Puzzle

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            Devant le miroir de ma chambre, mon corps s'y reflète comme une étoile filante. On y croit pas mais c'est pourtant la vérité. Dans le mauvais sens du terme dans mon cas. Je suis debout, légèrement tremblante et en culotte, comme il y a peu de temps chez le psy. J'ai supplié mon père de ne pas aller en cours pour le reste de la journée, et devant mes paroles plaintives, il a fini par craquer et accepter. Un après-midi qui s'offre à moi gâché par le fait que je ne peux plus quitter ma cuisse gauche des yeux. Comme-ci c'était une merveille tout droit descendue du ciel. Mais c'est plutôt un démon tombé des enfers, créer à la seule force tranchante des mes ongles.
          Du bout des doigts, j'effleure ma peau. Ils dessinent des dunes créées par les maintes boursouflures et cicatrices. Je reste quelques secondes, quelques minutes, je ne sais plus, à toucher ma peau meurtrie. Je reste là, interdite, fascinée et dégoûtée de mon propre corps, jusqu'à que des larmes viennent troubler ma vue et glissent du haut de mes joues jusqu'aux commissures de mes lèvres qui ont désormais un goût salé. Prise pas je ne sais quel sentiment, je pince ma peau pour la saisir et essayer de la rapprocher pour recouvrir les boursouflures. Je tente ce petit manège cruel pendant un moment, recommençant à chaque fois que ma peau me glisse entre les doigts. J'abandonne et me laisse tomber sur le sol, sanglotant silencieusement sur le bois refroidissant mes cuisses nues. C'est comme-ci il me manquait quelque chose. Comme-ci j'étais un vulgaire puzzle à laquelle il manquait une pièce, aussi bien sur mon corps que dans ma tête. Je sais ce qui me manque sur mon corps. De la peau. Mais dans ma tête, je ne sais pas vraiment. Tout est confus et mélangé, pourtant c'est évident qu'il y manque quelque chose pour que je sois heureuse. Le problème, c'est que je nais pas quoi. 

        Tout d'un coup, j'entends des pas provenant des escaliers, alors je cours pour me remettre sous les draps et dissimuler le monstre que je suis. En effet, la porte s'ouvre en grinçant sur le visage bienveillant de ma mère. Elle tient une tasse couleur pastelle du quelle s'échappe de la fumée. 
- Coucou ma chérie, me sourie-t-elle en s'asseyant au bout de mon lit. Je t'ai préparé une bonne tasse de chocolat chaud. 
Je prie intérieurement pour qu'elle ne remarque pas mon visage bouffi et mon pantalon sous mon lit. Je saisis la tasse du bout des doigts pour ne pas me brûler et la pose sur ma table de nuit le temps qu'elle refroidisse un peu.
- Ça ne va pas fort, toi. Raconte moi tout.
J'essaye de dévier la conversation.
- Et toi, ça a l'air d'aller mieux. Tu n'as plus la crève ? je lui demande avec mon visage le plus innocent possible.
- Je ne sais pas, c'est sûrement en train de se calmer. Mais toi, ça ne va pas. Je le sais, Anna, insiste-t-elle en caressant ma joue.
Une envie folle de pleurer et de hurler me prend, mais je compte jusqu'à dix et maîtrise mes émotions. Tout va bien se passer, Anna. 
- Ça ne s'est pas très bien passé, chez la psy, je lui avoue d'une voix étrangement calme. Je n'ai pas très envie de tout raconter, mais j'ai de plus en plus l'impression d'être tarée. Ouais c'est ça, une tarée.
Elle stoppe sa main qui était toujours sur ma joue.
- Anna, tu n'es pas tarée. Crois moi. C'est à cause de tes cauchemars que tu penses ça ?
Pas que. Mais je ne parle pas de cuisse, pour lui éviter ce traumatisme visuel.
- Oui. Les enfants normaux en font quelque fois, mais moi c'est pratiquement toutes les nuit. Mais il n'y a pas que ça. J'ai l'impression qu'il me manque quelque chose. Et à cause de ça, c'est comme-ci tout le reste fonctionnait à l'envers.
Vu qu'elle ne répond pas, je comprends qu'elle aussi me pense folle ou anormale. Ou les deux.
- Tu vois, toi aussi tu me prends pour une tarée, je m'énerve en serrant les poings.
- Non, c'est faux, me rassure-t-elle. Je te crois quand tu me dis que tu as la sensation qu'il te manque quelque chose. 
Elle se lève, avance vers la porte, et avant de partir se retourne.
- Tu trouveras, j'en suis certaine. Ce n'est si ça trouve pas aussi important que tu le crois. Bon, on t'appelle pour dîner, dit-elle en refermant la porte.
Je reste les yeux fixés sur cette dernière. Si, c'est important, j'en suis persuadée. Sinon ça ne me perturberait pas autant. Mais la question est : Où te caches-tu, pièce manquante du puzzle ?


A fleur de peauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant