I. Thibault

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— ... et nous recevons à l'instant les chiffres du ministère de l'Intérieur. Les manifestants étaient un million selon la police, alors que les organisateurs revendiquent toujours un million et demi de participants, voire deux comme l'expliquait tout à l'heure Lucas Morel sur notre antenne. Vous pourrez retrouver son interview complète sur notre site ; et en attendant, un tour d'actualité des différentes manifestations qui ont secoué la République aujourd'hui.

Le visage au sourire crispé de la présentatrice s'effaça, remplacé par des images d'émeutes. Partout, sur les places, dans les rues, et même dans des villages où l'on doutait qu'une conscience politique ait un jour existé, des torrents humains hurlait leur rage. La fureur populaire se lisait dans les visages tordus par la colère, dans le mobilier urbain saccagé qu'ils laissaient derrière eux. Partout des tirs, des explosions, des vitres brisées, de la fumée, des feux, des barricades... Jamais la France n'avait connu un tel désastre depuis 1789.

La caméra zoomait maintenant sur les forces de police. Malgré leur équipement et leur entraînement, ils étaient incapables de contenir la masse des mécontents. Ils reculaient, peu à peu, se protégeant à coup de gaz lacrymogène et de grenades. On leur avait dit d'éviter à tout prix d'en lancer. Mais face à une telle fureur populaire, ce n'était plus l'ordre public mais leur vie qu'ils défendaient. Sur une vidéo tressautante, un homme émergea du nuage de gaz, la main arrachée. Il hurlait, et son moignon dégouttait du liquide écarlate sur l'asphalte déformé. Le sang excita la meute qui s'engouffra dans la rue avec l'ardeur des chiens à l'hallali. Comme des bêtes traqués, les gendarmes et les policiers reculaient peu à peu. C'était la débandade la plus complète.

— Et l'on vient de nous informer, commenta la journaliste dont le visage reparut sur l'écran, que l'arc de triomphe est toujours aux mains des manifestants. Malgré les efforts des forces de l'ordre, quelques milliers de personnes refusent de quitter les lieux. Les réactions, maintenant, de nos correspondants à l'étranger...

Le jeune homme brandit la télécommande et coupa la télévision. Il en avait assez entendu pour aujourd'hui. Depuis la semaine dernière, la République s'enfonçait chaque jour un peu plus dans l'anarchie. Manifestations violentes, blessés, embrasement des campagnes, des villes, barricades érigées dans toutes les rues... Les terres de leur voisin étaient devenu le terrain de jeu d'une immense chasse à l'homme. Mais ils étaient tous les jours plus nombreux ceux qui se dressaient contre le gouvernement. Les prisons étaient pleines à craquer, et les forces de police complètement dépassées. Encore un peu et le président ferait envoyer l'armée pour calmer la situation.

Thibault de Tourmel soupira à cette pensée. Il y a dix jours, un grand quotidien d'opposition de leur voisine, la République française, avait révélé le plus gros scandale de l'histoire du régime. Preuves à l'appui – et nombreuses, les preuves en question ! – le journaliste avait révélé comment le président Etienne Dalande était à l'origine de nombreux décès plus ou moins suspects ces vingt dernières années. Qu'ils aient été dans son camp ou non, ces hommes et ses femmes étaient promis à de belles carrières politiques. Sans doute de quoi lui ravir sa place à l'Elysée. On le soupçonnait aussi très fortement d'avoir passés des accords financiers secrets avec une grande puissance voisine pour déclarer la guerre sous un prétexte fallacieux à un pays des Balkans encore d'obscures histoires de pétrole et de mines.

Pour les Français, qui depuis cinq ans voyaient ce président comme un grand-père débonnaire, le choc avait été rude d'apprendre qu'il avait autant de sang sur les mains. Et qu'il ne s'agissait sûrement là que de la partie émergée d'un véritable iceberg de vices. Aussitôt, les manifestations avaient commencé. Des torrents humains avaient déboulé dans les rues, hurlant leur colère. Ils exigeaient la démission immédiate du président et de tout son gouvernement, fortement suspecté de complicité. Mais l'Elysée était resté muet, ce qui, loin de calmer la rage des Français, avait excité leur ressentiment. Depuis dix jours, la France était défigurée. Pour l'instant, les forces de l'ordre parvenaient encore à maintenir en sécurité les membres du gouvernement. Mais bientôt, ils cèderaient, c'était inévitable. Thibault sentit un long frisson lui secouer le dos. Il n'aurait pas aimé être à la place de Dalande lorsqu'il tomberait aux mains des émeutiers. Malgré ses crimes, il estimait que l'on devait au moins lui accorder un procès équitable. Mais c'était une option était peu envisageable, étant donné la violence qui augmentait chaque jour.

Fors l'honneur - Sous contrat d'éditionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant