Si loin de moi

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Un jour a été plus spécial que les autres. Ce soir là, je me sentais un peu seule, un peu triste. J'ai reçu un appel et énervée, j'ai regardé qui me dérangeait. Mais en fait, c'était lui. Et il ne me dérangeait pas. Il m'a beaucoup surpris. On s'est parlés quelques minutes à peine, il avait une voix douce. Dans le journal intime que je tenais à l'époque j'ai écrit qu'il avait une voix d'ange. Tout de suite j'y ai trouvé quelque chose de rassurant, de protecteur, et bien sûr, de mystérieux. Il avait un accent marocain que je ne connaissais pas, il avait du mal à trouver ses mots et cela avait l'air de beaucoup l'intimider. Du coup, je l'ai trouvé très mignon. L'appel à vite pris fin, mais j'avais envie qu'on continue de se parler. Je commençais à le trouver très attachant, très intéressant, et surtout, je commençais à sentir mon coeur battre un peu plus fort.

J'avais été amoureuse quelques années auparavant, à mes 12 ans. Même s'il est légitime de dire qu'on aime quelqu'un aussi jeune, à 12 ans on ne connaît pas encore tout de nous, de ce que nous propose la vie, des possibilités infinies, et surtout, on manque d'expérience. Donc oui, on aime, mais les déchirures amoureuses, les coeurs brisés par les garçons peuvent encore s'oublier relativement vite. Même si, quelque soit l'âge, les larmes versées dans ces moments là sont toujours très douloureuses.

A 15 ans non plus, on a pas beaucoup d'expérience. Mais moi, à cet âge, j'avais l'impression de ne plus être une gamine. Je me voyais me rapprocher de l'âge adulte beaucoup trop vite et cette idée m'angoissait. Le fait qu'un garçon entre dans mon quotidien, s'intéresse à moi, à tout ce qui attrait à ma vie, et qu'il me présente la sienne, ce fait là me passionnait. Je commençais à voir, comme on dit si bien, la vie en rose. On s'appelait tous les jours, plusieurs heures. On s'est même endormis au téléphone, bien que mes parents coupaient la connexion. Ce soir là mon père a dû oublier de débrancher la prise. Ou tout simplement je suis peut être moi-même montée la rallumer. C'est quelque chose que je ne faisais pas vraiment avant, mais je commençais à pratiquer l'art de monter les escaliers sans faire de bruit, assez tard pour que mes parents dorment, pour rebrancher le câble. Le lendemain matin, je ne sais plus très bien comment je faisais pour le débrancher. C'était les vacances d'été, il y avait quelque chose dans l'air qui me donnait envie de danser, de sourire, d'écouter de la musique. Mon papa avait dit "Toi, tu es amoureuse." J'avais envie de lui dire que j'étais la fille la plus heureuse du monde, que j'avais rencontré un garçon magnifique, avec une voix d'ange, des yeux aussi foncés que le coeur de l'océan, une peau bronzée parfaite... Mais je ne pouvais rien dire. Peu à peu s'est immiscée dans mon esprit l'idée que mes parents ne seraient pas aussi heureux que moi. Mais je ne m'en occupais pas encore. Houssam m'envoyait de jolies photos, il me montrait ce qu'il aimerait faire avec moi : se chamailler, rire, faire des sorties, me prendre dans ses bras. Toutes ces photos il allait les chercher sur internet et il les enregistrait dans son téléphone pour ensuite me dire : " Regarde, un jour ça sera nous". Je n'avais jamais eu de câlins d'un garçon. Et soudain j'en mourrais d'envie.

 Houssam était devenu mon homme. Il avait quatre ans de plus que moi, il était musclé, il avait un petit frère et une petite soeur, il faisait des petits travailles, il vivait dans un quartier qui avait  l'air agité. Il semblait qu'il y avait toujours de l'animation, un jeune qui crie, des gens qui vendent des trucs, des enfants qui jouent au foot. 

Pour moi, ce garçon, c'était mon petit homme. Dans mon journal intime, j'écrivais peu à peu tout ce que j'apprenais sur lui.

Je me rassurais en me disant que de jour en jour je découvrais sa personnalité, son quotidien. Nous passions des heures au téléphone ensemble, et puis un jour en caméra. J'étais toute timide de me montrer. J'étais très loin de me trouver belle. J'avais beaucoup de complexe. Tout au plus je me trouvais mignonne. Mais il me rassurait. Il n'était pas comme tous les garçons de mon ancien collège ou de mon lycée. Lui, il ne me parlait pas de sexe. Il ne me disait pas de gros mots, il me protégeait de tout ce qui pouvait me brusquer. Il m'a habituée à toujours me dire de ne pas m'inquiéter. 

Il était différent. 

Et de toute façon, je le découvrais de plus en plus, nous n'avions pas la même culture. Il y avait tant à découvrir, tant à se dire et à s'apprendre. Une culture entière s'offrait à moi, et en plus de ça, c'est l'amour qui m'en donnait la clef. Je me sentais vivre, exister grâce à lui. Je m'endormais avec sa voix, me réveillais avec sa voix, je n'attendais que de ses nouvelles. Je n'avais pas de doute sur sa fidélité, nous en avions beaucoup parlé. Il m'avait trouvé moi, il ne me lâchait pas. Il avait des propos qui parfois me bousculaient un peu. J'ignorais s'il s'en rendait compte. Il me disait que j'étais sa princesse, sa vie, sa future femme. Et moi, je me demandais si c'était comme ça que les garçons parlaient aux filles quand ils étaient amoureux, ou si réellement il pensait à se marier. Si je me posais cette question, c'est qu'il n'était plus question pour moi d'aller voir ailleurs. Oui, il me parlait d'être sa femme, mais non je n'ai pas pris peur. Pourquoi ? Car cela faisait presque un mois que l'on parlait jour et nuit, qu'on entrait dans l'esprit de l'un et de l'autre par l'intermédiaire de questions-réponses. C'était chacun son tour, c'était beau et inquiétant à a la fois, car tout allait très vite, et que personne, à part une de mes meilleures amies et ma petite soeur, était au courant.

Et pourtant, il y avait un très petit problème.

1857 kilomètres, à pieds, nous séparait l'un de l'autre. Un pays, une mer.

Sur le planisphère de mon père, j'ai posé mon doigt sur "Casablanca", et j'ai découvert un pays tout en longueur, un pays au bord de mer. Mon petit homme vivait au sein de la capitale économique, à environ une heure de la capitale en train.  C'était incroyable cette mine de savoir.

Toute une culture... Je me répète car pour moi c'était formidable. Toute ma curiosité, mon envie d'aider l'autre, ma soif de connaissance allaient être comblées par une seule et unique personne.

J'imaginais que ce petit bout d'homme m'attendait quelque part dans un autre pays, sur un autre continent. Concevoir qu'un être humain, si loin de moi, puisse m'aimer, c'était compliqué. Cela devenait de plus en plus compliqué, en tout cas.

Après s'être vu par skype, par photos sur messenger, après s'être envoyés d'innombrables photos prises sur des comptes instagrams où des couples vivent leur vie heureux, j'ai enfin posé la question qui me taraudait  l'esprit  depuis quelques temps :

Quand est-ce que je pourrais te voir, mon amour ?

Une promesse en est née. 

"On se verra, c'est promis, un jour ma vie, main dans la main on avancera."

Moi qui aimait la littérature, je trouvais notre amour poétique ! 

Chaque nuit, je me voyais m'endormir dans ses bras.

Je ne pouvais qu'imaginer vaguement, car je ne connaissais rien à tout ça. Je n'avais jamais rien fait avec un garçon. j'ignorais ce que cela faisait de partager son lit, de sentir la chaleur d'un autre corps tout proche de nous, d'une personne que l'on aime. Qu'est-ce que cela fait, un câlin d'un homme qui nous aime ? Et l'amour ? L'acte en lui-même ? Nous n'en parlions pas beaucoup. Avec ce jeu de questions réponses, j'avais quand même réussi à mettre le malaise.

Il m'avait demandé si j'avais déjà fait des bêtises, ce à quoi j'ai répondu en éclatant de rire que oui, c'est évident. Sauf que pour lui, bêtise était une manière de dire "sexe". On ne dit pas le mot là bas, ça ne se prononce pas, pas dans son éducation. C'est mal poli devant une fille, c'était dégoûtant et puis il ne voulait pas me gêner.

Au final, j'ai compris qu'il était rassuré et heureux de savoir que je n'avais jamais rien fait au lit. J'ai su que lui non plus, je pense que j'en étais contente, mais en même temps, ça m'intimidait de lui en parler. J'étais beaucoup trop mal à l'aise.

Et puis peut-être qu'il me mentait.

J'avais déjà beaucoup de mal à réaliser qu'un jour, peut-être, je pourrais sentir son coeur battre lorsqu'il me prendrait dans ses bras. 

Sans frontièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant