Chapitre 10

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La pluie, violente, s'abat sur notre maison, si bien qu'on dirait que cette dernière va s'écrouler. Le regard de William se balade sur le plafond, il a la mine inquiète.

- Ben alors, ne me dis pas que tu as la frousse ! le taquiné-je.

- C'est pas drôle ! En plus, il fait tout noir dehors ! observe-t-il, en regardant par la fenêtre.

- Hé ! Ce n'est pas ce qui va faire peur au capitaine Will quand même ! lui lancé-je, tandis que les gouttes d'eau ne cessaient de s'écraser sur les vitres, au rythme semblable à celui d'un tambour.

- Mouais, m'enfin bon, le navire va couler moussaillon, c'est une grosse tempête ! déclare mon frangin.

Dès son plus jeune âge, nous avions parfois pris l'habitude de parler en tant que pirates. Ça l'avait toujours amusé, et je dois bien l'avouer, quand j'étais plus jeune, moi également.

- Notre bateau est solide, mon capitaine ! J'ai une idée ; on va jouer à un jeu de société en attendant que l'orage se calme ! Qu'en penses-tu ? proposé-je, tentant de trouver une distraction.

- Ouaip ! Mais c'est moi qui choisis alors ! s'exclame-t-il.

- Deal, lui réponds-je, tandis qu'il partait déjà à la recherche de l'activité de ce soir. Son choix fait, il tire une boîte solide en carton de l'étagère, et me la tend sous le nez.

- La bonne paie ? T'es sérieux ? Will, tu sais que je perds tout le temps...

- C'est pour ça que c'est trop bien ! se réjouit-il. Pendant qu'il ouvre la boîte et commence à trier minutieusement les petits billets en papier colorés -en prenant soin d'en cacher dans sa poche- je me perds dans les abysses de mes pensées.

- Ok, maintenant, il faut répartir les cartes, tu peux m'aider Al...
Oh hé, Alli ?

Mes pensées dévient de trop, je ne peux pas l'entendre.

- ALLISON !

C'est en sursaut, et par les mains d'Aiden qui me secouent dans tous les sens, que je me réveille. Et que je reviens à la réalité. Que je me souviens d'où je suis.

Dès le premier mouvement que je veux effectuer, ma nuque, courbaturée, m'arrache une grimace. En même temps, au vu de la position très inconfortable dans laquelle je me suis visiblement endormie, ce n'est pas étonnant. Avachie dans le siège, il faut néanmoins que je me lève un jour.

Je m'étire, provoquant au passage le son de mes os qui craquent, sous le regard étonné dAiden.

- La vache, tu devrais songer à te reconvertir en une caisse de résonance ! se moque-t-il, ce qui lui vaut une petite tape dans le dos de ma part.

- Aïe ! laisse échapper l'adolescent, malgré-lui.

- T'es pas mal non plus, en termes de résonance ! gloussé-je. Aiden rit, et pendant de courtes secondes, j'oublie. J'oublie que nous sommes des centaines de jeunes coincés ici, impuissants. J'oublie que ma famille est sûrement très loin, et qu'il y ait de fortes chances que je ne la revoie jamais. J'oublie que je ne sortirai peut-être pas d'ici. Du moins, vivante. En fait, non, je n'oublie pas, comment le pourrais-je ?

- Hé, ça va ? T'as l'air perdue dans tes pensées...dit Aiden, me ramenant sur terre.

- Oh, oui oui, ne t'en fais pas, c'est une mauvaise habitude je suppose...Hé, tu crois qu'on peut sortir des chambres ? demandé-je pour changer de sujet.

- J'espère bien ! Ces malades ne peuvent pas nous séquestrer éternellement, répond Aiden en se levant, l'air motivé. On devrait retrouver les autres.

- Imagine qu'ils soient...

- On va retrouver les autres, me coupe-t-il, n'envisageant manifestement pas la possibilité que les autres jeunes de notre petit groupe fassent partie de ces disparitions plus que douteuses.

- Je vais juste me doucher d'abord, sinon je ne survivrai jamais, soupiré-je. Je viendrai toquer à ta chambre quand je serai prête, ok ?

- D'accord, mais ne mets pas trop de temps, je ne sais pas encore combien de temps je vais résister ici.

Sur ces mots, je quitte donc sa chambre, à la quête de ces fameuses douches dont m'a parlé Amy hier. D'ailleurs, je suis impatiente de la revoir, pitié, faîtes qu'elle et son frère aillent bien.

Après une bonne dizaine de minutes, je trouve enfin l'escalier menant à l'endroit que je recherche. Je peux déjà m'imaginer Aiden s'impatienter, mais tant pis, cette fameuse douche, j'en ai grand besoin.

Une porte massive peinte en couleur bleu ciel se présente bientôt à moi, un dessin représentant une femme figure dessus. Je la pousse et tombe directement sur des vestiaires, où une dizaine d'adolescentes de mon âge rangent des vêtements et s'apprêtent. Ce qui me vient à me faire penser que je n'ai absolument pas d'habits de rechange, je vais devoir remettre ceux que je porte actuellement, à mon grand regret. Les autres filles n'ont même pas l'air me remarquer. Je présume à leurs mines inquiètes et leurs gestes précipités que je dois être la moindre de leurs priorités.

Je balaie du regard ces visages consumés par l'angoisse, espérant croiser celui d'Amy, mais je ne la vois pas.

Une boule se creuse dans mon ventre, elle m'avait bien dit hier, avant d'aller dans la chambre de Dylan, qu'elle allait aux douches ce matin. Et étant donné que d'autres filles sont là, je ne peux m'empêcher d'avoir un mauvais pressentiment.

En m'avançant dans les vestiaires, je m'aperçois qu'il y a un bac blanc étiqueté « linge usagé », et à droite une étagère à plusieurs compartiments, chacun contenant des habits de tailles différentes. Je suppose donc que je dois laisser les vêtements que j'ai sur moi dans le bac puis en choisir à ma taille à côté. Au fond à gauche se dressent deux portes vitrées ; il doit sûrement s'agir d'un espace avec des cabines de douches.

Une jeune fille au carré noir, enroulée dans une serviette blanche semble d'en sortir, puisque des gouttelettes ruissellent encore sur son visage, et ses cheveux sont trempés. Elle arrête sa marche déterminée pour poser son regard sur moi un instant, et compatis :

- Ah, tu dois être arrivée récemment. Je pense que tu le savais déjà, mais tu dois prendre des nouveaux habits, et une fois que tu te seras lavée tu devras déposer ceux-là dans ce panier, m'indique la fille, d'une voix plus grave que celle à laquelle je m'attendais. Oh, et, pour les tailles, plus l'étagère est basse, et plus la taille l'est aussi. Elle me scrute de haut en bas, et me lâche finalement :

- Hmm, tu devrais prendre la taille 2. T'es assez menue.

- Hum d'accord, merci...de ton aide, dis-je finalement, en suivant son conseil.

- Il n'y a pas de quoi. Quitte à tous mourir, autant le faire avec un minimum de dignité, tu ne trouves pas ? ajoute-t-elle, ses yeux légèrement bridés me regardant toujours, avec indifférence.

- Heu, ouais, t'as sans doute raison, affirmé-je sans grande conviction, un peu prise au dépourvue par l'audace de la jeune fille, tandis que je choisis un haut et un jean noir. Mais la « fille au carré » était déjà repartie dans le coin où elle avait déposé ses vêtements, dans une démarche élancée. Je ne lui prête pas plus d'attention, trépignant d'impatience à l'idée de savourer ma douche.

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