Chapitre 7

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fAssise dans un café, je contemple avec effarement la feuille posée devant moi. L'article en russe que j'ai traduit. Et que je n'aurais peut être pas dû traduire. Après la natation, je me suis réfugiée dans un bar sympa en face de la piscine, et j'ai tapé intégralement le texte sur Google traduction. Une vraie galère, ne connaissant pas l'alphabet russe. Ce n'est pas super bien traduit, mais le résultat est suffisant pour que je me rende compte de la gravité de l'affaire. Voici ce que j'ai pu lire :
Jean Wladich, ukrainien expatrié en France, a été assassiné dans la nuit du 16 au 17 octobre, à Paris. Impliqué dans de nombreuses affaires de corruption, un casier judiciaire bien rempli, et 65 ans bien tassés, ce cadre de l'entreprise bancaire "Antea" - qui propose des comptes bancaires et divers systèmes de sécurité et de gestion d'argent aux personnes importantes - était récemment revenu en Ukraine pour des raisons inconnues. D'après ses proches, il "souffrait de se situation professionnelle, et avait des problèmes au sein de l'entreprise", sans donner de précision. Son patron, au contraire, affirme " que tout se passait bien pour Jean Wladich", et que celui-ci "n'a pas évoqué de problème particulier, professionnel ou familial, pouvant le pousser au départ". Il se dit " profondément blessé et choqué par l'assassinat de son collègue". Lorsque nous avons évoqué les récentes rumeurs qui courraient sur la corruption de cette entreprise, le PDG d'Antea a assuré que ce ne sont que des rumeurs sans fondement. Le mystère autour de cette affaire reste entier. Nous ignorons les raisons qui ont poussé Jean Wladich à partir, ni celles qui l'ont conduit à revenir, tout autant que le rôle de son entreprise ou l'identité de son meurtrier."
Je suis restée bloquée, les yeux sur le nom de l'entreprise : "Antea". Ça me dit quelque-chose. Mais pour la première fois, j'ai réalisé la gravité de l'affaire. Meurtre. Corruption. Judiciaire. Argent. Ces mots forts s'entrechoquent dans mon esprit. Et famille. Ce mec avait une famille. "Avait". Ils l'ont perdu. Après ça, que je le veuille ou non, mon destin est lié à celui de Jean Wladich. Même si toutes ces histoires me dépassent complètement, je ne peux pas rester comme ça à attendre, sans essayer de comprendre. Pour Jean Wladich. Je suis complètement bouleversée. Une part de moi me crie de me concentrer sur la natation, mon objectif, mon unique but dans la vie, celui qui me guide. Mais mon coeur me hurle d'enquêter, d'éclaircir ce mystère, de ne pas rester comme ça, alors que ma vie est liée à ce mec. Qui est mort. Putain il est mort ! On l'a tué !
Mais à cet instant précis, mes pauvres problèmes qui me semblent maintenant si dérisoires, me ramènent à la réalité. Où vais-je dormir ? Comment est-ce que je vais vivre avec mon pauvre sac ? Je fourre l'article dans mon sac et règle mes deux cafés.
                                 *
Affalée sur le canapé moelleux, je savoure la douceur de son velours sur ma peau. J'éteins le feuilleton débile qui passe à la télé, et enfile mon blouson pour aller manger. Je me sens un peu coupable de devoir encore dépendre de mon père et de l'argent qu'il verse sur mon compte. Mais je n'ai pas le choix. "Si, me susurre une petite voix dans ma tête, on a toujours le choix, tu ne veux juste pas renoncer à ton confort habituel." Je ne veux pas admettre que c'est vrai, admettre que je ressemble plus à cette famille pourrie que ce que je crois, qu'au fond je vaux pas mieux qu'eux. Mais je veux, je dois me concentrer sur mon seul et unique objectif : la natation. Je veux aller aux championnats de France, cet espoir, aussi mince soit-il, me fait tenir, donne un sens à ma vie, à ce que je suis. Je sais pas ce que je suis, mais en tout cas je sais que je suis la natation. Je suis une nageuse. Je suis au moins ça. C'est ma seule certitude, dans ce désordre émotionnel où je ne sais plus qui j'aime et qui m'aime. Je m'assieds à la table d'un resto au pif et commande le plat du jour. Et une bière. J'en ai bien besoin, même après 2 cafés. Je fais à peine attention à ce que je mange, parce qu'un nom, un nom ne quitte pas mon esprit. Jean Wladich. Mon téléphone sonne. Un numéro inconnu s'affiche à l'écran. J'hésite, puis finalement je balaye l'écran vers la droite.
- Allô ?
Une voix masculine grave résonne à l'autre bout du fil :
- Oui bonjour, mademoiselle Stevens ?
Ici le commissariat de police.
- Euh oui, c'est moi...
- Bien, nous avons examiné votre dossier, vous devez vous rendre jeudi au commissariat à 17h30. Au revoir.
Le bip caractéristique de la fin de l'appel retentit. Il ne m'avait même pas laissé le temps de répondre ! Bon au moins, j'espère qu'il y aura du nouveau dans l'enquête. Une vague de tristesse me submerge. Comment puis-je être aussi touchée par le sort d'un inconnu ? Je n'ai même plus faim. Je sirote ma bière la gorge nouée, puis je rentre à l'hôtel. Je viens à peine de m'asseoir que mon téléphone sonne à nouveau. Antoine. Va te faire voir. Mais, 2 minutes plus tard, il rappelle. Bon qu'est-ce qu'il veut ?! Je décroche :
- Quoi !?
- Jade ! T'es où ?
Depuis quand il s'intéresse à moi, celui-là !
- Qu'est-ce que ça peut te faire ?
- Ben, je suis ton frère, il est 21h30 et t'es toujours pas là. Tu fous quoi ? Parce que si t'es à une fête avec des jolies meufs et ta pote trop bonne je veux bien venir, hein.
- Putain tu me dégoutes Antoine. J'ai été naïve de croire que tu aurais pu penser à quelqu'un d'autre qu'à toi pendant ne serais-ce que 2 secondes. Tu veux savoir où je suis ? Et bien je me suis cassée de cette foutue maison, je ne m'y sens pas chez moi, je ne m'y suis jamais sentie chez moi.
- Ah oui, parce que toi, alors toi tu es parfaite, tu penses aux autres, tu joues les rebelles, tu es la seule à avoir des problèmes... Au fond Jade, toi et moi on est pareils, je le sais et toi aussi.
- Non ! Je hurle, je crache dans mon téléphone. Non ! Non je ne te ressemble pas Antoine, je ne suis pas comme toi.
Mais qui essayais-je de convaincre ? Lui ? Ou moi ? Mon frère coupe court à mes pensées :
-  T'es vraiment pathétique Jade. Bon je te laisse, mademoiselle la rebelle.
Je n'ai rien à ajouter. Et il raccroche. C'est mieux comme ça. Soudain, une sensation bien connue me vrille le ventre, me compresse la poitrine et déchire mon coeur. Le manque. D'amour. De Tom. Un sentiment horrible, déchirant, j'ai envie de hurler, de pleurer, mais au lieu de ça je me recroqueville sur le canapé en serrant un coussin fort contre moi. Je me sens vide. Perdue. J'ai besoin d'amour. Je m'endors dans cette position. Vide.
                                   *
C'est la rentrée. J'ai mis ma plus belle robe, une robe jaune soleil avec des boutons blancs et un jupon léger qui allonge mes jambes. Mes cheveux flottent sur mes épaules.  Mais à côté, Elena est sublime. Elle a mis une robe blanche au décolleté un peu trop plongeant à mon goût et un peu courte aussi. Elle s'est fait des anglaises, et a mis une fleur blanche dans ses cheveux. Elle rayonne. On dirait une déesse. Dès le premier cours, Elena scrute chaque gras tour à tour en chuchotant des commentaires dans mon oreille, alors que j'essaie de comprendre quelque chose à l'énergie cinétique. Tous les regards sont tournés vers elle, tous les garçons la dévorent des yeux. Presque tous. Pourtant, un semble indifférent et regarde par la fenêtre en prenant des notes distraitement. Et lui, lui il est vraiment beau. Sublime. Mignon. Même...sexy. Comme s'il se sentait observé, il se retourne brusquement et me regarde. Ah ses yeux...Elena me secoue le bras. Sur le coup, j'ai envie de la frapper, comme si elle avait interrompu un moment magique ; mais je reprends mes esprits.
Elena chuchote :
- Ils sont pas ouf, j'irais voir du côté des premières...sauf lui devant, il est trop mignon, mais il a l'air un peu coincé...
Coincé ? Non, je dirais juste qu'il ne répond pas aux codes de la "normalité Elena". Ce regard... D'un seul coup, c'est Elena qui me semble coincée. Mais qu'est-ce qui m'arrive ? Elena a toujours été mon modèle absolu... La sonnerie interrompt mes pensées, et je range mon cahier où 3 phrases incohérentes se chevauchent. Encore une soirée à essayer de comprendre seule ce cours que je n'ai pas suivi. Elena me tire le bras en me criant de me dépêcher. Je pâlis lorsque je vois qu'elle l'aborde. Je la rejoins d'un pas traînant. Elle lui demande son nom :
- Tom répond-t'il d'un air absent. Et toi ?
- Elena, dit-elle en souriant. Tu sais que...
- Et toi ?, la coupe t'il en me fixant.
Attendez, il vient de s'intéresser à moi alors que la sublimissime Elena lui parle ? D'ailleurs, elle le regarde avec des yeux d'extraterrestre. Prise au dépourvu j'articule :
- Jade. Je m'appelle Jade.
- Enchanté Jade.
Il me tend une main que je ne saisis pas, hypnotisée par son regard doré. Il laisse retomber son bras et part. Sans un mot, Elena tourne les talons et descend l'escalier. Je lui emboîte le pas.
                                   -
La journée est passée, enchaînement de cours monotones dès le premier jour. Enfin arrive l'heure de la natation. Dès que nous entrons dans la piscine, je me sens heureuse. Je sens l'odeur familière du chlore. La chaleur qui l'enveloppe. J'entends le clapotis régulier de l'eau et le bruit des sèches cheveux. Nous passons un temps fou dans les vestiaires à parler de nos vacances et des futures compétitions. Je me sens heureuse.  Lorsque nous arrivons au bord du bassin, un jeune espagnol nous y attend. Mon dieu, il est hyper séduisant ! Nous nous regardons toutes les 8 en échangeant des sourires gênés. Qui est-ce ? Il s'éclaircit la voix et prononce avec un sérieux presque comique :
- Bonjour à toutes. Je suis Juan, votre nouvel entraineur de natation. Vous serez avec moi toutes les 8 chaque jour de la semaine. Je ne suis pas fan des longs discours, je vais juste vous dire que mon but cette année est de vous faire progresser un maximum, tout en n'oubliant pas que malgré votre dur travail vous êtes ici pour votre plaisir. Il nous sourit.
J'ai ici tous vos temps, mais on va commencer par voir ce qui reste de vous après 2 mois de vacances, puis nous planifierons le travail pour faire de chaque discipline olympique, des exercices techniques et de la musculation.
Des questions ? Non ? Allez hop, échauffement !
Il semblait parfaitement insensible aux 8 filles en maillot de bain devant lui, et prenait son nouveau rôle au sérieux. J'aimais cela. Il nous sourit encore une fois (Ah, ce sourire...) et réitéra sa consigne.
                                   *
Je me réveille en sursaut. Respire Jade, respire, respire...Inspire, expire, inspire... 2 rencontres, ce jour là. Tom et Juan. Je ne me doutais pas qu'ils allaient prendre autant de place dans ma vie. Trop de place ? J'enfouis ma tête dans mes mains. Tom...mon amour. Ancien amour ? Et Juan. Entraîneur et...ami ? Je n'aimais pas revivre ces moment là, même en songe. Trop douloureux. Ça me rappelle mes erreurs, et ma vie d'avant... Tiens, c'est bizarre, comme j'en parle, "vie d'avant". Comme si j'avais 2 vies. Mais pourquoi ma vie ne serait-t'elle pas une continuité ? Tout est forcément lié ?
Questions sans réponse...
Je me glisse sous la chaude couette du lit et médite ces paroles...
                                   *
Mes bras me font un mal de chien, mais je ne m'arrête pas. Je soulève cette barre, encore et encore...selon Juan nous avons toute la technique nécessaire, mais nous devons développer notre " masse musculaire". Justement, le voilà qui arrive.
- Jade, rentre moi ce ventre !
- Mais je peux pas ! protestai-je.
Mes paroles restent au fond de ma gorge lorsque Juan pose sa main sur mon ventre. Une main douce, chaude, rassurante. Une drôle de sensation remue mon ventre, une sensation...agréable. La. Main. De. Juan. Sur. Moi. J'ai l'impression que le temps s'est figé, j'ai arrêté mes exercices. Juan bouge délicatement sa main avant de la retirer brusquement.
- Excuse-moi, souffle-t'il en détournant les yeux. Je... C'est bien, continue. Absorbées par leur propre travail, les filles n'ont rien remarqué. Je souffle profondément. Travaille Jade, allez ! Tu réfléchis trop, travaille. Ma vie tourne autour de la natation, ma vie est la natation. J'ai un jour entendu une citation qui disait : "Il n'y a d'autres limites que celles que nous nous fixons". Aujourd'hui, elle prend un sens pour moi, et j'ai envie d'y croire, d'y croire très fort et de m'accrocher à mon rêve. La voix de Juan me sort de mes pensées :
- Allez les filles, c'est bien, maintenant à l'eau ! Aujourd'hui on rebosse le 4x100m, vous perdez encore du temps au passage du relais !
Nous nous précipitons toutes hors de la salle de muscu, à l'atmosphère à présent surchauffée. J'aime le relais, ce travail d'équipe, de gagner à plusieurs. Avoir l'impression d'être unie, de partager ce sport que j'aime tant avec d'autres.
Juan me retient en m'attrapant le bras :
- Jade ?
Je le regarde. Il a l'air...mal à l'aise.
- Je suis vraiment désolé. Pour tout à l'heure. Excuse moi, je ne sais pas ce qui m'a pris. Ou plutôt si mais... Désolé.
Il essuie une petite larme. Il me paraît si seul, si perdu à cet instant là. Je ne sais pas quoi faire, je ne m'y attendais tellement pas.
Je bredouille, émue :
- Ne...ne t'inquiète pas Juan. Ce n'est pas grave.
Il fixe le sol. Il a l'air si perdu, que je pose ma main sur son épaule et relève sa tête pour qu'il me regarde. Il tressaille légèrement.
- Tu m'entends ?, dis-je. Je ne t'en veux pas, oublie ça.
Il sourit :
- Merci Jade. Merci. Je ne souhaite que ta réussite.
Il me regarde intensément. Qu'il est beau. Nous nous perdons ainsi dans le regard de l'autre durant de longues secondes, dans un silence plein, comme dans une autre dimension. Juan s'approche près tout près de moi et colle son front contre le mien. Nos cœurs battent à l'unisson, nos souffles se mélangent, et d'un seul coup, il n'existe plus que lui et moi. Moi et lui. Le silence est si intense. Le regard de Juan est plein de...d'amour ? Doucement, tout doucement, Juan pose ses lèvres douces sur les miennes. Son baiser n'est que tendresse et délicatesse. Et je succombe.

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⏰ Dernière mise à jour : Sep 09, 2022 ⏰

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