Chapitre 5

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Enfouie sous ma couette, je suis perturbée. Davantage que cette histoire de meurtre, c'est l'attitude de Juan qui m'intrigue. Il a fait preuve de tant de douceur envers moi...et j'ai cru voir dans son regard...non. Je dois avoir rêvé. Arrête Jade, me dis-je, un coach réconforte son élève, tout ce qu'il y a de plus normal. À force de me retourner sans cesse dans mon lit, j'attrape mon téléphone et tape "Jean Wladich décès" dans la barre de recherche. Je fais défiler les résultats sans rien trouver d'intéressant jusqu'à tomber sur un article d'un quotidien ukrainien. Il est en russe. Je copie le lien, me promettant de le traduire pour essayer d'y voir plus clair dans cette histoire. Je me laisse retomber sur sur les coussins et consulte ma montre. 2h08. Putain, je vais être KO demain, comment vais-je pouvoir nager...J'essaie tout ; le bain, la tisane, la musique relaxante, le yoga, mais rien n'y fait, mon corps refuse de dormir alors que ma journée à été épuisante. Bon, je vais pas rester couchée, là éternellement, autant faire quelque chose. Alors je me lève et je fais des pompes. 10. 15. 20. 30. 50 À 62, je m'écrase par terre. J'enchaîne avec une centaine d'abdos puis des squatts. Crevée, je m'affale sur mon lit : je viens de rattraper ma séance de muscu. Quand je m'endors, il est 3h46.
*
Je fais un rêve étrange. Je suis dans une grande piscine. Je joue avec une fille masquée, non, plus exactement je danse avec elle. Puis, un gars, masqué lui aussi s'ajoute à notre danse. Nous tourbillonnons très vite, si vite que tout devient flou. Quand nous arrêtons, la fille n'a plus son masque. Le garçon non plus. C'est Elena. Et Tom. Je suis maintenant dans un parc, Tom en face de moi. Soudain, il m'embrasse, et je lui rends son baiser. C'est un baiser spécial. Plein d'amour et de passion, mais aussi de regrets et de désespoir. Ce n'est plus Tom, mais Juan qui m'embrasse désormais. Je lis le désir dans ses yeux, mais je le repousse. Au loin, assise sur un banc, Elena regarde Tom dans une position très suggestive. Je pleure. Mais mes larmes sont rouges. C'est du sang. Mon cœur saigne.
*
Je me réveille, très désorientée. Quelques rayons de soleil percent à travers mes rideaux et baignent ma chambre d'une lumière presque magique. Je frotte mes yeux ensommeillés en me remémorant ce rêve. Qu'est-ce que ça signifie ? J'ai lu un jour que les rêves sont l'expression de nos peur et de nos désirs les plus profonds. Pour Tom et Elena, je comprends à peu près mais...Juan ? Et la danse, les larmes rouges ? Prise d'une intuition soudaine, je décide de noter tout ce dont je me souviens de ce rêve. Mon écriture est hâtive, mais à la fin je me rends compte que j'ai noirci une demi-douzaine de pages. Ce rêve m'avait paru si réel...En relisant mes notes, je me rends compte que ce que j'ai écrit ressemble fortement au récit des évènements mais aussi des sentiments de ces derniers jours. Très troublée, je reste un moment dans mon lit à laisser vagabonder mes pensées...qui se dirigent inexorablement vers Tom. Tom, mon Tom. Par où commencer...bon, par le début. Comme je vous l'ai dit, Elena et moi sommes, enfin étions meilleures amies depuis que nous étions toutes petites. Et, quand vous restez tout le temps avec une fille aussi étincelante qu'elle, il est très difficile de vous faire remarquer. C'est comme si je vivais dans son ombre, et ça je ne m'en rendais pas compte. Durant mes années de collège, alors qu'Elena enchaînait les copains sans jamais vraiment les aimer ; je rêvais des garçons sans jamais rien oser. Mais quand, en seconde, ce si beau brun aux yeux dorés s'est retrouvé dans ma classe, j'ai découvert l'amour, le vrai. Celui qui vous donne des ailes, vous bouleverse et vous rend folle. Tom était convoité, mais les filles abandonnaient vite devant son manque d'intérêt. Ce n'était pas son genre de sortir chaque semaine avec une nouvelle fille qu'il connaissait à peine. Nous étions sur la même longueur d'onde tous les deux. Puis mes efforts ont payé : nous sommes sortis ensemble. Ce fut le moment le plus heureux, le plus magique de ma vie. Je l'ai aimé ce Tom. De tout mon coeur. Et je l'aime encore. Je n'ai pas du tout vu venir Elena. Mais quand j'y pense, se jalousie crevait les yeux. Aveuglée par mon amour, je j'ai rien vu, mais elle était jalouse, jalouse que j'aie trouvé l'amour, jalouse que je la surpasse, jalouse qu'elle ne prenne plus toute la place dans ma vie. Et elle s'est vengée. Quand Elena veut quelque chose, elle l'obtient toujours ; je lui ai fait mal, elle m'a pris ce que j'avais de plus cher. Mais je n'ai toujours pas compris pourquoi elle a autant souffert ou si il y a eu autre chose qui l'a blessée, ni quel a été le rôle de Tom dans tout ça. Ou si j'ai fait quelque chose de mal ? Je n'arrive pas à mettre le doigt sur la réponse. Je soupire et vais ouvrir mes rideaux pour laisser entrer la lumière du soleil levant dans ma chambre. Il me reste encore du temps avant de partir, alors je me rends dans ma salle de bains et me lave le visage. J'applique un fond de teint pâle et léger sur mon visage cerné. Je décide de me maquiller les yeux. Je mets du mascara allongeant, puis un fard bleu très clair assorti à mes yeux, sans en abuser. Je me fais un fin trait d'eyeliner aux légers reflets bleutés, et je termine par un petit peu de khôl. J'aime me maquiller. Non pas que je me trouve moche, mais ça me permet de devenir presque une autre personne, de me glisser dans la peau d'un personnage. C'est comme un art, aussi, de savoir manier les pinceaux et les crayons, d'assortir les couleurs. Je mets un rouge à lèvres rose pâle et mat, et je me fais le contour des lèvres. Je termine par les sourcils et un peu de blush pour casser la pâleur cadavérique de mon visage. Je suis assez satisfaite du résultat, et m'habille en vitesse. Lorsque j'arrive dans la cuisine, mon père s'y trouve déjà et lit le journal.
- Bonjour Jade ! me dit-il avec son sourire faux
- Bonjour, répondis-je, sans parvenir à masquer la colère que je nourris à son égard.
Je m'assois en face de lui et nous mangeons en silence. Mais les non-dits me pèsent et je ne peux retenir les questions qui me brûlent les lèvres :
- Où étais-tu ?!
- Je...bredouille t-il, visiblement pris au dépourvu. J'étais au travail.
- Ah oui, bien sûr, au travail ! J'ai envie de le gifler.
- Jade, je ne t'autorise pas à me parler sur ce ton !
Je me lève :
- Ah oui, hein ! Mais toi tu as tous les droits ! Tu peux me mentir, me frapper, m'abandonner, rien ne te gène ! T'es-tu seulement demandé ce que je devenais, moi, pendant que toi tu faisais le tour des lits ?! T'es-tu seulement demandé si j'allais bien ? Tu ne m'as pas envoyé un seul mail, appelé une seule fois !
Je hurle à présent, dévorée par la rage et l'indignation. Mon père se lève à son tour, et s'approche de moi en brandissant un index menaçant :
- Écoute moi bien Jade, car je ne vais pas te le dire deux fois ! Tu n'as pas à me parler sur ce ton et encore moins à remettre en cause mes propos ! Tais-toi et rassieds-toi maintenant.
- Non ! Non, non je ne me tairais pas, non je ne me rassierais pas, parce que ça suffit ! Je ne te supportes plus, toi et ton hypocrisie, ton arrogance et ta prétendue supériorité ! Tu as fait partir Maman, tu n'as pas été là quand j'en j'en aurais eu besoin, tu as détruit ma vie !
La gifle part si vite que je n'ai pas le temps de me protéger. J'ai la joue en feu. À ce moment précis, je hais mon père. Je cours dans ma chambre, fourre quelques affaires dans un sac et pars en claquant bien fort la porte. J'entends mon père crier :
- Petite conne !
Je sors au plus vite de cet immeuble de merde. Je ne ressens que de la colère et de la haine, aucun regret, aucune tristesse. Trop c'est trop.

Qui suis-je vraiment ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant