Le soir, quand je rentrais chez moi après les cours, j'avais hâte de raconter toute ma journée à Houssam. Il me fallait environ quinze minutes pour rentrer. Je passais devant la patinoire, le stade, le mcdo, toute l'avenue et puis enfin mon quartier.
J'ai commencé à écouter beaucoup de musique, et à ne plus me séparer de mes écouteurs.
J'avais comme habitude de faire mes devoirs dans la cuisine. C'était la pièce de la maison où j'arrivais le mieux à me concentrer, bizarrement. La table était très grande, j'avais vu sur le jardin, et j'avais droit aux passages de ma famille, qui ne me dérangeaient pas. Dans ma chambre je n'arrivais pas à me concentrer. Mon bureau me servait à tout sauf à travailler dessus.
Les jours suivant la rentrée il a fallu s'adapter. Un rituel c'est mis en place peu à peu.
C'est normal que les journées soient ritualisées, vue que l'on étudie, que l'on travaille... Mais peut-être pas au point de ne pouvoir faire une seule entorse à la routine.
Pour donner un exemple, je passais mes journées en cours, je rencontrais de nouvelles personnes et certaines filles sont devenues de très bonnes amies. J'étais heureuse d'aller en cours, de me retrouver avec elles pour bosser et pour parler de notre vie. Mais le soir, quand je rentrais, je savais que je ferai mes devoirs et que inévitablement je devais raconter ma journée à Houssam et il devait me dire ce qu'il avait fait.
J'ai commencé à raconter à certaines de mes potes que j'avais un copain qui vivait au Maroc. Au début elles me posaient des questions inquiètes, et dans leur regard je lisais de la réprobation. Mais à force de se voir et de discuter tous les jours, elles ont "vécues" l'histoire avec moi.
Ca me faisait énormément de bien, en vrai, de pouvoir en parler. Je sais que j'ai perdu leur contact aujourd'hui, mais ces filles ont été géniales pour moi. Je ne sais pas si je leur ai dit suffisamment merci. Le pire dans tout ça c'est que cette période me manque parfois, car je passais de très bons moments avec elles, qui étaient tous gâchés pour la plupart par mon anxiété.
L'hiver arrivait, nos journées entre Houssam et moi ne se ressemblaient pas. Il travaillait au magasin de son père. Ce dernier était boucher, Houssam me racontait qu'il l'aidait depuis qu'il était petit, mais que maintenant il y était beaucoup plus souvent. Il m'envoyait des photos depuis le haut du magasin. Il y avait une petite pièce avec un canapé, et de là il entendait et voyait tout ce qui se passait dans la rue.
Grâce aux photos j'ai constaté que la boutique se trouvait dans une rue constituée d'immeubles. D'ailleurs, le quartier entier en été constitué. Souvent, il m'envoyait les chats errants en photos. Il y en avait un qui était blanc et noir, et qui réclamait tout le temps des petits bouts de viande.
La marchandise vendue dans ce petit magasin était des abats. Je n'y connaissais rien, mais rien que le mot boucherie me révulse un peu, tout simplement car de base je n'aime pas vraiment la viande. Alors en plus s'il fallait que ça soit du coeur, du poumon ou du foie, je ne me sentais pas particulièrement à l'aise avec le sujet.
Par curiosité, je demandais à Houssam s'il aimait la viande, et si au Maroc ils en mangent beaucoup.
Donc oui, il aimait beaucoup ça. Il en cuisinait souvent. D'ailleurs, il savait bien cuisiner. Il me disait qu'il aidait souvent sa mère, et un jour, il m'a envoyé une photo d'elle et lui. Au départ, il ne m'a pas dit de qui il s'agissait. Comme la photo n'était pas très nette, je n'ai pas bien discernée l'âge de la personne. Je me suis retrouvée à être jalouse de sa maman...
Comme elle me paraissait très jeune, j'ai demandé à Houssam à quel âge elle avait eu son premier enfant.
A 18 ans.
J'ai commencé à entrer dans l'histoire de sa famille.
Plus j'en apprenais, plus je découvrais que Houssam souffrait. Et ça me touchait beaucoup. Je me suis demandée à plusieurs reprises s'il me mentait, mais tout me prouvait que non. On était tellement souvent au téléphone, il m'envoyait très souvent des photos, des audios sur messenger, j'avais sous mes yeux toute une vie qui n'était pas la mienne.
A la manière dont on ouvre un livre, et page après page on s'immisce dans la vie des personnages, on en découvre les secrets, les lieux et leur parcours, je découvrais la vie d'Houssam, de sa maman, de son papa, de son petit frère et de sa petite soeur.
Lui aussi, il découvrait ma vie.
Maintenant que mes parents savaient, je ne me cachais plus. Je lui téléphonais devant ma famille, pour qu'ils voient qu'on se parlait bien. Mais ça ne prouvait rien à mes parents. Ca leur montrait seulement que leur fille était amoureuse d'un garçon vivant à l'étranger et qu'elle n'avait jamais vu.
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Sans frontière
LosoweCette histoire est entièrement réelle. Elle n'est pas terminée. Elle a commencé il y a cinq ans. Aujourd'hui, je veux vous la raconter, avec les mots qui viennent sur le moment. C'est difficile de se souvenir de tout. Parfois, je ne trouve pas...