Les Tha'ir

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Les Tha'ïr nous trouvèrent ainsi quelques jours plus tard, épuisés et abattus. Ils étaient fous de rage de nous voir dans cet état, tête basse et flancs saillants. Même 'Ab ne parvenait pas à me réconforter. J'aimais tellement ma mère. Et Djamila, et Sayyid, Chitane, et Qamar ! Ils me manquaient tous.

En me voyant si dépitée, les bédouins m'ont emmenée, pour que je reste au moins avec mon père. Ziyada, dont j'étais l'ultime protectrice, m'a suivie, ainsi que mes amies Katib et Habiba. Mon demi-frère Mouqbil m'avait toujours détestée, mais étant le fils de Sayyid et Chebba, j'étais désormais sa seule famille. Il entra donc dans l'enclos derrière nous. Le reste du troupeau prit peur : rester si peu, dans le désert, était trop dangereux. Leur instinct grégaire l'emporta, et les plus réticents nous rejoignirent.

Nous avons donc vécu tous ensemble, du moins ceux qui restaient. 'Ab fut un vrai père pour ceux qui avaient perdu le leur, aidé dans cette tâche par les Qadim. Nous nous intégrâmes assez bien dans le troupeau domestique, à l'exception, comme toujours, de Ziyada. Cependant, j'avais réussi à rallier Katib et Habiba à notre cause, et nous étions désormais trois pour le défendre. Gare à celui qui prononçait une méchante parole ! Quant à Mouqbil, il était chaque jour plus insupportable. Il avait pris sous son aile les poulains et avait sur eux une influence exécrable.

Au bout de quelques mois, les Tha'ïr nous débourrèrent. Mouqbil et son groupe, persistant dans leur attitude négative, se rebellèrent et se révélèrent indomptables. Les Hommes ne parvenaient même plus à les approcher. Ils partirent pour le troupeau d'élevage des Tha'ïr et je n'ai plus jamais croisé leur route. Les Qadim étaient également assez rétifs. Mes amies Katib et Habiba se montrèrent assez méfiante au début, mais prirent rapidement goût aux balades dans les dunes avec leurs cavaliers.

Zi et moi avions confiance en nos ustad, que nous fréquentions depuis notre plus tendre enfance, et 'Ami avant nous. Bien que surprise par le poids de la selle, je me régalais à tourner en longe. Cet exercice me permettait de libérer toute mon énergie sans risquer de blesser mon ustad, même si tourner en rond peut se révéler lassant. Cela étant, on trouve toujours quelque chose pour s'amuser.

Les Qadim nous avaient parlé d'un tube dur et froid, inconfortable, que les Hommes mettaient dans la bouche de leurs montures. Ils appelaient cela un mmayit, un "mort", car il tue la bouche, et parfois même le cheval. Durant tout le débourrage, j'ai eu peur de rencontrer cette engin de l'iblis, mais les Tha'ïr ne l'utilisèrent jamais. L'objet resta pour moi une légende.

Je n'ai en revanche pas beaucoup apprécié le poids de mon cavalier. Mais Zi n'a pas bronché, il semblait même très à l'aise, et nous nous sommes toutes résolues à l'imiter. Les ordres, au départ confus, se sont rapidement éclaircis. Zi, raide et incapable de tourner court, fut offert à la belle-fille du cheik. Katib nous a tous surpris par sa vivacité, anticipant les demandes, parfois à tort. Après avoir plusieurs fois manqué d'éjecter son cavalier en cherchant à le contenter, elle fut confiée à un bédouin expérimenté qui cherchait un cheval rapide et agile pour trier les moutons. Habiba, pourtant pleine d'allant lâchée dans les dunes, se révéla froide et préoccupée du confort de son cavalier. Elle fut confiée à un vieux tranquille.

Quant à moi... Je fus parfaite. Je tournais très court, je sautais rond, large et haut, j'obéissais au doigt et à l'œil sans être brusque. Gracieuse, toujours tête et queue dressées au vent, allures fluides et foulées relevées, j'étais belle, jeune, agréable à monter et à regarder, et je conquis plus d'un cœur. Le vieux cheik me garda pour son usage personnel. J'étais devenue une belle et fière jument d'un mètre cinquante-deux au garrot, robe de flammes et crins acajou, aux jambes longues et fines et aux allures de modèle. Avec ma tête petite et fine, mes oreilles légères, mon corps fin et rassemblé, j'avais tout pour plaire et je le savais. Tous les jeunes chevaux me tournaient autour, et je me faisais un malin plaisir de les éconduire.

On ne pouvait malheureusement pas en dire autant de Zi : toujours aussi laid, mais tellement gentil ! J'aimais plus que tout ses larges tâches noires. Elles me réconfortaient lorsque que je pensais à ma mère disparue.

J'aimais ma nouvelle vie. Bien sûr, je n'étais pas aussi heureuse qu'avant. Ma famille me manquait. Mais le temps estompe la douleur et la reporte aux moments où, seuls, la nuit, on fait appel à l'esprit des disparus.

Cependant, je n'étais pas seule chez les Tha'ïr. Mon vieux cheik m'aimait et me choyait, et m'emmenait chaque jour galoper dans le désert, gravir péniblement les dunes, les dévaler en glissant. J'adorais ces sorties quotidiennes. Ziyada, dont l'endurance et l'aptitude à galoper grandissait chaque jour, nous accompagnait le plus souvent. Notre amitié s'en trouvait renforcée, personne ne pouvait plus nous séparer. Je ressentais pour lui la même tendresse que je voyais autrefois entre mes parents. Une tendresse immense, une chaîne reliant mon esprit au sien, qui me vouait à lui rester fidèle, sans pouvoir ne serait-ce qu'envisager le trahir. Les Tha'ïr, craignant cette proximité, résolurent de le "couper" pour éviter un poulain indésirable.

Lui, Katib, Habiba, 'Ab et moi nous promenions souvent ensemble, avec ou sans cavalier, respirant avec délice l'air sec du désert.

Mais tout à une fin.

Et le destin s'est chargé de nous le rappeler...

La Flamme ArabeWhere stories live. Discover now