XVI. Ce Désir

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C’est un désir longtemps enfoui qui refait surface. Il m’anime, je ne pense qu’à lui et son impossible accomplissement. Il est là, emplit la moindre parcelle de mon âme, il ne passe pas une seconde sans qu’il ne me quitte.

Je rêve de planter mes ongles dans ma chair, entailler ma peau pâle, plonger ma main dessous. Agripper cette brûlante sensation, l'arracher, briser les tendons qui la retienne à mes entrailles, la retirer de moi, laisser un trou sanglant dans mon ventre, seule trace de sa passée présence en moi. Cela cicatrisera, comme toujours.

Je rêve que, son extraction achevée, je puisse la tenir dans ma main gauche, sentir sa chaleur dans ma paume. C’est une boule dorée, informe et pourtant presque solide, je sens son toucher si soyeux, lisse et doux. Je pourrais enfin être libre de ses brûlures incessantes en moi et de son contrôle tout-puissant sur ma vie. Libre de tout ce qu’elle m’obligeait de contenir jour après jour. Libre du poids qu’elle jetait sur mes épaules, quelques grammes de plus à chaque seconde d’existence. Libre de sa façon si pernicieuse de m’épuiser et de faire en sorte qu’à chacune de mes chutes, me relever soit toujours plus pénible.

Je rêve d'enfoncer ensuite mes doigts dans mon crâne jusqu’à sentir à leur bout ma cervelle, chaude, gluante. Que mes phalanges se perdent dans ce labyrinthe synaptique jusqu’à trouver une obscure sensation gelée. La saisir de mes doigts et même si elle est solidement encrée dans ma mémoire, forcer, l’arracher avec véhémence et sans le moindre regret. Gouttes pourpres giclant sur le sol blanc. Trou laissant apparaître mon cerveau, là où elle a demeuré des années durant.

Je rêve que, son extraction achevée, je puisse la tenir dans ma main droite, sa fraîcheur sur ma peau. Celle ci est plus froide que la glace et plus sombre que les ténèbres. Malgré son enveloppe lisse, on y voit à l’intérieur une tornade se déchaîne, en continuelle violente dévastation de ce qui l'entoure. Je serais enfin libre des questionnements incessants qu’elle engendre, des pensées mornes et sinistres, ayant depuis longtemps anéanti toute autre forme de réflexion. Libre de son emprise dictatrice sur mon esprit et sur ce qui le traverse. Libre de toute la torture quotidienne qu’elle m’inflige et dont je ne peux me défaire. Libre de cette façon qu’elle à d’altérer la réalité en me plongeant dans un cauchemar éternel.

Je rêve d’être là, la main droite portant la boule noire de mes tempétueuses et perpétuelles pensées, la main gauche portant la douce boule dorée de mes émotions si tenues et intarissables. Debout, trous béants dans le ventre et la tête, couverte de sang, désormais sans ressentis ni pensées, sans rêves ni buts, sans angoisses ni passions. Vide mais calme. La fin tant désirée de ces permanentes persécutions intérieures, le début d’une vie accalmie et sereine.

Mais voilà, ce n’est qu’un désir, la réalité est toute autre.

10/02/2020

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