VI. Thibault (2)

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Thibault ne répondit rien, mais Henri III pouvait lire dans le regard de son fils qu'il n'approuvait pas. Le prince de Vendée retint un soupir. A vingt-quatre ans, la jeunesse était encore pleine d'idéaux. Il découvrirait bien assez tôt qu'on faisait rarement de la politique avec des bons sentiments, quand on n'y laissait pas une partie de son âme. Changeant de sujet, le jeune homme lui posa une nouvelle question.

— Qu'en est-il des trois autres principautés ? Avez-vous présenté ce projet à la duchesse de Bretagne, au duc de Normandie et au comte de Toulouse ? Si nous lançons cette opération sans les consulter, ils vont être vexés...

— Les événements se sont précipités en France... et je n'ai eu le temps d'en parler qu'à Guillaume. Mais mes confrères ont vu mon allocution, et j'attends maintenant leur réaction. J'ai demandé à Alex de revenir à Poitiers, il fera une petite escale à Nantes sur le trajet, pour sonder l'état d'esprit des Bretons. La réaction de la duchesse Anne II m'inquiète un peu, elle a toujours été très... impulsive. Les Normands s'aligneront sûrement sur la Bretagne, mais j'ai également envoyé un ambassadeur là-bas. Quant au comté de Toulouse, je dois m'entretenir en fin d'après-midi avec Raimond XII, mais je pense qu'il sera de notre côté. C'est un fervent royaliste lui aussi.

— Vous me tiendrez au courant, n'est-ce pas ? s'enquit le jeune prince.

— Mais bien sûr Thibault ! Je ne te lâche pas tout seul au milieu d'une horde de loups, ne t'en fais pas. Tu pourras me joindre à chaque instant, et n'oublie pas que tu auras Charlie avec toi. C'est un politicien expérimenté, je sais que tu ne sous-estimeras pas ses avis.

Le silence se fit entre les deux hommes. Thibault réfléchissait à toute autre question qu'il aurait pu poser à son père. Bientôt il serait parti, et l'outil avait beau être pratique, le téléphone n'était qu'un combiné de plastique sans âme, qui ne pouvait pas retranscrire le face à face d'une vraie conversation. Il appréhendait ce départ autant qu'il l'attendait, finalement. Ce serait enfin le moyen de faire ses preuves, de montrer au prince Henri III qu'il était digne d'être son fils... mais le baptême du feu serait douloureux.

— Pourquoi avez-vous fait revenir Bertrand d'Aquitaine hier soir ? interrogea finalement Thibault. Il est supposé montrer la bonne entente qui règne entre nos deux puissances ? Vous envoyez Blanche chez eux en échange ?

Il vit d'un air étonné son père soupirer, se passer une main dans les cheveux épars qui lui restaient et afficher quelque chose qui ressemblait à une mine gênée. Finalement, il se décida.

— Personne n'est encore au courant, nous l'annoncerons cet après-midi, mais... Il va épouser ta sœur.

Les mots d'Henri firent à son fils l'effet d'un véritable coup de massue. En moins d'une seconde, il sentit tout le sang se retirer de son visage.

— Pardon ? Il va... se marier avec Blanche ? Mais vous dites n'importe quoi, enfin ! Nous sommes au XXIème siècle, qu'est-ce que c'est que cette histoire de mariage arrangé ? Vous ne pouvez pas l'obliger...

— Calme-toi, Thibault, ordonna sèchement son père. Et écoute-moi.

Saisi par le ton qu'il avait employé, le jeune homme se tut, et s'aperçut que de colère, il s'était levé de son siège. Lui qui était d'ordinaire si calme et pondéré, la nouvelle l'avait fait sortir de ses gonds. Il était furieux d'apprendre que ses parents qu'il aimait et respectait avaient fomenté une telle union. C'était contraire à tout ce qu'ils leur enseignaient depuis des années ! Et Blanche... Il connaissait sa sœur, son caractère combatif. Comment avait-elle pu se laisser faire ?

— Avant que tu ne me traites de tous les noms, sache que j'en ai discuté avec ta sœur. Je lui ai exposé ce projet et les avantages que nous en tirerions, tout en sachant qu'elle et Bertrand avaient déjà eu une petite aventure il y a quelques années, et qu'ils se connaissent très bien. Je lui ai laissé le choix, entends-tu ? Et ce mariage est sa décision. Leur décision, d'ailleurs, puisque Guillaume a tenu exactement le même discours à son fils. Ils en ont discuté tous les deux ce matin, et ils ont pris leur décision ensemble.

Fors l'honneur - Sous contrat d'éditionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant