Chapitre 3 : L'antidote

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Une fois que Sheinee eut séché ses larmes, elle se dirigea vers un autre bocal, où un lycanthrope de petite taille au poil noir d'encre était endormi.
- Elle s'appelle Marina McKinney, poursuivit-elle. Elle a à peine treize ans. (elle soupira) On l'a trouvée exactement comme toi, à l'entrée de la ville et poursuivie par des bêtes. Elle a eu moins de chance que toi, au dernier moment, elle s'est faite griffer à la cheville et a transmuté dans le labo.
J'eus un pincement au cœur en m'imaginant une jeune adolescente se transformer en une horrible bête assoiffée de chair et de sang.
- Depuis combien de temps vous collectionnez les loups-garous ici ? 
Elle me regarda perplexe. J'imagine que je n'ai pas dû bien employer le mot "collectionner".
- Le premier que nous ayons enfermé c'était il y a environ deux ou trois semaines.
- Comment est-ce possible ? Le virus n'est arrivé ici il n'y a pas deux semaines !
- On nous en a envoyé un par bateau pour essayer de trouver une solution avant que l'Amérique soit touchée, mais on ne peut pas dire que ç'a été une réussite, vu l'état de cette planète.
Je hochai la tête d'un air entendu. Elle m'expliqua par la suite qu'ils prélevaient chaque jour deux centilitres de sang d'un lycanthrope pour faire une analyse complète et déterminer son stade d'avancement et découvrir un anti-virus, qu'ils ont nommé Lupus Hominum. Elle a testé plusieurs poisons contre le virus qui ont tous tués la bactérie mais ils avaient une conséquence sur le corps humain qui pourrait anéantir la santé. Selon elle, un mélange de plusieurs poisons et plantes pourraient fonctionner, mais le « chef » du bunker n'a pas encore donné son avis.
- Et qui est donc votre chef ? demandai-je en arquant un sourcil.
- Il s'appelle Joshua Gibson, mais si tu veux tenter de lui parler en personne, c'est peine perdue : il est très occupé à se soucier de la survie du monde et de la capture des loups pour te faire la causette.
Sheinee me montra quatre tubes à essai où des liquides translucides légèrement colorés y étaient enfermés. Elle m'annonça que ces tubes à essais contenaient plusieurs tentatives d'anti-virus. Le premier, d'un bleu hypnotisant, avait tué le virus mais pouvait aussi tuer la personne. Le deuxième, d'un vert ennuyant, avait à demi neutralisé le virus sans causer de dégâts sur l'être humain mais la bactérie risquait de se réveiller à tout moment. Le troisième totalement transparents comme de l'eau de roche ne tuait pas le micro-organisme et provoquait une paralysie totale des jambes sur l'Homme. Et enfin le dernier tube contenait un liquide jaunâtre répugnant qui tuait le virus mais qui condamnait celui qui l'avalait à devenir Alzheimer à vie.
En bref, aucun des produits ne marchaient. C'est alors que Sheinee m'attira à l'écart, et me murmura à l'oreille.
- J'ai trouvé l'anti-virus qui tue la bactérie sans impact ni sur le corps ni dans le cerveau.

J'ouvris de grands yeux, ébahie, ne sachant pas quoi répondre. Sheinee a trouvé l'anti-virus pour rendre les lycanthropes à nouveau humains !
- Mais... C... C'est... C'est merveilleux Sheinee ! parvins-je à articuler. Il faut absolument montrer ta découverte !
Elle m'attrapa les épaules l'air très sérieux.
- Non, Alexis. Nous ne devons pas faire ça.
Je fronçai les sourcils.
- Quoi ? Mais, pourquoi ?
Elle se massa les tempes et inspira un grand coup, puis me tira par la main.
- Viens, ici ce n'est pas un lieu pour parler de ça.
Elle m'emmena dans une sorte d'appartement, à peu près de même que Sky. Elle ferma à double-tour la porte et couvrit tout trou d'aération avec un torchon. Elle éteint aussi le courant et n'alluma que quelques bougies, puis me fit m'asseoir sur le canapé. Les sourcils froncés et les yeux rivés sur Sheinee, je pris place sur le divan brun.
- J'avoue que je ne te comprends pas, Sheinee...
Elle s'assit à côté de moi et me regarda droit dans le blanc des yeux, et prit la parole.
- J'ai trouvé le remède il y a exactement cinq jours. Comme je te l'ai dit, il n'a aucun impact sur l'Homme et tue totalement le virus. C'est une découverte de la plus haute importance, Alexis.
- Eh ben ?! Il faut que tu aille en parler avec Joshua... Ou Monsieur Gibson, je ne sais pas comment vous l'appelez, mais on s'en fout, car ta découverte pourrait soulager la planète entière ! Pourquoi ne pas en parler, et pourquoi tu as éteint le courant ?
Elle baissa les yeux et les releva.
- Des caméras sont placées partout dans chaque appartement et chambre et tous les trous d'aérations sont sur écoute. Je te le répète, si ça se sait, nous courons un grave danger. (Elle soupira.) L'anti-virus est composé d'anti-gènes du virus, de quelques gouttes du liquide vert des tubes à essai ainsi que du GHB. (Ma respiration se coupa. Du GHB ? La drogue du violeur ?) Je l'ai testé sur un lycanthrope qui est redevenu humain et qui m'a juré de se taire. Je l'ai ensuite testé sur un autre humain qui n'a pas été contaminé. Comme je l'imaginais, il y a eu quelques complications : la personne est tombée malade, une grippe, et quand elle s'en est remise, au bout d'à peine quelques heures, elle était amnésique et m'obéissait au doigt et à l'œil.
Je me frottai la nuque.
- Je ne vois pas où est le problème...
Elle parut intriguée.
- Tu ne vois vraiment pas ce qui cloche ? Pour une autre guerre, les généraux pourront s'en servir comme arme de combat ! Je suis sûre qu'il y a un autre remède contre le virus qui pourrait sauver la planète, mais pas celui-ci.
Je plissai les yeux.
- Dis-moi, Sheinee, pourquoi me raconter cela ? On ne se connaît même pas, qui te dis que je ne suis pas, je ne sais pas, une espionne d'une ville voisine pour avoir le remède avant tout le monde ?
Elle émit un rire sans joie.
- Je sais que tu es une personne de confiance, et je crois en toi.
Je ne parviens toujours pas à y croire : Sheinee a découvert le produit qui sauverait le monde et elle ne veut pas le dévoiler de peur que cela créé des armes de guerre ! Pense-elle aux familles qui ont perdu des membres ? Pense-elle aux réfugiés sous terre ? Et aux personnes tentant vainement d'échapper aux créatures ? Il y a des personnes âgées, des enfants perdus dans la nature, dont les adultes qui veillaient sur eux ont étés dévorées ou mutées ! Certaines personnes ne savent même pas l'existence des bunkers... Et puis, pour le moment, personne ne se soucie d'une nouvelle guerre. Ils ont trop peur de sortir au dehors pour se battre contre un bunker voisin.
Je me levai et la fixai droit dans les yeux.
- Des personnes meurent au dehors, je doute que qui que ce soit se fasse du souci pour une nouvelle guerre. Et puis, les gens on trop perdu pour accepter cela.
Je me dirigeai vers la porte, la déverrouillai et sortis.

***

Ça devait faire deux voire trois jours que j'étais arrivée au bunker de Billings. J'ai fait quelques connaissances mais je n'ai plus recroisé Sheinee depuis notre « discussion ». J'ai un peu plus parlé avec Hillary qui m'a montré le bunker de fond en comble (Je ne le pensais pas aussi grand !) et Sky m'a confié une mitraillette pour me défendre contre des loups-garous. J'ai rencontré une petite de 6 ans qui avait perdu ses parents, et était arrivée en compagnie de sa grand-mère affaiblie. Elle s'appelait Rosie Barnes, et elle était très gentille. Hillary l'a prise sous son aile, elles semblaient beaucoup s'apprécier.
Ça devait faire une bonne demi-heure que j'étais allongée sur mon lit et fixant le plafond. Je n'avais rien à faire, et je m'ennuyais profondément. Je regardai l'heure sur mon téléphone ; 3h40. Malgré cette heure tardive, ça n'empêchait à personne de rester éveillé et de vivre comme le jour : ici, jour comme nuit, on ne faisait pas la différence. 

Soudain, quelqu'un entra dans ma chambre sans frapper : c'était Keisha Gomez, une infirmière. Elle avait le visage trempé de sueur et portait un masque de chirurgie ainsi que des gants. Voyant sa mine creusée, je me redressai aussitôt.
- Alexis, fit-elle en reprenant son souffle, on a besoin de toi. Une femme va accoucher et on manque de personnel.
Elle ne me laissa pas le temps de répondre et me lança des gants et un masque au visage, puis m'attrapa le bras et me tira dans le couloir.
- Mais je ne suis pas formée pour ça ! me plaignis-je en lui courant après. Je n'ai aucune connaissance en médecine et...
- On n'a pas le temps pour tes protestations, me coupa-elle. Une femme est sur le point d'accoucher et on a besoin de quelqu'un.
En arrivant sur les lieux, je vis une femme haletante, allongée sur un lit de fortune, entourée de plusieurs médecins qui lui parlaient doucement.
- Elle est enceinte de jumelles, confia Keisha qui se dirigeait vers le lit. Tu t'occuperas de laver les bébés ainsi que de les habiller OK ?
Je hochai la tête, peu convaincue. Pendant l'accouchement, un homme me montra un lavabo peu profond mais large, ainsi que deux lits et deux grenouillères en m'expliquant qu'il ne fallait surtout pas que l'eau ne soit à ma température, mais plus basse. C'est alors que l'infirmière qui faisait sortir les bébés bégaya et se tourna vers ses collègues :
- On a un problème... Il y a un troisième bébé.
Ce fut alors la panique générale : il fallait faire venir un lit de suite ainsi qu'une autre grenouillère et se préparer à une césarienne. Le premier bébé sortit sans encombre et on me le confia en me demandant de noter l'heure sur l'ardoise de son lit, ainsi que de faire ce qui était prévu.
Je mis le nouveau né dans la bassine et commençai à le remplir d'eau tiède (Plus froide que chaude.) quand j'entendis la mère crier. Le brouhaha m'empêchait de comprendre ce que le personnel disait mais je réussis à entendre les mots « césarienne » et « urgence ». On apporta un calmant à la jeune mère et l'aide-opératoire posa alors le "champ", un drap tendu sur son buste puis relevé à la verticale à hauteur du ventre pour empêcher la femme de voir les gestes du chirurgien. Quand Keisha vit que j'avais lavé et habillé le nourrisson, elle m'ordonna de la mettre dans une couveuse et de les rejoindre : l'opération risquait d'être plus difficile que prévue. Elle me demanda de poser sur le doigt de la mère ainsi que sur sa poitrine un capteur pour mesurer son pouls et sa fréquence cardiaque. J'avais les mains moites et ma respiration s'accélérait mais je fis ce qu'on m'avait demandé.
- Son rythme cardiaque s'accélère ! paniqua Keisha. Passez-lui un coup d'eau sur le front, vite !
On sortit le deuxième enfant et je fis la même chose qu'avec la première, mais lors de la sortie du dernier, tout ne se passa pas comme prévu : les battements de cœur de la jeune mère était beaucoup trop accélérés par rapport à la normale. On fit alors venir des hospitaliers qui la prirent en charge dans un autre bloc où on me demanda d'assister à nouveau.
Mon cœur battait à tout rompre, j'avais les jambes en coton et je ne pouvais plus placer un mot.
- Elle a une hypertension artérielle, elle est très pâle et elle a la peau moite ! secoua un infirmier. Elle va faire une hémorragie interne !
- On a jamais été formés pour ça, protesta un autre, qu'est-ce qu'il faut faire ?
Je me précipitai vers un robinet et me passai de l'eau sur la figure en analysant la situation : une femme vient d'accouchée de triplés, elle a fait une césarienne, risque une hémorragie interne et personne n'a été formé pour ça !
Ils n'eurent pas le temps de réfléchir à quoi que ce soit. Bip, bip, bip, biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiip, fit la machine, en jetant un froid dans le bloc opératoire.
J... Je ne peux pas y croire. Cette femme... Elle vient de... De... Sous mes yeux... Et ses enfants ? Qui prendra soin d'eux ? Qui s'en occupera ?
Mon cœur était vide. Je voudrais pleurer, et me ruer vers le corps comme j'aurai voulu le faire avec ma mère. Je ne connaissais pas cette femme, mais elle méritait de vivre. Les larmes me montèrent aux yeux sans que je puisse les en empêcher. C'était stupide, je ne savais rien de cette femme, c'était une parfaite inconnue.
Tout le monde ferma les yeux et se tut pendant une minute. Puis nous sortîmes. Aucun d'entre nous n'avait les yeux secs.
Je ne savais pas quoi dire, j'étais encore sous le choc.

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