Fors l'honneur - Sous contrat d'édition

III. Blanche (1)

Mademoiselle de Tourmel, princesse de Vendée et duchesse du Maine – Blanche pour sa famille et ses amies – esquissa un sourire satisfait en faisant défiler les notifications sur l'écran de son téléphone. Elle avait gagné son pari, et haut la main. La dernière photo qu'elle avait postée sur son compte Instagram avait déjà récolté plus de trois millions de réactions, ce qui était un excellent score. Hortense ne pourrait que la féliciter... et se féliciter à l'occasion, puisque c'était elle qui avait pris ladite photo. Blanche en était très contente, de ce cliché, d'ailleurs. Depuis toute petite, elle se passionnait pour la photographie, et ne pouvait qu'admirer la fibre artistique d'Hortense de Maze, sa seule demoiselle de compagnie et meilleure amie. Elle avait saisi la princesse au moment où elle allait sortir de sa chambre pour rejoindre sa famille : la photo possédait ainsi le double avantage de montrer l'entièreté de la tenue et d'apporter un effet artistique en jouant avec le reflet du grand miroir accroché juste derrière. Elle aurait dû faire monter les enchères du pari avec son frère Thibault, il était évident qu'elle le remporterait.

Le carillon de la chapelle palatine sonna trois coups, et Blanche reposa son portable avec un soupir. La pause était terminée, il fallait se remettre à travailler. Et depuis qu'elle avait pris la place de sa tante Adélaïde dans la très courte liste des membres actifs de la famille princière, elle avait l'impression de n'avoir plus une minute à elle. Sans cesse elle était occupée à des rencontres, des visites, des inaugurations, des discours à écrire, des interviews, des rendez-vous avec des grands couturiers, la planification de son emploi du temps, des dîners d'état... Ce n'était pas la liste de ses activités en elle-même qui lui pesait autant – n'importe quelle fille aurait été plus que ravie qu'on ne lui propose que cela – mais plutôt le devoir de représentation qu'il imposait. En toutes circonstances, il fallait être parfaite, aimable, polie, paraître intéressée par tous les sujets... Même lorsqu'on lui expliquait le processus de fabrication des verres de lunettes teints pour aveugles, objet louable en soi mais qui n'avait suscité chez la princesse que de longs soupirs. Intérieurs, bien entendu, les soupirs. Tout le temps qu'avait duré sa visite dans ce vénérable institut, elle avait souri, acquiescé d'un air intéressé et même poussé le vice jusqu'à poser des questions.

Heureusement, cela faisait déjà six mois qu'elle travaillait à plein temps pour sa famille. Et si on lui avait d'abord assigné la liste entière des patronages dont s'occupait sa tante, elle commençait désormais à en abandonner certains et faire ses propres choix en faveur de sujets qui lui tenaient à cœur. Il était tout de même plus agréable de s'intéresser à des associations qui essayaient d'utiliser la haute-couture comme facteur d'intégration sociale qu'à l'Amicale du Préfou Vendéen. Mais tante Adélaïde avait toujours eu un faible pour cet élément de la gastronomie si particulière du principat. Trois coups frappés à la porte la sortirent de ses rêveries. Sans attendre de réponse, Hortense entra, sa tablette dans les mains.

Sans être d'une beauté exceptionnelle, elle avait un visage plein de charme ; sa coiffure et son maquillage soigné ainsi que des vêtements d'excellente coupe lui assuraient l'élégance que tout proche serviteur de la famille princière se devait de posséder. Mais aujourd'hui était un jour « fermé » : dans le jargon du palais, cela signifiait qu'aucune sortie officielle n'était prévue ; elles s'autorisaient donc des habits plus décontractés que d'ordinaire.

— Le monstre est arrivé, clama-t-elle joyeusement.

— Le monstre ? interrogea Blanche dans un éclat de rire.

— Nous sommes lundi, c'est l'heure de gérer ton emploi du temps de la semaine... et je sais que ce n'est pas ton moment préféré !

Si elles avaient pris le parti de se vouvoyer lorsqu'elles étaient en public, le tutoiement leur était naturel dans leur particulier. Après tout, au-delà des liens maître-serviteur, une franche amitié unissait les deux jeunes femmes.