V. Blanche

97 21 26
                                    

Lorsqu'elle s'éveilla, Blanche put profiter d'une demi-seconde de totale quiétude avant de replonger dans les affres de son quotidien bouleversé. En s'en tenant au sacro-saint programme qu'elle avait établi avec Hortense, elle aurait déjà dû être en train de s'habiller pour partir vers sa première visite de la journée. Mais en quelques mots, son père avait tout bouleversé. Elle avait à peine pu prendre une petite heure pour elle, pour réfléchir aux bouleversements qui allaient s'abattre sur sa vie avant que tout ne s'enchaîne. Bertrand était arrivé au palais, et alors qu'elle avait été heureuse de le revoir deux jours avant, leurs salutations lui parurent cette fois-ci gauches et empruntées. Heureusement que le tout se déroulait loin des caméras. Elles étaient toutes occupées à s'installer avant l'allocution que son père devrait prononcer le soir même pour exposer à ses sujets le plan qu'il avait mûri avec le duc d'Aquitaine. Les médias n'étaient pas idiots. Ils étaient déjà au courant de la présence du fils du duc à Poitiers et ne tarderaient pas à en tirer des conséquences plus qu'évidentes.

Si elle voulait garder la main et ne pas apparaître comme une victime de sa condition, Blanche devait être plus rapide qu'eux. Mais le destin d'une vie entière ne se décidait pas à la légère. Elle avait longuement songé la nuit dernière, au point qu'elle avait à peine pu dormir. Maintenant sa décision était prise, et elle n'en changerait pas. A moins que la conversation qu'elle s'apprêtait à avoir avec Bertrand ne bouscule l'opinion qu'elle avait de lui. La jeune princesse avala ce qui lui restait de café en quelques gorgées pour se donner du courage, et sortit de sa chambre. Une fois n'était pas coutume, elle ne se hâta pas, promena son regard sur les murs centenaires du palais qu'elle connaissait si bien, les tentures qui les décoraient, les tableaux, les lustres... Et tous ces bruits qu'elle aimait tant, les chuchotements du personnel, les talons des quelques femmes assez courageuses pour mettre des escarpins tous les jours, les claviers des ordinateurs qui ne se taisaient jamais, ou encore de grands éclats de rire venus d'on ne savait où.

Lui faudrait-il vraiment quitter tout cela ? Elle aimait ce palais, cette immense bâtisse où elle avait passé toute sa vie, d'un amour presque charnel. Le quitter, quitter sa ville, quitter sa principauté serait le pire déchirement qu'elle ait jamais connu. Et même si y penser lui brisait le cœur, c'était un sacrifice qu'elle avait accepté de faire en son âme et conscience. Le carillon de l'église voisine la tira de ses pensées. Neuf heures et demi. C'était bien tôt pour sceller son destin, mais la journée serait longue et fatigante. Cette entrevue avec l'héritier du duc ne serait que le début de ses épreuves. Elle se hâta vers les jardins où elle avait demandé à Bertrand de la retrouver.

Malgré sa hâte de régler au plus vite toute cette histoire, Blanche marqua un temps d'arrêt sur le seuil de la porte, pour englober d'un seul regard ces parterres qu'elle aimait tant. Un de ses aïeux avait épousé une britannique, lady Arabella Langton, qui était passionnée d'horticulture. A son arrivée en Vendée, elle décida pour passer le temps de remanier entièrement les jardins du palais, qui étaient restés presque à l'abandon. Les fleurs et les arbres faisaient grise mine à cette époque, et les fontaines n'étaient plus entretenues. Il lui avait fallu vingt ans pour transformer ce triste spectacle en un véritable Eden. Arabella avait amené à Poitiers l'exquis fouillis des jardins à l'anglaise qui modelaient l'espace en détours et petits bosquets où l'on pouvait se dissimuler, loin des longues allées sévères des jardins à la française.

Tout en contemplant une fois de plus les arbres de Judée qui offraient aux passants la splendeur mauve de leur floraison, Blanche dirigeait ses pas vers le bosquet à la Reine, puisque Victoria du Royaume-Uni leur avait un jour fait l'honneur de s'extasier dessus. Bertrand s'y trouvait déjà, et leva la tête en entendant des pas s'approcher. Il était loin d'être laid, et c'était un garçon rempli de qualités. D'ailleurs, la jeune fille le savait bien puisqu'ils étaient sortis ensemble pendant quelques mois lorsqu'ils avaient dix-sept et dix-huit ans, soit six ans auparavant. Elle gardait de très bons souvenirs de cette relation à laquelle ils n'avaient mis un terme qu'à cause de la distance. Mais ils avaient changé depuis, et les circonstances qui les réunissaient n'avaient rien d'agréable. Comment pourraient-ils reprendre là où ils s'étaient arrêtés et prétendre que rien n'avait changé ? Ils avaient vécu une amourette d'adolescence, et on leur demandait maintenant de parler fiançailles et mariage, c'était absurde !

Fors l'honneur - Sous contrat d'éditionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant