Chapitre 6

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J'étais incapable de bouger. Ses pupilles sombres me fixaient, avides. Ils ne reflétaient aucune émotion, seulement les abysses sans fin de la mort. J'étais perdue, incapable d'arracher mon regard des yeux terribles de la créature de l'ombre. Quand Dušan m'arracha une nouvelle fois une rêne des mains, je revint à moi. Il bougeait dans tous les sens, incapable de se calmer. Il se cabra, avant de faire claquer ses sabots sur le sol avec un bruit sourd. Je sautai sur l'occasion. Ma vitesse décuplée par la peur, je saisi sa crinière, m'y agrippai de toutes les forces.

« Vas-y, Dušan ! » criai-je de toute mes forces. 

Il ne se le fit pas dire deux fois. Il s'élança telle un ouragan en furie, et je ne pu que m'accrocher de toutes mes forces à ses crins. Mes jambes pendaient dans le vide. La sueur ruisselait sur mon front, et je sentais les battements de mon cœur résonner dans mes oreilles. 

Elle nous pourchassait. Je la percevais sa présence, là, toute proche. Comme si je pouvais déjà sentir ses crocs sur ma gorge. Dušan accéléra -si c'était encore possible, et, dans un ultime effort, je me hissai sur la selle. En vie.

Je serrai mes jambes sur ses flancs, les doigts serrés sur ses rênes. Le bruit sourd du galop de l'étalon se répercutait sur les falaises en un puissant écho. C'était tout ce que j'arrivai à entendre. Elle était là, tout prêt...

Je me réveillais en sursaut. Décidément, dormir devenait difficile. Pourtant, le matelas était tout ce qu'il y avait de plus confortable, et les couettes me tenaient bien chaud. Mais je n'avais pas essayé de dormir depuis l'étrange apparition dans les montagnes. 

J'avais quitté l'ombre des montagnes depuis presque deux jours, mais ce souvenir me hantait. Je savais que ces manifestations cauchemardesques finiraient par se calmer. J'étais à Fenan, en vie, comme Dušan. Tout allait pour le mieux. Grâce à notre galopade improvisée, j'avais gagné plus d'une demi-journée. Le reste du voyage serait plus tranquille.

Je m'enroulai dans mes couettes et me retournai une nouvelle fois dans mon lit. L'auberge était silencieuse, pour changer de mon village. Pas un bruit ne venait trouver le silence ambiant, me permettant de calmer une nouvelle fois mon cœur affolé. Je ravalai un goût amer dans ma gorge, et fit taire une petite partie de mon cerveau qui voulait aller faire un câlin à « Papa ». Je n'étais plus dans son auberge, mais visiblement mon in- et subconscient n'avaient pas encore totalement capté.


Quand les premiers rayons du soleil se frayèrent une chemin timide à travers le verre de ma fenêtre, j'étais encore sous la couette. Je bâillai, puis m'étirai tranquillement. Finalement, le Marchand de Sable avait accepté de m'offrir un peu de repos. Je me levai, bâillai une nouvelle fois, puis commençai à me préparer. Quand je fus fin prête, je défis mes draps, rangeais les rares choses que j'avais sorti de mes sacoches et descendis pour prendre un petit déjeuner digne de ce nom.

Je saluai l'aubergiste d'un gauchement de tête et lui déposa les clés de la chambre dans les mains. Finalement, je m'assis à une petite table près du bar. La salle était un peu plus grande que celle où j'avais grandi, mais plus sombre. Les murs était de pierre sombre, comme le sol, où s'alignait des planches de chêne noir. Autour de moi, les gens discutaient allègrement, levant leurs verres de lait. Je me serais bien jointe à eux, mais je ne voulais pas m'attirer les foudres de l'académie avant même d'y être entrée.

Soudain, l'air devint plus lourd, et les personnes présentes cessèrent subitement leurs conversations. C'était comme si une bourrasque gelée s'était engouffrée dans la grande pièce. Je relevai les yeux de ma viennoiserie bien trop appétissante. Le silence régnait. Sans doute aurait-on pu entendre une mouche voler, si seulement l'une d'elle avait osé. Je comprenais pourquoi.

Le Mage du Dernier Soir - 1. Le MarquageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant