Les Khabith

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Mon vieux cheik, même lorsqu'il était malade, trouvait toujours le temps et la force de venir me voir chaque jour, de me panser, de me monter. Il n'avait pas oublié la tragédie que j'avais, si jeune, endurée.

Mais un jour, il n'est pas venu. Ni le lendemain. Ni le jour suivant. Et j'ai compris qu'il ne viendrait plus.

Démoralisée, j'ai atterrit chez les ustad de 'Ab et Ziyada. Ils étaient gentils, mais le vieux cheik me manquait, et avec lui les galops dans le désert au soleil couchant.

Puisque je n'étais plus d'aucune utilité, les nomades se résolurent à contre cœur à me vendre. Avec Ziyada, évidemment ; ils savaient que nous n'aurions pas supporté la séparation.

Au début, les nouveaux ustad, une tribu appelée Khabith, nous laissèrent nous adapter au troupeau. Nous ne comprenions pas cette appellation, qui dans notre langue signifie "méchant". Leurs chevaux n'étaient pas très sympathiques. Ils communiquaient peu et uniquement pour lancer des appels de détresse, au moment de partir travailler. Ils semblaient craindre leurs ustad au plus haut point, de même que les Hommes de manière générale. Ils refusaient de nous croire quant à la gentillesse des Tha'ïr, et à la possibilité d'une amitié entre un homme et un cheval. Pour eux, l'Homme était le bourreau suprême, l'instrument des mille tortures, et le cheval sa victime de choix.

Au bout d'une semaine environ, les Khabith vinrent nous chercher. Ils nous ont placé dans la bouche une barre dure et froide, qui tordait nos bouches dans une position douloureuse. Cet objet répondait parfaitement au signalement du "mort" dont nous parlaient les Qadim. Ensuite, ils nous ont posé sur le dos une selle d'une lourdeur inouïe, décorée à outrance, et serré la sangle si fort que j'avais peur d'exploser. Une lanière à pompons et fanfreluches, partant de la selle, faisait le tour de mon poitrail et de mes épaules. Une autre se faufilait entre mes antérieurs pour relier la sangle à ma tête et une dernière passait autour de mes fesses et sous la queue. Toutes les parties de mon harnachement étaient ornées de pompons multicolores qui gênaient ma vue et mes mouvements. Je n'avais jamais rien vu d'aussi désagréable, mais notre calvaire n'était pas terminé.

Ils nous menèrent dans un espace clos et montèrent en selle. Ils avaient en main d'étranges bâtons longs. Mon cavalier leva le bras, et un trait de feu me cingla violemment la croupe. Sous le coup de la surprise, me sentant attaquée par derrière, je ruais comme une folle, rejetant la tête en arrière si vivement que j'assommais à demi mon cavalier, qui roula à terre. Faisant une brusque pirouette, je me retournais, mais l'ennemis qui m'avait attaqué était invisible.

Plein de rage, mon cavalier se dirigea vers moi en frappant violemment son bâton contre sa botte. Les jarrets tremblants, je manquais de m'effondrer lorsqu'il monta en selle.

De nouveau, il leva le bras. Une voix, nous faisant sursauter, retentit derrière moi :

"Arrête avec ta cravache ! Elle vient de chez les Tha'ïr, elle ne connait pas ! Essaie tes talons !"

La façon dont le nom de nos anciens ustad, si gentils, était craché avec tant de mépris, m'emplit de haine envers ces Khabith. La cravache ! C'était donc ce qui m'avait attaquée ! Les Qadim en parlaient, mais je n'avais aucune idée de ce que ça pouvait être. Je comprenais, à présent, l'attitude des chevaux Khabith. Pour une fois, moi, si belle et fière, j'enviais Ziyada, mon ami si laid mais étonnamment résistant.

En effet, mon ami restait de marbre sous les coups. Seuls sa queue bougeait, fouaillant comme pour chasser des mouches. Soudain, il en eut assez et, d'un saut de mouton magistral, envoya son cavalier mordre la poussière.

De son côté, mon bédouin écouta le conseil de la voix méprisante et baissa le bras, ce qui permit aux tremblements de mes jarrets de s'estomper. Les jambes qui m'enserraient les flancs se soulevèrent et, pleine de bonne volonté, je m'apprêtais à marcher. Cependant, ce ne fus pas une brève pression mais un énorme coup d'éperon qui m'écorcha les flancs. Surprise et meurtrie, je bondis en avant et partis au galop, à pleine vitesse, tandis que Zi, à présent déchaîné, galopait dans tous les sens pour échapper aux bédouins. Je ne fis cependant que quelques foulées, mon cavalier étant resté compter les grains de sable au point de départ.

Suite à cette journée, Zi et moi avons été classés dangereux. On nous plaça dans un corral à part, comme des pestiférés en quarantaine. Nous restions toujours collés l'un à l'autre, nous protégeant mutuellement des mouches et des pierres qu'on nous lançait. Nous regrettions amèrement les Tha'ïr mais, ensemble, nous pouvions profiter de notre complicité.

La Flamme ArabeWhere stories live. Discover now