La trappe

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      Je hurle de toutes mes forces, à gorge déployée. Je me recroqueville par terre en enfonçant mes ongles dans mes cheveux. Je me balance.
 Un, deux, trois, un deux, trois.
Tout pour ne plus la voir, elle et ce sang.
Soudain, des mains se posent sur mon dos alors je crie de plus belle, en me débattant et en griffant tout ce qui se trouve à ma portée.  La morve vient se mêler à mes hurlements déchirants, lorsque des voix parviennent jusqu'à mes oreilles.
- ANNA ! C'EST NOUS ! CALME TOI, C'EST JUSTE NOUS, ANNA !
Je reconnais la voix de mes amies, paniquée et apeurée. Sentir leur présence parvient à calmer mon moment de fureur, mais je n'oublie pas la fillette.
- SAUVEZ VOUS ! ELLE EST LA, ELLE EST JUSTE LA !
Je me relève brusquement la tête pour m'assurer que mes amies vont bien, que la fillette ne les ait pas touchées. Mais rien. Elle n'est plus là. Les miroirs ne reflètent que moi, le visage déformé par l'horreur et celui de mes amies, paniqué. Je balbutie, pointant d'un doigt tremblant les miroirs.
- Elle était là... Elle... elle était là... Là..là...juste là...
Mes amies échangent un regard confus, avant de me soulever pour me remettre de bout. Elles me tournent face à elles, mais mon regard reste scotché aux miroirs qui nous entourent, tels une prison de verre. Non. Elle était là.
- Je vous le jure, je dis en éclatant en sanglots silencieux, agitant mes épaules.
- Mais qui était là, Anna ? Qui ?
Je lève des yeux humides et terrorisés vers elles. Pourrais-je leur raconter ? Ne me prendrait-elles pas pour une folle à enfermer ? J'étudie leur visage un court moment pour décider que je peux leur faire confiance, à toutes les deux. Il faut que je raconte à quelqu'un. Je ne peux plus ignorer ce que je vois. 
- Et bien...
Et voilà, je leur raconte. Mes paroles sont un peu confuses, maladroites, mais réelles. Elles ne m'interrompent pas, mais me dévisagent juste avec des yeux qui ont soifs d'en apprendre plus. A la fin de mon récit, je me sens un petit peu mieux, mais un poids oppresse toujours ma poitrine, étouffant et pesant.
- Oh... disent-elles seulement. 
Mes épaules s'affaissent. Elles ne me croient pas. En même temps, je ne peux pas vraiment leur en vouloir. J'aurais sûrement réagis de la même manière si quelqu'un me racontait tout ça au  milieu d'une attraction. Mais malgré tout, ma lèvre inférieure se remet à trembler dangereusement, signe que je vais craquer. Je pars en courant, slalomant entre les glaces pour ne pas me cogner encore une fois. J'ignore les cris de mes amies qui hurlent mon prénom. J'entends même un "Annabelle", ce qui veut dire qu'elles veulent vraiment me retenir. Mais trop tard. Il faut que j'y retourne et que mette un terme à toute cette histoire. Il faut que je retourne dans la cave. 

        J'ai pris le bus pour renter à la maison. Et maintenant, je me tiens debout, devant la porte de la cave, la main tremblante. Il faut que je cherche. Il faut que je sache qui était cette fillette et ce qui lui est arrivé. En espérant qu'elle arrêtera de hanter mes nuits. Et ma vie. 
Je souffle un bon coup, introduit la clé dans la serrure et ouvre la porte en un grincement sec et sinistre. La lumière de mon portable braquée devant moi, je descends les escaliers en me répétant que tout ça va bientôt se finir. Il ne peut pas en être autrement.
Je n'hésite pas une seconde et vide tous les cartons un  par un pour ne rien oublier de vérifier, d'inspecter. Le fracas des objets sur le sol en béton me fait sursauter à chaque objet qui s'écrase lourdement par terre.
De longues minutes plus tard, je baisse les épaules et m'écroule par terre pour la seconde fois en quelques heures. Je n'ai rien trouvé de nouveau. J'ai beau avoir vérifié et fait défilé chaque pages de tous les bouquins, cela ne m'a rien apporté. Je craque. 
- MAIS QUI ES-TU? POURQUOI FAIS-TU CA ? QU'EST CE QUE TU ME VEUX ? je hurle en fondant en larmes.
J'agite la tête dans tous les sens comme-ci je voulais me défaire de son image, lorsque soudain, j'aperçois un éclat lumineux provenant du fond de la cave. Je me relève doucement, les cheveux dans tous les sens. J'approche à pas lents vers la lumière en question, et m'accroupit, le cœur  battant, prêt à jaillir à tous moments. Il s'agit de la poignée métallique d'une trappe. Mes mains deviennent subitement moites. J'approche mon visage de la trappe pour entendre s'il n'y aurait pas un bruit. Mais rien, à part une étrange odeur qui me donne des hautes-le-cœur. Je relève la tête et me frotte les mains, pour me donner du courage. 
1
Je saisis la poignée gelée entre mes doigts tremblants.
2
J'inspire un grand bol d'air.
3
Je soulève la trappe.
Mes doigts restent figés en l'air. Des glaçons. Une trappe remplit de milliers de glaçons. J'ose enfin respire à nouveau, toujours avec cette étrange sensation au creux du ventre. Mais ma main tremble encore, peut-être même plus qu'auparavant. Ma tête me fait souffrir, tout d'un coup. Ce n'est pas fini, Anna. Courage, et tu pourras enfin souffler. J'écoute ma raison et plonge ma main dans la trappe. Je frissonne au contact du froid. Je farfouille, balaie, ramasse sur les côtés les glaçons. Et soudain je me fige. Des cheveux se faufilent entre les glaçons. Je descends un peu plus les yeux et je le vois. Le visage. Le corps. Frigorifié. Blanchit. Encroûté de sang. Mort. 
Je distingue enfin l'odeur. Celle d'un cadavre. Je sens mon déjeuner remonter à toute vitesse dans ma gorge. Mais mes yeux s'écarquillent d'horreur. Ce n'est pas n'importe quel corps. 
       C'est celui de ma mère.



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