Où les hommes sont des créatures exaspérantes

2.1K 330 73
                                    

Loïc Duvernois avait cela d'agaçant qu'il paraissait toujours impeccable et reposé chaque fois que je le voyais. Même très tôt le matin, il n'y avait plus aucune trace de sommeil sur son visage. Il n'avait pas de pantoufles aux pieds, pas d'épis dans ses cheveux et il ne portait pas de vieux t-shirt de pyjama.

Stan et lui se serrèrent la main avec chaleur, comme s'ils étaient de bons potes.

— Stanislas, c'est bien ça? Ravi de te compter parmi mes amis Facebook, lâcha Loïc.

Était-ce une pointe d'humour que je décelais dans sa voix?

— Ça permet de savoir à qui on a affaire, répondit Stan avec un naturel désarmant. C'était sympa les cheveux longs sur ta photo de profil, ça faisait un peu beach boy. Mais le style vintage est très bien aussi, le rassura mon ami pendant que j'écoutais cet échange avec un air halluciné.

— Eh bien, je te remercie. Voulez-vous un café? proposa Loïc, se prenant pour un parfait petit hôte.

— Non, répondis-je sèchement pour couper court à leurs badineries. Stan, on a un cours à 8h30.

En voyant Stan sortir l'argent pour la location du violon, je me sentis furieuse contre moi-même. Je n'aurais jamais dû accepter son offre. Ma colère contre Loïc s'attisa également. Il m'avait fait devenir cette personne : celle qui profitait de l'argent de son ami.

Loïc compta les billets avec soin, puis me tendit solennellement le violon de son grand-père dans son étui. Il tentait de le camoufler, mais je décelais de l'hésitation sur son visage.

— Je serai de retour à 20h ce soir, m'informa-t-il. Tu pourras me ramener le violon à ce moment.

— Très bien, lâchai-je en prenant le violon. Au revoir.

Je tournai rapidement les talons tandis que Stan s'attardait, discutant un moment avant de me rejoindre.

— Stan, pourquoi fraternises-tu avec l'ennemi? lui demandai-je dès que nous fûmes assez loin.

— Il est plus sympathique que tu voulais bien me le dire. Tiens, je vais même lui faire coucou en message privé.

— Tu n'oserais pas.

— Bien sûr. C'est fait, décréta-t-il en pianotant sur son téléphone.

— Stan!

— Il m'a déjà répondu. Loïc vous a salué en retour, lut-il sur son écran. Tu vois? Très sympa. Allons mon petit artichaut, dépêche-toi si tu ne veux pas qu'on arrive en retard en classe.

Nous arrivâmes en retard. 

 Bon élève, Stan se rendit rapidement en classe, mais je décidai de sécher et de monter directement au sixième étage du pavillon, là où étaient situés les locaux de pratique. Il me tardait de jouer sur mon Vuillaume.

Je pratiquai toute la journée. Avoir un nouvel instrument, c'était comme apprivoiser un petit animal. Ça nécessitait du temps et de la patience. Mon nouveau violon n'avait pas les mêmes proportions ni le même poids que mon ancien. Tous ces petits changements faisaient que je devais ajuster mon jeu et pratiquer d'autant plus si je voulais être parfaitement en contrôle pour le concours. Il me restait dix jours avant le quart de finale du concours Paganini.

En fin d'après-midi, mon local de pratique était devenu une fournaise. Le soleil couchant baignait la pièce exiguë de sa lumière et la réchauffait comme une serre. J'attrapai un crayon de plomb sur mon lutrin, entortillai mes cheveux autour et fixai le tout en chignon sur ma tête. Je me rendis ensuite à mon cours avec Igor, sautillant comme une puce dans les couloirs. Il allait être épaté de mon nouvel instrument.

— Je l'ai, annonçai-je de but en blanc en faisant irruption dans le local.

— Tu as quoi? grommela mon professeur en levant le nez d'une partition.

— Le violon à la hauteur de mon talent. Je n'y suis pas encore totalement habituée, mais ça viendra d'ici quelques jours.

J'ouvris mon étui pour présenter l'instrument à mon professeur tout en babillant.

— C'est un Vuillaume achevé en 1851. Il est en parfait état. Son timbre est...

— Joue-moi quelque chose, m'intima Igor Moscovaki, méfiant.

Je ne me fis pas prier. Jouer sur ce violon était un réel plaisir. Je fis quelques gammes, puis jouai une pièce apprise quelques années plus tôt. Lorsque je cessai de jouer, je levai les yeux vers mon professeur avec sourire ravi.

Igor me fixait d'un œil noir, ses lèvres pincées en une mince ligne.

— Comment as-tu eu ce violon? me questionna-t-il d'une voix chargée de reproches. Tu as dû vendre ton âme au diable, pauvre folle! s'exclama-t-il.

Je suis folle? C'est vous qui m'avez dit de me trouver un nouveau violon!

— Combien?

— Combien quoi?

— Combien as-tu déboursé pour l'obtenir?

— Qu'est-ce que ça change?

— Cesse de répondre à mes questions par d'autres questions! s'emporta-t-il.

Il poussa un lourd soupir pendant que je fulminais. Ce vieux Moscovaki et ses sautes d'humeur allaient avoir ma peau. Il considéra mon violon, la mine sombre, puis soupira de nouveau.

— Tant que tu ne perds pas de vue l'essentiel, capitula-t-il alors. L'important, c'est la musique.

— Justement, je vais jouer encore mieux sur cet instrument, plaidai-je.

Igor acquiesça d'un air distrait. Il me tortura ensuite avec des études complexes et j'en conclus que c'était sa façon de clore l'incident.

À 20h, je ramenai le violon à son propriétaire.

— Bonsoir.

— Voilà, fis-je en rendant l'instrument à Loïc sans plus de cérémonie.

— Tout s'est bien passé? s'enquit-il comme un parent inquiet.

Je levai les yeux au ciel.

— Évidemment.

— Tu as un crayon de plomb dans les cheveux, souleva-t-il alors.

— Oui, ça arrive, répondis-je platement. Il n'y a rien que je déteste tant que de ne pas avoir de crayon à portée de main.

— Ta coiffure ressemble à s'y méprendre à un nid d'oiseau, reprit-il encore.

— Et tes lunettes, on en parle qu'elles te donnent l'air d'un vieux hibou?

Loïc fronça légèrement les sourcils. Je décidai d'enfoncer le clou un peu plus.

— C'est pour compléter le look grand-père, c'est ça?

— Non, je suis myope, sacrebleu. Peux-tu me laisser essayer de voir en paix?

— Bien sûr. À demain.

Loïc respira fortement.  

***

On finit sur un mini-chapitre avant le prochain qui est très long. 

À bientôt <3 

Le violonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant