Ce que je n'ai pas raconté, c'est que j'ai perdu une amie à cause de cette histoire. Une de mes meilleures amies de l'époque. Je la connaissais depuis la sixième. Cela faisait donc cinq ans. Nous avions été séparées en cinquième car elle a redoublé, mais jusqu'à présent on était restées en bon terme. Quand elle a su que j'étais en couple avec un étranger, qui n'en était pas un pour moi, elle a eu des propos qui ne m'ont pas plus. Aujourd'hui je sais que je ne réagirais pas pareil aux critiques. De plus, à cette époque, on avait toutes les deux 16 ans. Si je n'étais pas assez mature pour répondre correctement et agir en faisant en sorte de ne pas la perdre, elle non plus n'était pas assez mature, malheureusement, pour mesurer ses propos.
Au final, même si je pensais avoir fait le bon choix en l'oubliant de ma liste d'amie, je me rends compte que les choses auraient pu être différentes si j'avais essayé de me mettre à sa place.
J'étais beaucoup sur la défensive quand on critiquait Houssam et ma relation, car lui n'était pas là pour se défendre et que moi je me sentais seule face au monde. Même si certaines personnes avaient de bons conseils à mon égard, et qu'elles disaient tout ça soit en connaissance de cause, soient car elles essayaient de comprendre, moi je n'arrivais pas à admettre le fait que je pouvais me remettre en question.
Et plus les jours passaient plus je me sentais seule.
J'écoutais, je tentais de dire que oui, j'étais d'accord avec leur morale, mais au fond j'étais amoureuse et je refusais d'en démordre. Pour moi critiquer Houssam avec les autres c'était le trahir.
C'est compliqué d'expliquer ça.
Reconnaître que la situation était bizarre devant tout le monde m'était impossible.
Je voulais qu'on me fiche la paix.
J'avais peur moi aussi qu'il me mente. Peur de l'avenir. Peur que toute cette histoire s'arrête d'un coup. Peur de perdre encore des amis, voire de la famille. Peur de voir mon quotidien changer, peur de le perdre. Mais j'étais tellement amoureuse, tellement accrochée à lui, que je devais le défendre quoi qu'on dise. Je lui avais accordé une confiance infinie, et je savais que je ne me trompais pas. Tous les deux, on s'est promis de se voir, de se donner la main et de ne plus jamais se la lâcher.
On s'était fait cette promesse et depuis ce jour, on se la répétait souvent.
Houssam savait que mon entourage avait des doutes sur ses intentions. Il était au courant des ces jeunes hommes qui profitaient de la crédulité des femmes pour obtenir les papiers grâce à un mariage. Il était question de mariage blanc, également. Il connaissait bien les tactiques pour tromper les autorités, les filles, et venir vivre en France. Mais ce n'était pas son but. Lui, il me disait :
" Elise, si je voulais juste les papiers, j'aurais choisi une femme majeure, je n'aurais pas eu à attendre cinq ans."
Même en sachant ça, mon entourage me répondait :
"Ils sont patients, tu sais."
Cela me rendait hors de moi.
Il y avait toutes ces remarques fondées sur des expériences, des remarques que je refusais d'écouter car elles me faisaient mal au coeur, et il y avait les remarques stupides, racistes.
Une grosse question c'est alors posée à moi : je suis en couple avec un musulman, suis-je obligée de me justifier, en tant que française chrétienne ?
Avec les événements qui allaient venir et qui commençaient déjà à secouer notre pays, cette question se posait d'autant plus.
Les terroristes prenaient de plus en plus de place dans les médias, les histoires de personnes qui partaient vers la Syrie rejoindre Daesh faisaient pâlir et trembler mon pays.
Moi, je voulais juste aimer mon copain. Je me retrouvais face à une injustice effroyable : les amalgames.
De plus, je n'étais encore au courant de rien de la guerre en Syrie, jusqu'au jour où j'ai commencé à me renseigner. J'ai découvert que la guerre faisait des ravages dans la population depuis 2011, et que tout partait d'un soulèvement du peuple pour plus de libertés, et d'une guerre contre l'Etat islamique implanté dans la zone.
En me penchant un peu mieux sur la religion, par envie et par curiosité, j'ai vite compris pourquoi ces amalgames avaient lieu, pourquoi cette religion suscitait autant de peur chez les gens. J'ai compris que dans la vie il n'y avait pas d'un côté le bien et d'un côté le mal, qu'il y avait des gens qui venaient sans pitié entâcher notre quotidien et attiser la haine. J'ai commencé à voir la vie en gris. La poussière des décombres de la Syrie hantaient mes journées. L'ignorance des gens et leur manque de neutralité m'épuisait, mais je continuais ma vie. Les cours, le sport, les repas de famille, les quelques sorties entre potes, et ma relation.
J'étais en couple avec un musulman, nous discutions de tout, on faisait de longs débats sur tout plein de sujets. En cours je me sentais épanouie, je lisais, j'écrivais...
Autour de moi des gens voulaient me faire croire que tous les musulmans étaient des machos, des brutes... Pourtant moi je ne m'étais jamais sentie aussi bien, mais également aussi éloignée de tous.
J'ai commencé à sentir se créer une force en moi qui me poussait à avancer, à vaincre mes démons quotidiens.
Je n'ai eu à faire qu'une seule fois à un macho jusqu'à présent, et croyez moi, il était tout sauf musulman.
De plus, j'ai appris à faire la différence entre Houssam, qui n'avait jamais mis les pieds hors du Maroc, et les français d'origine marocaine. Mais ça, c'est un apprentissage dont je vous parlerai plus tard dans l'histoire.
Avant, il y a eu la venue de l'hiver, de Noël et surtout, notre voyage au Sénégal.
L'été 2015, mes parents ont annoncé à ma grand-mère que nous irions la voir pour la première fois au Sénégal, où elle vit avec son copain. Mon père y était déjà allé en 2006, j'avais six, et je me souvenais des petits objets en bois, des poupées en tissu, des cacahuètes qu'il avait ramené. Là, j'avais 16 ans, et j'attendais ce voyage avec impatience.
L'Afrique a toujours attirée mon attention, sans que je sache trop pourquoi. Je sais que pour ma grand-mère il en va de même.
Petite anecdote, tant pis si je passe pour une folle, je ne suis plus à ça près : vue que le continent africain me passionne, j'en avais appris les pays et leur disposition par coeur. J'avais eu un globe à Noël et souvent dès que j'y pensais je me concentrais quelques minutes et à la manière dont on apprend une poésie quand on est petit, je récitais les pays d'Afrique.
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Sans frontière
RandomCette histoire est entièrement réelle. Elle n'est pas terminée. Elle a commencé il y a cinq ans. Aujourd'hui, je veux vous la raconter, avec les mots qui viennent sur le moment. C'est difficile de se souvenir de tout. Parfois, je ne trouve pas...