✓ Chapitre 4: La perte (de mémoire)

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Mon esprit vacilla dangereusement. Mes jambes se transformèrent en coton. J'eus beau avoir retrouvé la capacité de marcher correctement, je m'écroulai contre le mur, ma colonne vertébrale glissant contre le béton glacé.

Mes bras ramenèrent mes jambes contre ma poitrine. Recroquevillée en signe d'impuissance, l'air frais m'engloutissait dans la noirceur du long couloir vide. Je fus complètement perdue.

J'imaginai beaucoup de choses et me posai des questions sur la vision que j'avais entrevue. Je ne sus pas s'il fallait y croire ou si mon cerveau ensommeillé et épuisé par la montée des escaliers m'avait rendu confuse.

Étais-je devenue folle ?

Une main se posa sur mon dos, me réveillant en sursaut. Désorientée, je mis plusieurs secondes à reconnaître l'endroit où je me trouvai. Le couloir. Mahaut afficha un air grave, étonné. Une odeur légère de croissants tièdes s'élevait dans l'air ambiant.

Elle s'agenouilla auprès de moi, attendant que je parle. Ma mâchoire s'ouvrit... mais les sons restèrent bloqués dans ma gorge. Mes larmes fondirent sur mes joues. Calmement, elle posa ma tête dans son cou et caressa ma tête, comme on le ferait à un jeune enfant ou a un chien.

- Chht...

Au bout d'un petit moment, elle me fit revenir sur mon lit et m'enroula dans une couette chaude. Elle sortit la boite cachée sous mon lit et en retira un pot de pâte à tartiner au chocolat. Elle tartina nos croissants refroidis et rangea notre trésor sucré dans son coffre secret.

- Je voulais t'en faire la surprise, mange.

- Merci...

Elle ne rajouta rien, ne demanda rien. Pourtant, elle devait en mourir d'envie. Mais elle comprenait, dans une certaine mesure, que je lui dirai au moment où je serai prête.

Je grignotai le croissant au beurre du bout des lèvres. Son odeur sucrée m'écœura. J'en avalai un petit bout et ma langue se délia. Je racontai ce qu'il s'était passé. Ce que j'avais cru voir. Du moment où j'avais monté les escaliers jusqu'à mon arrivée dans le couloir, en passant par le cachet que j'avais pris. Ma voix se fit tremblante, hésitante. Elle me regarda comme si elle ne savait pas quoi en penser.

- Le mieux, ce serait d'y retourner. Pour que l'on soit sûre.

Mes yeux s'écarquillèrent devant cette perspective. Ma tête pivota mécaniquement de droite à gauche. Je protestai, ne voulant rien entendre de son idée. Elle qui avait si peur de cet endroit, en apprenant qu'il était peut-être pire que tout ce qu'elle imaginait jusqu'alors, voulait y aller ? Cette proposition me paraissaient totalement irréelle, allant à contresens du raisonnable.

Je courus m'enfermer dans la salle de bain, fuyant cette discussion. Je pris une douche brûlante, en espérant qu'elle lavera mes souvenirs. Je voulais oublier. Pour une fois, je souhaitai supprimer tous mes rêves farfelus à propos de ma famille imaginaire, oublier ce que j'avais vu.

Je laissai vagabonder mes pensées. Mon rêve repassa dans ma tête, comme si je le passais en boucle pour mieux l'oublier. Je repensai à cette violence, ce missile, ces cadavres jonchant le sol. Je fis partir ces images que je voulais retenir, il y a quelques heures à peine.

- Peut-être que ta vision vient du fait que tu ais pris beaucoup plus de cachets que d'habitude. Tu as fâcheusement tendance à ne pas les supporter, continua Mahaut à travers la serrure. Joy ?

- Oublier. Oublier. Je veux oublier, psalmodiai-je en murmurant sous l'eau ruissellante, en ignorant la voix de ma plus proche amie. Sois normale. Oublie tout.

Je sortis de la douche. Après la chaleur de l'eau, la pièce me sembla trop froide. Je fixai mes jambes. L'une était complètement poilue. La faute au plâtre... Je m'emmitouflai autour d'une serviette. Je me rasai rapidement, vaguement et distraitement. Le résultat rendu était bien éloigné de la perfection, mais cela m'était égal.

Les cheveux humides tombant dans mon dos nu séchaient naturellement. Je détestai pourtant cette sensation d'être sèche et trempée à la fois, mais cette fois-ci, la fraîcheur de mes cheveux ne me gênait guère. Je sortis chercher des vêtements, heureuse de pouvoir enfin remettre les miens. Pouvoir enfiler un short avec des collants bariolés, avant de glisser mes deux pieds dans mes chaussures dépareillées. Je me sentis moi-même. Unique et extravagante. Sans gêne. Joyeuse, comme mon prénom.

Mahaut se penchait sur le rebord de la fenêtre, le visage anxieux. Je m'approchai d'elle en enfilant mon t-shirt et un pull léger par-dessus.

- Tu es contrariée par quelque chose ? lui demandai-je.

- Je culpabilise surtout, en fait. Je suis désolée de t'avoir demandé une chose pareille. Je me doute que ça doit être dur de te demander de retourner à l'hôpital. Je ne veux pas t'y forcer... je m'en veux de te l'avoir demandé. Alors qu'hier, j'ai même refusé d'y mettre les pieds.

- Mais de quoi tu parles ? Pourquoi je retournais à l'hôpital ? Ça y est, pouf, disparu mon plâtre ! Aucune raison d'y retourner. Promis, je compte rester en bonne santé pour pas mal de temps. Surtout qu'on a la course d'orientation, bientôt.

- Pour vérifier que ce que tu as vu là-bas, avec la fille en cage, si cette scène atroce était réelle ou pas.

- Mais... de quoi tu parles ? Je suis juste allée faire retirer mon plâtre, rien de bien sorcier. Tu parles d'un film ? Une fille en cage... tu parles de Splice ?

Mahaut me lança un drôle d'air avant de me demander si j'allais bien. Répondant par l'affirmative, je lui dis de se dépêcher pour aller déjeuner avant qu'il n'y ait plus grand chose.

- On a déjà un peu déjeuné, ce n'est pas si grave s'il ne reste plus rien en bas...

- Toi peut-être, mais moi je n'ai rien avalé !

- Joy, tu viens d'avaler deux croissants, juste avant ta douche.

- Mais non, je t'assure.

- Mais pourquoi je te mentirai... Tu ne te souviens plus ? C'est bizarre. J'ai l'impression que tes souvenirs de ce matin se brouillent... tu es sûre que tout va bien?

J'avalai ma salive en essayant de déterminer le goût qui me restait sur la langue.

- J'ai un goût de chocolat dans la bouche, murmurai-je.

- Tu te souviens?

- Non.

Malgré tout l'effort que je fis, je ne réussis pas à me rappeler de ce moment. Mon esprit était sûrement embrumé, sachant que le sommeil avait été de trop courte durée. Ces souvenirs de petit déjeuner me semblaient si inutiles que je décidai d'oublier cette histoire de petite amnésie soudaine. Non, vraiment, tout allait très bien !

L'orphelinat des enfants trouvés [En Réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant