Allô ?

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        Mes yeux s'ouvrent et prennent un moment à s'acclimater à la pénombre de la chambre. Je suis entortillée dans mes draps défaits, qui collent à ma peau à cause de la sueur. Je me suis endormie ? Je me masse les tempes et baille, en enlevant les cheveux coincés dans ma bouche. Je me rappelle la nuit que j'ai passée, plutôt affligeante. J'ai écouté de la musique en montant le volume à chaque fois que mes paupières commençaient à tomber sous la fatigue, mais j'ai dû m'endormir vers cinq heures du matin. Je pose mon casque et mon portable sur ma table de nuit, en regardant mes somnifères juste à côté. Si mon père et ma mère savaient que je ne les ai pas avalés, ils ne seraient pas rassurés. Ils sont censés m'aider à dormir sans être apeurée par mes cauchemars, mais je ne les trouve pas assez efficace. Alors, la seule solution, c'est de ne pas dormir. Oui, oui, c'est ce que je vais faire à présent. Soulagée, je me lève d'un bond et m'habille pour descendre prendre le petit-déjeuner. Je dévale rapidement les escaliers, mais me stoppe quand j'entends mon père téléphoner à quelqu'un.
- Oui, oui, je comprends... mais on avait déjà eu cette discussion dans notre ancienne maison... non, non, elle ne trouve pas ça utile et en quelques sortes, je la comprends... oui, je sais bien, mais... oui je lui parlerais... au revoir. 
       Je m'avance derrière lui.
- C'était qui ? 
Il sursaute, et quand il s'aperçoit que ce n'est que moi, il soupire.
- Il faut que tu arrêtes de me surprendre comme ça, c'était ta psy. Apparemment, elle t'aurait à votre dernière séance que tu devais aller voir une de ces collègues, dans le village, mais celle-ci a appelé et ne t'aurait pas vu depuis notre installation. C'est vrai ?
Je sens mes doigts me piquer, mais je résiste à l'envie de les planter quelque part.
- Ça ne fait que trois jours que nous somme arrivés, je n'ai pas eu le temps. C'est tout.
Mon père remet à charger son portable, mais je sais que c'est seulement pour éviter mon regard.
- Tu es certaine que c'est la seule raison ?
Pas la cuisse, je pense, pas la cuisse. A la place, je me mords la lèvre inférieure. Je n'aime pas parler de cette psy, et je ne sais même pas pourquoi je vais la voir. Je fais des cauchemars, c'est tout. 
- Non, tu as raison, c'est juste que je ne veux pas y aller. Je ne suis pas tarée ou je ne sais quoi, et j'apprécierais autant si aucun élève du collège ne me verrait entrer dans un cabinet de psy, dis-je en jouant nerveusement avec la manche de mon pull.
       Il soupire et s'assoie sur le canapé, comme-ci ça l'aidait à réfléchir.
- C'est juste pour tes cauchemars, me rassure-t-il. Et si ça peut t'aider à mieux dormir de parler à quelqu'un, alors c'est mieux qui tu y ailles. Tu comprends ?
Je m'assois à côté de lui, et lâche un soupire exaspéré.
- Mais ça ne m'aide pas, OK ? C'est tout juste si ça n'empire pas les choses... Et qu'est-ce-que tu veux que je lui raconte ? Je ne vois que des choses confuses, et parfois des choses très nettes et précises. Trop nettes, je raconte en fixant un point imaginaire pour m'empêcher de repenser à ce que j'ai vu.
Comme il ne répond pas, je continue:
- Ça me fout la trouille et je ne sais pas pourquoi je vois toutes ces choses horribles. Ça me torture tellement... dis-je en tirant mes cheveux.
Mon père m'oblige à poser mes mains sur le canapé et me regarde des les yeux, alors je remarque que les siens sont humides.
- OK, OK, calme toi. Tu n'iras pas voir de psy si tu n'en as pas envie. Je veux juste que tu ailles bien, d'accord ? 
J'acquiesce en silence et me lève. J'enfile mon manteau et une écharpe.
- Où vas-tu ? me demande-t-il.
- Prendre l'air.
       J'ouvre et claque la porte derrière moi. Mes doigts tremblent et enserrent mon portable au fond de ma poche. Je dois m'y reprendre à deux fois pour taper le numéro de Leila. Depuis mon arrivée, je n'ai pas osé les appeler, mais maintenant j'ai peur qu'elles m'en veuillent. Et si en l'espace de trois jours, elles m'avaient déjà gommées de leur vie ? A cette simple pensée, mes jambes commencent à trembloter si bien que je suis contrainte de m'asseoir part terre, derrière la maison, près du champ. Elle met quelque temps à répondre.
- Anna ? Oh ma chérie, tu m'as tellement manqué ! s'exclame-t-elle. Je commençais à m'inquiéter que tu n'appelles pas, j'ai cru que tu nous avais zappé de ta vie car nous n'étions pas assez bien pour toi ! C'est absurde, hein ? 
C'est bien ce que je pensais, elle est énervée. Bien que sa voix soit faussement enjouée, je perçois parfaitement, la pointe d'amertume et de menace dans sa voix. A mon tour, j'étire ma bouche en un grand sourire. 
- Quelle idée ! Je ne ferais jamais ça, tu le sais très bien. Vous êtes mes meilleures amies.
- Oui, depuis la maternelle. Nous sommes celles qui sommes venues te parler alors que tu étais seule à la récré. Celles qui t'avons accepté.
Je plante mes ongles dans ma cuisse, incapable d'y résister. Elle articule chacun de ses mots, toujours de sa voix faussement enthousiaste.
- D'ailleurs, comment vont Nath et Emilie ? je demande en changeant de sujet. 
- Comme d'habitude, bien. Hier, on s'est même tapées un gros délire sur le prof de maths, je ne pouvais plus m'arrêter de rire.
Bien que je sache que Leila en fait exprès de dire ça pour me rendre exclue et triste, je ne peux pas faire autrement d'avoir l'impression de les perdre.
- Tu vois, on se porte très bien sans toi, rit-elle. Euh... bien sûr, au sens figuré, hein.
- Oui, oui, évidemment, dis-je les dents serrés. 
Un petit moment de silence se crée, jusqu'à que sa voix bien trop forcée au niveau gaieté se fasse de nouveau entendre.
- Et sinon, c'est bien là-bas ? T'a pas l'impression d'être tombée chez les ploucs ? se marre-t-elle.
- Non, ils sont sympas, dis-je en pensant à Sam. Enfin, ça change, quoi, dis-je d'une voix remplis de sous-entendus. Oh, je parle du village, bien sûr.
- Oui, oui, dit-elle d'une voix qui me paraît bien moins aimable qu'au départ. Bon, tu m'excuses, je dois y aller, Nath et Emilie m'attendent, on va boire un café et après on ira au ciné. A plus, ma Anna.
Je coupe la communication, et range mon portable dans ma poche. Leila sait s'y prendre pour faire la garce tout en paraissant adorable. Sauf, que moi aussi car à fore de traîner avec elle, j'ai appris comment faire en un rien de temps. Malheureusement, c'est Leila, la cheffe. Et ça me rend folle car malgré tout ce qu'elle fait, je ne veux pas me séparer d'elle et du reste du groupe. Elle rayonne autour de tout pleins de gens qui l'admirent et lui obéissent au doigt et à l'œil. Et dès qu'elle se montre gentille avec moi, je me souviens de tous les moments où elle était sincère dans ses paroles et ses actes. Je crois que je reste avec elle, car je n'attends que ça, retrouver tous nos moments de complicité. Et aussi parce qu'elle m'a accepté, comme elle l'a dit un peu plus tôt. En fait, je crois que je suis bien trop reconnaissante avec elle de m'avoir intégrer dans son groupe, alors je n'ose rien lui dire. Avec elle, j'avais l'impression d'être une personne importante et respectée. Crainte, aussi. Mais maintenant que je suis séparée d'elle, je me rends compte que tous nos commérages sur les personnes du village me manquent, et que sans elle, je ne suis plus aussi importante que je ne le pensais.

A fleur de peauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant