Chapitre 5 : Le départ

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Alors que je prenais tranquillement mon repas à une table, seule, une personne s'assit en face de moi, un plateau dans les mains.
- Bonjours Sheinee, dis-je sans lever les yeux de mon assiette. Qu'est-ce qui t'amène ?
Elle me regarda quelques secondes puis dit d'une voix douce :
- La rumeur court que tu vas partir pour trouver un antidote. Est-ce vrai ?
- Oui, répondis-je. Je veux trouver un antidote inoffensif, un vrai.
J'avais insisté sur le dernier mot sans le vouloir. Elle soupira et s'attaqua à son assiette. Elle leva soudainement la tête vers moi avec un sourire malicieux collé aux lèvres.
- Je viens avec toi.
Je faillis m'étouffer avec mon bout de bœuf dans la bouche : je ne m'attendais vraiment pas à ça !
- Quoi ? Pourquoi ça ?
- Je voudrais rassembler mes efforts avec les autres scientifiques pour trouver la solution. Tu avais raison : je dois montrer cela à Joshua, il me dira ce qu'il en pense. Et puis, ajouta-elle en souriant timidement, je n'ai plus de famille, je ne manquerai à personne.
Je déglutis avec difficulté.
- Et Conrad ? Que fera-il sans toi ?
- Il reste et restera en lycanthrope tant que je n'aurai pas trouvé de solution. Je fais ça pour lui. Mais quoi qu'il en soit, nous irons voir Joshua ensemble après le repas.
Nous finîmes notre repas en silence puis elle m'emmena dans un endroit reculé du bunker.
Je n'avais aucune envie d'aller voir ce Joshua Gibson. En général, les hommes comme lui n'étaient pas très compréhensifs, et puis je ne voyais pas pourquoi j'aurai dû avoir son autorisation pour me barrer de Billings.
Les deux gardes postés devant la porte vérifièrent les papiers d'identité de Sheinee et nous laissèrent entrer. Le grand bureau sombre n'avait pour mobilier qu'une table, deux chaises et une bibliothèque. Ce qui m'intrigua c'est le Joshua Gibson qui s'occupait les dix doigts de la main à trier des papiers sans lever la tête. Il ne ressemblait pas du tout au portrait que je m'étais imaginée : il devait avoir la trentaine, les cheveux courts bruns et les yeux bleus, il était plutôt bel homme dans son costume gris.
Sheinee se racla la gorge et il leva enfin la tête de ses copies, puis il nous arracha un sourire charismatique.
- Bonjour Sheinee ! Mademoiselle, dit-il charmeur en me fixant.
- Bonjour Joshua, répondit Sheinee en se raclant la gorge. Voici Alexis, c'est une nouvelle arrivante d'il y a quelques jours. Nous venons te parler du sérum contre le virus Lupus Hominum.
Joshua détourna immédiatement son attention sur moi et son regard se fit tout de suite plus sérieux. Il colla ses doigts les uns contre les autres et demeura muet.
- Je... hésita-elle, j'ai trouvé l'antivirus...
- Mais ? fit Joshua. J'imagine que tu n'es pas venue ici dans le simple but de m'annoncer cela, il y a un problème, n'est-ce pas ?
- Oui... finit par avouer Sheinee. Je vais peut-être mal m'exprimer, je laisse la parole à Alexis.
Je me raclai la gorge un peu gênée.
- Ce sérum marche, en effet, mais il y a quelques effets secondaires : une personne qui n'a jamais été atteinte de la maladie devient Alzheimer et obéit au doigt et à l'œil à n'importe qui si elle absorbe cet antivirus. (J'inspire fort ma respiration.) C'est pour cela que je pense qu'il faut partir à la recherche d'Arthur Gonzales pour trouver un sérum inoffensif. (En le voyant plisser des yeux, j'ajoutai immédiatement :) Je ne vous demande pas votre accort, juste votre avis.
Il plissa le front et frotta ses grandes mains.
- Je peux vous laisser partir, mais je ne veux en aucun cas que vous forciez des gens à vous suivre. Il n'en est pas question. Mais il faut que vous ayez en tête que c'est une expédition à haut risque, ne croyez pas que vous en sortirez tous indemnes.
Je hochai la tête.
- Je crois que nous n'allons être que deux à partir, de toute façon, Sheinee et moi.
- Et quand comptez-vous partir ?
Je regardai Sheinee.
- Dans environ trois ou quatre jours, cinq maximums. Je vous informerai s'il y a des nouveaux participants.
Il acquiesça et nous sortîmes.
L'après-midi même, la rumeur avait déjà circulé dans tout le bunker : tout le monde se retournait sur mon passage, et une jeune femme était venue me voir en me demandant si j'allais réellement partir. Mais à deux, nous ne pourront rien faire, ni rien tenter ; il nous faut d'autres volontaires. Sheinee a décidé de faire une intervention pendant la pause de midi pour recruter des personnes.
Je regardai les familles s'installer avec leur plateau et fit signe à Sheinee que la majorité était présente. Elle grimpa sur une table vide et mis ses mains en porte-voix et demanda l'attention. Tous les regards étaient tournés vers elle et j'entendis des personnes murmurer à son sujet. Elle se racla la gorge et commença :
- Je pense que vous le savez tous, maintenant, mais moi ainsi que Alexis ci-présente, allons partir pour une quête qui pourrait faire changer le monde. Malheureusement, à deux, nous n'irons pas plus loin que Billings, c'est pourquoi nous avons besoin de votre aide. (Certaines personnes chuchotèrent des choses incompréhensibles, et une personne s'en alla.) Je sais que cette expédition est à très haut risque, mais pensez au futur. Si nous parvenons à localiser Arthur Gonzales et que nous arrivons à parcourir le monde jusqu'à son bunker, nous pourrions sauvez l'humanité. Certes, ça peut vous coûter la vie, mais vous ne mourrez pas en vain, vous aurez aidé le monde entier. (Elle pointa du doigt une femme aux joues creuses.) Vous madame, vous avez perdu un membre de votre famille, un proche ? Vous ne voudriez pas faire ça pour cette personne ? Pour lui rendre hommage ? Nous avons besoin de vous. De vous tous.
Elle descendit de la table et je la remplaçai.
- Je vous en prie, aidez l'humanité, aidez votre prochain. Nous aurions besoin d'autres infirmiers, d'autres scientifiques, des militaires aussi, et puis tout simplement des personnes comme vous et moi, qui sommes arrivés, perdus, et seuls.
Un homme environnant la trentaine leva la main.
- J'ai perdu ma fille et ma femme, je suis avec vous !
- Moi aussi ! renchérit une jeune adulte au teint plus pâle que le mort.
Lentement, d'autres personnes levèrent la main, et j'en comptai 11 en tout. 3 infirmiers, 2 militaires, 2 scientifiques et 4 rescapés. Je souris et redescendis de mon perchoir pour aller me chercher un verre d'eau.
Assise en tailleur dans mon lit, je contemplai de loin ma réussite : j'y étais enfin ! J'allais enfin pouvoir faire quelque chose ayant du sens à ma vie ! Toute mon existence, je l'avais concentrée sur mes études, sur ma famille et mes amis, sans que ça ait une réelle importance, et maintenant, j'allais faire quelque chose qui allait changer le cours de l'histoire. J'avais enfin un objectif : sauver ma mère, et sauver le monde.
Quelqu'un toqua à la porte qui s'ouvrit sur Hillary, la mine sombre. Elle s'avança et s'assit à côté de moi, le regard dans le vide. Elle resta un moment, sans rien dire puis leva ses yeux ténébreux vers les miens.
- Alors, fit-elle, tu vas vraiment partir ?
Cette phrase, bien qu'elle fût courte, était lourde de reproches. Je savais qu'elle allait vouloir m'en parler.
- Oui, finis-je par répondre un peu honteuse. Je sais que c'est compliqué et que...
- Je viens avec vous, coupa-elle. Je veux faire quelque chose de ma vie.
Elle baissa les yeux et avala sa salive.
- Avant qu'il y ait cette apocalypse, je n'avais pas vraiment de vie. J'habitais dans un minuscule studio pour un, et mon travail n'était pas... génial. Mais maintenant que je peux attraper l'occasion, je ne veux pas la lâcher.
Elle toussa et renifla.
- Et... je crois que Sky aimerait se joindre à vous aussi. Bon, reprit-elle en se levant, je vais te laisser, j'ai des choses à faire. Bonne soirée, Alexis.
Elle sortit en fermant la porte. Je tournai la tête vers l'endroit où elle était assise quelques secondes auparavant. Je me levai et préparais mes affaires, rangeant le tout dans mon sac de voyage.

***

Ma porte s'ouvrit et Sheinee apparut sur le pas de la porte, un sac à dos dans les mains.
- Tu es prête ? demanda-elle en souriant. On attend plus que toi pour partir.
- Oui, je vous rejoins dans une minute, dis-je.
J'attrapai mon sac et regardai une dernière fois ma chambre. Ce soir et tous les autres soirs de ma vie, je ne dormirais plus dans cette petite chambre sombre, dans ce lit dur et dans ces draps sales. J'inspirai un grand coup et sortis de la chambre sans un regard en arrière.
Quand j'arrivai dans le hall, la foule m'applaudit dès que je poussai les portes du long couloir. Hillary et Sheinee me rejoignirent et j'aperçus Sky vers d'autres militaires. Il me sourit et détourna le regard. Je fis un signe à Sheinee et après avoir vérifié que tout le monde était là et armé, elle divisa le groupe en deux, un avec elle et Hillary, et un avec moi et Sky. Puis elle partit de son côté et moi du mien. Sky nous fit emprunter un passage identique à celui que j'avais utilisé pour le rejoindre. Nous ressortîmes dans un grand garage poussiéreux aux vitres brisées. J'y jetai un coup d'œil ; les lycanthropes ne cessaient de se multiplier, sans jamais disparaître. Dans l'immeuble d'en face, je croisai le regard de Sheinee qui observait la ville détruite, cachés elle et son groupe dans un autre garage aussi démoli que le nôtre.
- Bon, chuchota Sky à l'ensemble du groupe, nous allons nous déplacer jusqu'à un parc éloigné de la ville en passant d'immeubles en immeubles. Je pars devant et chacun votre tour, en faisant bien attention à ne pas vous faire repérer, vous allez revenir vers moi quand je vous ferais signe. OK ?
Ils hochèrent tous la tête, l'air sérieux. Sky ouvrit une porte sur la droite qui donnait sur un minuscule passage piéton rejoignant une autre porte cabossée grande ouverte. Il regarda à droite et à gauche et traversa sans un bruit. Il fit signe à une femme de venir vers lui. Puis à un adolescent, et à un homme. Une branche craqua et nous nous figeâmes tous : une femme venait de marcher sur une brindille sèche. Un grognement retentit non-loin de là, et Sky attrapa la femme par le bras en me jetant un regard entendu : je fis cacher le groupe derrière des portes et de meubles. Je m'accroupis derrière la porte arrière du garage et observant à travers les fins trous. Une masse poilue passa lentement devant mes yeux. Mon cœur battait tellement fort que je craignis que la bête ne l'entendre, bien que mon souffle était coupé. Sur le carrelage brisé de la pièce, je vis l'ombre du loup-garou repartir en sens inverse. J'entendis mon nom être chuchoté au dehors et je sortis de ma cachette.
Quand notre groupe eut passé les trois immeubles et frôlé les deux loups-garous, nous nous trouvâmes dans le vieux bâtiment juste en face du grand parc aux toboggans rouges et aux balançoires jaunes. Sky se tourna vers le groupe.
- Vous voyez le van là-bas ? murmura-il en pointant du doigt une grosse voiture bosselée. Nous allons nous répartir en deux groupes : l'un avec moi et l'autre avec Alexis et on va avancer jusqu'à lui. On rejoindra les autres un peu plus loin pour être sûrs de ne plus être à la portée des loups. Bon, aller, go !
Il fit signe à quelques personnes de le suivre et les autres restèrent avec moi. Je regardai derrière moi : les loups-garous étaient à peu près tous regroupés vers un magasin, ça nous laisserait un peu de temps pour accéder à la voiture. En me baissant, j'avançais prudemment jusqu'à une cabane en bois où je m'accroupis face au reste du groupe. Je fis un mime de la main pour les inciter à venir.
Après quelques cachettes discrètes, nous parvînmes jusqu'à la voiture où nous attendait Sky et ses membres. Alors que j'entrais dans la voiture côté conducteur, un long hurlement me glaça le sang dans les veines : les loups-garous nous avaient aperçus. Aussi vite que mes mains tremblantes me le permettaient, je tournais la clef sur le contact pour la démarrer. Je jetai un rapide coup d'œil sur le rétroviseur : un groupe de poils grises et blondes arrivaient droit sur nous.
- Démarre bordel, démarre ! pressa Sky.
- Je fais ce que je peux !
Malheureusement, j'avais beau débrayer au maximum, la voiture de bougeait pas d'un poil. Mon cœur battait la chamade et mes mains étaient moites sur le volant immobile, mais ça n'empêchait pas les lycanthropes de nous rattraper à vue d'œil.
- Mais décampe putain ! hurlait Sky.
D'un coup, j'écrasai la pédale et j'entendis les pneus crisser, puis la voiture démarra dans un vacarme assourdissant.

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