22. Je ne te suivrai plus

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AU BOUT D'UN CERTAIN MOMENT, Alex avait commencé à accélérer le pas. Bientôt, les deux adolescents se retrouvèrent à courir sans trop de raison. Emmeline ne pensait plus à son anniversaire, ni à toutes ces questions qui lui taraudaient l'esprit ces derniers mois. En fait, elle ne pensait plus réellement : elle vivait juste l'instant présent, pleinement. Elle le saisissait et s'en réjouissait, c'était léger, amusant et relaxant. C'était heureux, comme moment. Et c'était tout ce qu'elle avait voulu quand elle avait accepté de ne pas aller directement chez Jeanne.

— On peut s'arrêter ? quémanda-t-elle, essoufflée mais le sourire aux lèvres.

— Déjà épuisée ?

— Fais pas genre, tu sues toi aussi.

Il hocha le tête en silence, ne préférant pas l'avouer à voix haute. Ils étaient arrivés à un parc. Il n'y avait pas beaucoup de personnes à cette heure-ci, notamment car il faisait froid et que les enfants ne sortaient plus trop à la mi-décembre.

— De toute façon, ça fait deux minutes qu'on court comme des cons dans la ville, dit Emmeline. Les gens nous prennent pour des gamins, regarde.

Ils regardèrent autour d'eux et tombèrent sur une mamie assise sur un banc à quelques mètres, qui les dévisageait. Quand elle vit qu'ils l'avaient remarquée, elle tourna rapidement la tête, ni vue ni connue. La brune rit, le blond aussi.

— On fait quoi du coup ? demanda Alex.

— Je sais pas, comme tu veux. Y'a des jeux pour enfants là-bas.

Elle les pointa du doigt. Alex la regarda, blasé.

— Quoi ? s'étonna-t-elle. Autant donner raison à cette mamie.

Il sembla accepter, puisqu'il se dirigea avec elle auprès des jeux en question. Il fut d'ailleurs le premier à monter le toboggan et à le descendre. Emmeline, elle, préféra s'asseoir sur une balançoire et s'agiter d'avant en arrière.

Soudain, une question heurta son esprit :

— Eh, pourquoi toi, tu ne voulais pas aller chez Jeanne ?

Alex se laissa glisser et arriva à même le sol, puis il regarda par-dessus son épaule pour mieux voir la brune.

— C'est compliqué avec Lisa, avoua-t-il. Je... Depuis quelques jours... 

Emmeline arrêta de se balancer et de l'écouter. Lisa, Lisa, Lisa... C'était peut-être le mot de passe pour la ramener à la réalité. Le cœur du blond était déjà pris. À l'entente de ce prénom, le petit nuage imaginaire, dans lequel elle baignait ces derniers instants, venait de s'évaporer. Fini le bonheur momentané, elle n'était plus en état de profiter sans repenser à tout ce qu'elle pouvait penser dorénavant.

Mais elle voulait se détacher de ses pensées, une bonne fois pour toutes. Elle ne voulait plus porter ce poids qu'elle s'était elle-même créé.

Peu à peu, elle se remit à entendre les paroles d'Alex.

— ... je sais pas vraiment comment agir, continuait-il. T'aurais pas un conseil ? T'es toujours de bons conseils Em'. Regarde, quand... 

— Je t'aime.

Et ainsi, elle l'avait prononcé. Comme ça, de but en blanc, sorti de nulle part, bien que cela faisait des semaines que ces mots dormaient dans le creux de son cœur. Là, ils étaient sortis. Là, ils étaient éveillés. Et son amour vivait.

La bouche du blond restait ouverte, mais aucun mot n'en sortait.

— Enfin, je ne t'aime pas avec un grand A, expliqua-t-elle. Je ne suis pas follement amoureuse. Je sais juste que je t'aime vraiment bien. Que je suis en crush sur toi.

— Mais, Em', je... 

— Nan, laisse-moi finir. Je sais que tu me plais.

Elle rit légèrement.

— Je sais même que tu me plais énormément, et que ça fait des mois que je traîne ça en moi, que ça grandit mais que ça ne sort jamais. J'imagine que là, bah, c'est sorti. Et, bien que je flippe un peu, j'en suis surtout soulagée. Car je vais pouvoir te laisser partir, maintenant. Hop, tu seras oublié, comme si je n'avais jamais envisagé que notre relation pouvait être plus qu'amicale...

Dans un murmure, elle conclut :

— Je ne te suivrai plus, désormais. 

En voyant sa tête, elle remarqua qu'il n'avait pas entendu sa dernière phrase.

— Hein ?

— Rien, t'inquiète, le rassura-t-elle.

— Mais... maintenant, tu veux toujours me parler ? Tu ne veux pas prendre tes distances ?

Elle avoua d'une petite voix fébrile :

— Je veux qu'on reste amis.

Elle tenta un sourire maladroit et gêné. Avec une voix toute aussi basse, il répondit :

— Moi aussi.

Et à son tour, il sourit maladroitement.

— Juste, je veux pas te donner de faux espoirs, reprit-il. Je... 

— Je sais, Alex, je sais. Je n'ai plus d'espoir, je te promets. Te l'avouer aujourd'hui, c'était la dernière étape avant de tourner complètement la page.

Et cette fois-ci, elle ne se mentait pas. Elle le sentait réellement au fond de son âme, que son cœur était prêt à tourner la page. Elle s'était libérée de son poids. C'était peut-être égoïste de le faire ainsi, car sur le moment, elle ne pensait pas aux conséquences ; mais c'était la bonne chose à faire, elle le sentait au fond d'elle. Maintenant, elle pouvait passer à autre chose. Maintenant, elle pouvait l'oublier sans garder une part de son crush en elle.

Maintenant, elle grandissait, tandis que son amour pour Alex, lui, ne vivait plus. Désormais, il mourait à petit feu, et c'était tout ce qu'elle voulait. Elle devait juste accepter de le laisser mourir, ce qui lui faisait mal. Mais c'était pour le mieux. C'était souffrir maintenant pour ne plus souffrir continuellement après.

Tout à coup, elle sentit des gouttes d'eau sur son visage, puis il plut complètement. Elle n'avait pas de parapluie avec elle, rien ne la protégeait. Ses cheveux devenaient peu à peu trempés et elle avait horreur de ça. Mais au moins, les gouttes d'un amour non-réciproque n'inondaient plus son cœur, car il avait son propre parapluie maintenant : elle-même.

Le parapluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant