I. Thibault

124 24 49
                                    

D'un pas aussi majestueux qu'à son habitude, le duc d'Aquitaine et sa femme la duchesse Olga, suivis de près par leurs trois enfants, traversèrent à leur tour la Galerie, salués au passage par les révérences des courtisans. Thibault avait toujours admiré cette aristocratique distinction qui semblait naturelle à tout individu faisant partie d'une famille régnante. On lui avait toujours répété que lui aussi la possédait, mais pendant son adolescence, il avait eu du mal à se voir aussi imposant et digne de respect que son père. Tout s'était arrangé lorsqu'il avait enfin compris qu'il n'avait pas à faire semblant d'être quelqu'un d'autre. Alors seulement il avait commencé à se sentir un peu plus à l'aise lors des événements officiels. Lorsque les Aquitains eurent rejoint leurs hôtes, ils prirent tous la pose sous les flashs des photographes – la photo, postée sur le compte officiel du palais allait-elle battre le nombre de réactions qu'obtiendrait Blanche ? – puis deux valets ouvrirent les portes de la salle de réception. Comme dans un ballet parfaitement huilé, les chefs de gouvernement et leurs familles allèrent s'installer, suivis de près par tous les courtisans qui savaient exactement où se placer. La plupart d'entre eux étaient rompus à cet art délicat de l'étiquette, et de surcroît on leur avait déjà expliqué où s'installer pour le dîner, par ordre de préséance. Aucune confusion, donc, ne vint entacher la mise en place des participants.

Puis, lorsque tout le monde se fut assis et que l'archevêque de Poitiers eut béni l'assemblée, l'on commença à servir le repas. Rien de trop copieux, comme à l'habitude du maître queux du palais, mais délicieux. Thibault savourait en silence une bouchée de sa salade de poireaux, chèvre et noix, accompagnée de fines tranches de foie gras. Il avait beau être prince, il ne vivait pas au palais directement mais dans une de ses dépendances où il se sentait plus libre. La contrepartie était une certaine autonomie également. Il n'y avait personne pour lui faire ses repas, et comme nombre d'étudiants, il se retrouvait souvent le soir face à un plat de pâtes ou d'œufs brouillés.

— Je suis heureuse de revenir à Poitiers, lui confia soudainement sa voisine. La dernière fois remonte à...

— Cinq ou six ans, au moins, acheva Thibault avec un sourire.

Il en profita pour jeter un rapide coup d'œil à la jeune fille assise à sa droite. Tatiana d'Arènes, s'il ne se trompait pas. Sa sœur jumelle était assise à l'autre bout de la table. Les filles du duc se ressemblaient comme deux gouttes d'eau, mais si ses souvenirs étaient bons, Tatiana avait toujours eu un nez plus prononcé qu'Aliénor. Les familles régnantes de Vendée et d'Aquitaine étaient liées depuis toujours, et les enfants du duc Guillaume XV avaient toujours été pour Thibault comme des cousins lointains, que l'on voyait rarement, mais avec qui on passait toujours un bon moment. Lui et son père s'étaient rendus en visite diplomatique à Bordeaux deux ans auparavant, pour régler un petit différend juridique, mais les jumelles étaient absentes, prises par leurs études parisiennes.

— Tu es toujours satisfaite de ton master ? s'enquit-il poliment.

— Oh oui ! s'enthousiasma Tatiana. L'histoire de l'art est un domaine fascinant, et j'ai réussi à obtenir un stage au musée du Louvre, tu te rends compte ! Et toi ?

Le jeune homme haussa les épaules avec un soupir faussement désabusé.

— On m'a laissé terminer mon master en relations internationales, et maintenant... J'apprends mon futur métier. Ce n'est pas toujours facile, mais c'est une belle et noble tâche, et j'espère en être un digne un jour.

— Tu le seras, j'en suis sûre, le rassura-t-elle gentiment. Après tout...

Mais Thibault ne sut jamais ce qu'elle voulut lui dire, puisque les conversations s'interrompirent subitement. Son père, le prince Henri III de Tourmel venait de se lever, quelques feuillets en main. Le jeune prince grimaça. Un jour, ce serait à lui de prononcer ces discours en public. Et Dieu sait qu'il appréhendait ce moment ! Parler en public, devant autant de gens attentifs à la moindre de ses inflexions, c'était trop pour lui. Il se demandait s'il arriverait un jour à avoir l'assurance tranquille de son père, sa fermeté et son éloquence à chaque fois qu'il ouvrait la bouche. Questions qu'il remit à plus tard pour s'intéresser au contenu du discours. Avec la situation tendue de voisine républicaine, on attendrait forcément une réaction du prince de Vendée. Il en vint à ce sujet après les salutations et politesses d'usage envers la famille ducale.

Fors l'honneur - Sous contrat d'éditionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant