ordinaire, est bien loin d'un naturel romantique -, j'ai pris peur et mis fin à notre relation. Depuis, l'idée de lui avoir brisé le coeur me rend malade et m'obsède.
Je n'ai jamais été amoureuse en fait et pense être aromantique - c'est-à-dire une personne incapable de ressentir des sentiments amoureux pour une autre personne. Au début, je pensais être cassée, littéralement. J'ai toujours été la première à être fleur bleue, à lire des romans à l'eau de rose et pleurer devant des films d'amour. Malheureusement, c'était le genre de sensations que je ressentais seulement par procuration, en regardant des films ou en lisant. Je suis incapable de les ressentir dans la vraie vie.
Les filles pensaient alors que ce n'était qu'une passade, que j'avais perdu foi en l'amour après la séparation de mes parents quand j'étais encore au collège. Nous avions toujours été la famille parfaite, mes parents et moi. Ils étaient tombés amoureux au lycée et ne s'étaient pas lâchés d'une semelle depuis. J'étais leur petite fille chérie, un peu pourrie gâtée sur les bords, j'imagine. C'est pour ça que quand ils ont commencé à se disputer régulièrement, j'ai cru que le ciel allait nous tomber sur la tête. Puis quand ils m'ont annoncé qu'ils allaient prendre un peu de temps loin de l'autre - pour faire une sorte de break - je suis partie en vrille. J'ai commencé à consulter une psychologue et me suis complètement enfermée dans le travail.
- Patience ? T'as l'air vraiment dans les vapes, tout va bien ? me demande gentiment Cora.
Sa question m'extirpe complètement de ma crise existentielle. Je me lève d'un mouvement bref. Une mauvaise chose à faire apparemment puisque ma tête se met à tourner un peu, et me fait mal, comme si on quelqu'un l'avait prise pour un tambour et se défoulait les nerfs dessus.
- Vous savez quoi, allons nous baigner ! je m'écrie avant de zigzaguer jusqu'à la baie vitrée et de me remettre en maillot.
Un scoop sur moi : je ne tiens pas l'alcool et suis très impulsive. Ce n'est donc pas trop étonnées que Veronica et Cora me suivent sans broncher. Elles se mettent rapidement en maillot et me rejoignent alors que j'ai déjà de l'eau jusqu'aux mollets.
  Je m'apprête à proposer également à Danna mais celle-ci est bien trop soûle pour une baignade. En lançant un regard derrière mon épaule, je remarque qu'elle a déjà sombré dans le sommeil et que quelqu'un - sûrement Veronica - a ramené une couverture sur son corps svelte.
  Je me laisse disparaître sous l'eau et ferme les yeux. Tout à coup, j'ai une impression de calme intense, due au fait que tout est silencieux sous l'eau. J'ouvre mes yeux puis observe le bleu profond de la piscine. Quand j'étais enfant, je pouvais passer des heures dans la piscine de mes grands-parents. Mes très longues apnées interpellaient et inquiétaient beaucoup mes parents, ce que je peux concevoir. Ceci étant dit l'eau a toujours été le remède à tous mes problèmes. Je ne saurai compter le nombre de fois où, étant en proie à une colère passagère, j'avais plongé dans une piscine, peu importe la température extérieure, et cela m'avait calmé.
  J'émerge ma tête de l'eau et m'adosse au mur de la piscine, aux côtés de Veronica et Cora, les jambes faisant des allers retours dans l'eau. J'ai l'impression que sauter dans une piscine est mon quotidien, c'est affolant, je pense.

SACRAMENTO AFFAIROù les histoires vivent. Découvrez maintenant