Où la finalité est un commencement

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Mon sang ne fit qu'un tour.

— Vous avez quoi?!

— Inutile de me répéter, tu as bien entendu. Je t'ai empoisonné l'existence avec cette idée de violon pas assez bien pour toi, éluda Igor. Tu es devenue obsédée par l'instrument en soi. Ton talent et ton succès ne dépendent pas de l'instrument que tu possèdes. Ils ne dépendent que de toi. C'est ce que je voulais t'enseigner en t'empruntant ton nouveau violon.

— M'enseigner?! En me volant mon putain de violon?

Mon éclat ne sembla pas émouvoir mon professeur, qui me dévisageait sans ciller.

— Igor, vos méthodes pédagogiques ont toujours été douteuses, mais là, c'est le pompon! Vous avez commis un acte criminel! m'insurgeai-je alors. Avez-vous la moindre idée de ce que j'ai vécu par votre faute? J'ai passé des nuits blanches à essayer de retrouver ce maudit violon! Et pendant que je me rongeais les sangs, le Vuillaume était bien au chaud chez vous? Vous êtes dérangé, bon sang!

J'aurais pu continuer encore longtemps, mais mon professeur prononça quelques mots qui eurent l'effet d'un seau d'eau sur le feu de ma colère :

— Je suis désolé.

Et comme je ne croyais pas que j'allais entendre Igor s'excuser une deuxième fois dans ma vie, je me permis de savourer un instant ces trois mots.

— En fait, je ne le suis pas vraiment, ajouta-t-il, brisant tout de la magie de l'instant.

Évidemment qu'il ne l'était pas.

— Nous allons récupérer le Vuillaume chez vous. Maintenant, décidai-je avec l'autorité d'un sergent.

— Comme toujours, tu réagis beaucoup trop fortement...

— Igor.

— Très bien, allons-y.

Je ne pus profiter de la docilité de mon professeur bien longtemps. Yuki Nakajima, la juge qui m'avait entretenue à la demi-finale, s'approchait de nous d'un pas déterminé. Son arrivée n'augurait rien de bon. La dernière fois que j'avais discuté avec elle, quelqu'un en avait profité pour me piquer mon instrument.

Mme Nakajima dégageait une aura encore plus vampirique que la dernière fois. Son haut possédait de larges manches en voilage noir, lui donnant vaguement l'air d'une chauve-souris. Ses lèvres arboraient un rouge à lèvres aubergine qui contrastait avec son teint clair. Ce soir, toutefois, elle n'était pas venue seule. Un homme élégamment vêtu lui emboîtait le pas.

Que me voulait-elle encore? J'avais vécu suffisamment d'émotions pour aujourd'hui. Je n'avais pas besoin de me taper une nouvelle conversation philosophique sur l'importance de la musique.

— Élianna Carignan, me salua la juge sans cérémonie. Pourquoi as-tu fait cela? enchaîna-t-elle avant que je n'aie eu le temps de dire quoi que ce soit.

Je haussai un sourcil, surprise par sa question si directe.

— Faire quoi? demandai-je en plissant les yeux.

Mon interlocutrice me sonda de ses iris noirs.

— Changer ton programme à la dernière minute, répondit-elle alors. Tu nous as fait parvenir la partition d'un morceau que tu n'as pas joué.

Alors voilà la raison de sa présence ici. Pourquoi mon changement de programme la tracassait-elle autant?

— Ce morceau n'était plus approprié pour différentes raisons, expliquai-je posément. J'ai choisi hier d'en jouer un autre qui me convenait mieux.

Le violonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant