La poésie du moment

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J'ai reçu un message de facebook, la bulle de messenger a affiché un visage que je ne connaissais pas. La personne, un garçon, me disait juste "Salut". Je n'ai pas répondu. En fait, j'avais déjà parlé à des inconnus sur les réseaux, enfin sur facebook, et cela ne m'avait jamais vraiment mené quelque part. On discutait de tout et de rien, et je savais que si j'en avais marre je n'avais qu'à bloquer la personne. Je ne dévoilerais rien de secret, ni mon adresse, ni le nom de mon collège ou de mon lycée, ni les prénoms de mes proches. Mais rien ne sert de vous dire que si les personnes avec qui j'ai parlé avaient eu des intentions malsaines, elles n'auraient pas eu de mal à tout trouver sur internet.

Donc je n'ai pas répondu à l'inconnu, au garçon. J'ai attendu. J'ai laissé passer la journée. J'adore la montagne, que ce soit l'hiver ou l'été. Je trouve que le soleil apporte une certaine nostalgie aux hauteurs, le vent frais fait se mouvoir les herbes, les oiseaux chantent cachés dans leurs arbres, et j'imagine le tout recouvert de neige, des petits jouant à la luge, d'autres avec des raquettes ou des skis. Et puis, les paysages, les senteurs, la solitude qu'on peut y trouver, la poésie du moment, tout cela m'inspirait pour écrire. 

Le soir, dans la maison que mes parents avaient loué - je partageais la chambre avec ma petite soeur, j'ai regardé à nouveau le message. J'y ai répondu. Je ne sais plus vraiment le début de notre conversation dans les moindres détails. J'ai vite compris qu'il ne parlait pas très bien français, et je me disais qu'on se parlerait quelques jours, que ça m'occupera et que le premier de nous deux qui en aura marre arrêtera de parler à l'autre. Ce que j'avais du mal à concevoir c'est comment il avait trouvé mon compte. Je lui ai posé la question, et il ma répondu que c'est parce qu'il cherchait à se faire connaître sur les réseaux et donc qu'il demandait beaucoup de personnes en amis. Il était tombé sur mon profil, et il a eu envie de me parler. Je ne me suis pas beaucoup attardée sur son explication, mais j'ai tout de suite compris qu'on avait pas la même mentalité, et que je ne savais pas si je pouvais lui faire confiance.

J'ai appris qu'il venait du Maroc, qu'il avait 19 ans et qu'il était lui aussi en vacances. Il emmenait son frère et sa soeur à la piscine. Petit à petit, j'ai commencé à apprendre des détails, qui auraient pu être totalement faux. Je lui disais que j'étais avec ma famille, dans la montagne, que je rentrerai une semaine après. Il avait voulu m'appeler, mais je ne voulais pas. Ca  me stressait, j'avais peur de rendre les choses plus réelles, puis mes parents étaient toujours dans les parages, je craignais qu'ils m'entendent parler au téléphone et qu'ils comprennent que c'était avec un inconnu.

Je regardais les photos du garçon, ah oui ! Je l'appelais Sam, à l'époque, car il avait écrit son prénom bizarrement sur facebook. Mais j'ai appris quelques jours après notre rencontre virtuelle qu'il s'appelait Houssam. Prénom qui signifie, en arabe, le couteau de Dieu.

En faisant défiler l'album photo, je découvrais petit à petit un visage souriant, charmeur, que venaient illuminer des yeux marrons presque noir et pétillant de vie. J'entrais en possession d'un savoir qui m'appartenait, puisque personne encore ne savait que je lui parlais. Il était cet étranger avec qui je partageais une infime partie de ma vie, puisque l'on échangeait quelques conversations, lorsque j'arrivais à avoir de la connexion.

Alors que je descendais un sentier au beau milieu de la forêt avec mes parents et ma soeur non loin de moi, Houssam m'a redemandé si on pouvait s'appeler.

Ce à quoi j'ai répondu qu'on verrait ça à mon retour de vacances. Je n'avais pas apprécié qu'il me repose la question, mais l'idée qu'il s'intéresse à moi me passionnait. On peut parler de passion je suppose, lorsque l'on pense sans cesse à la perspective de réaliser quelque chose d'hors du commun. Je ne sais pas trop ce que je m'imaginais, mais cela devenait une obsession. Ne pas être comme tout le monde, s'intéresser à l'humanité, au risque de se faire un peu mal sans doute.

Pendant ces vacances d'été, en plus de la connaissance de ce garçon, j'ai remarqué un changement de comportement chez mes parents. Ils ont eu une grosse dispute au beau milieu de la route, alors que mon père conduisait. Je me souviens qu'il pleuvait beaucoup et que ma petite soeur a eu peur. Au fond de moi s'installait timidement l'idée que mes parents pouvaient ne plus être en accord, au point que la réconciliation ne serait qu'à chaque fois temporaire, jusqu'à la nouvelle crise.

Au final, cette deuxième semaine de vacances à la montagne c'est achevée, et je me rappelle que ce sont pour moi les dernières vacances où j'ai pu entrevoir de l'amour dans les yeux de mes parents. Après, c'était la routine, et l'habitude de se dire des mots tendres.

J'étais déchirée sentimentalement, un ami d'une de mes amies de lycée me parlait beaucoup par message, et en plus de ce Houssam, je crois que mes nerfs m'envoyaient un message. Dans la maison de mon enfance, je suis sortie de ma chambre et j'ai fondu en larmes dans les bras de ma petite soeur. J'avais l'impression qu'on me prenait trop la tête, et ce n'était pas une impression.

Mais il a fallu que je naisse hypersensible. J'ai choisi de me battre pour être plus courageuse, mais à 15 ans, j'avais un coeur qui demandait de l'amour, et une attirance pour l'inconnu. Et la porte à tous les dangers était grande ouverte.
Heureusement que j'ai une bonne étoile.

Nous étions au début du mois d'août, j'avais hâte de reprendre la course à pieds. Je faisais du demi-fond en club, et tout comme la douleur que je ressentais après mes entraînements, mon acharnement à vouloir progresser était bien présent. L'athlétisme m'a beaucoup apporté, je pense, dans ma personnalité. C'est après coup que, bien sûr, que je l'ai réalisé.

La témérité, le goût de l'effort, l'approche d'une certaine rusticité. Le début d'un peu d'autonomie et de confiance en soi. La connaissance de mon corps et de ce que j'étais capable de fournir. Mais tout cela, je le travaille encore et je le travaillerai toujours.

Avec Houssam nous nous parlions toujours. Déjà une semaine de passée, à peu près. J'avais eu droit à un nouveau lit dans ma chambre, le petit lit une place à barreau blanc a été remplacé, pour mes 16 ans, par un lit deux places que j'adorais. J'avais beaucoup de mal à me voir grandir, à me séparer de mon enfance, mais bizarrement, ce grand symbole de l'enfance qu'est le lit unique, je ne m'en suis pas trop mal débarrassé. 

Durant ce mois d'août, j'ai eu envie de travailler. Avec une de mes meilleures amies, on était motivées pour chercher quelque chose à faire, et pourquoi pas ensemble. deux femmes, amies de ma grand-mère, qui habitent à quelques heures de chez moi à la campagne avaient du travail à nous proposer pour une semaine. Même si on s'est retrouvées à travailler gratuitement, car nous étions nourries et logées, on a pu avoir une toute première expérience professionnelle. On se levait tôt pour emmener les ânes au pré, on nettoyait les écuries, on apprenait à brosser et dresser les ânes. Puis un groupe d'enfants handicapés est arrivé, encadré par leurs moniteurs. 

J'ai de très bons souvenirs de cette semaine, même si au fond, c'est aussi là que l'histoire a débuté avec Houssam. Enfin non, elle avait débutée quelques jours plus tôt. 

Sans frontièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant