19. Tu nous cacherais pas quelque chose ?

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EMMELINE ÉTAIT ASSISE À LA TABLE DE LA CUISINE. On était mercredi après-midi et Hugues et Jeanne s'étaient une nouvelle fois tapé l'incruste chez elle. La dernière fois, ils avaient fini par se frapper avec des coussins et elle avait aussi révélé à son frère — et à Hugues involontairement — qu'elle crushait sur Alex. Désormais, Jeanne le savait.

— Attends, t'étais déjà au courant toi aussi ? demanda Jeanne en pointant du doigt Lucien. Comment ça se fait qu'il l'ait été avant moi ?

— Que veux-tu ? T'es pas de la famille à ce que je sache, tacla-t-il.

Elle ouvrit sa bouche puis la referma. Elle ne pouvait pas répondre.

À côté, la brune sourit. Depuis qu'elle en avait enfin parlé à sa meilleure amie, son cœur s'était légèrement apaisé. La pression du secret était partie, et les pensées à propos d'Alex commençaient à suivre le même chemin. Même si c'était beaucoup plus laborieux. 

Mais cela faisait deux jours qu'elle croyait de plus en plus avoir trouvé son remède : dévoiler ce qu'elle ressentait pour mieux le laisser s'en aller. Pour mieux laisser Alex s'en aller.

D'ailleurs, elle ne lui avait plus reparlé depuis la soirée, une dizaine de jours plus tôt. Ça l'arrangeait dans sa quête de tourner la page, mais ça le faisait chier quand même. Car elle voulait toujours lui parler, le voir, l'admirer et se laisser chavirer de nouvelles fois.

Elle secoua la tête. C'était l'ancienne Emmeline qui pensait, pas celle qui avait réalisé que ce crush n'était que souffrance chronophage et inutile.

— Bon allez les mioches, j'vous laisse, avertit Lucien. Line, t'oublieras pas de passer l'aspi' comme Maman l'a demandé. Elle devrait bientôt rentrer d'ailleurs.

— Oui. Allez, va-t'en maintenant, j'ai bien cru que tu n'allais jamais partir, soupira-t-elle.

— Oh, quel échec.

— Mmh ?

— J'ai pas réussi à te rendre drôle. C'est trop tard désormais, tu resteras la fille aux réflexions nulles à chier.

Elle leva les yeux au ciel. Il était inutile de renchérir : Lucien était toujours inépuisable dans ces pseudos altercations. Il lui sourit, attrapa sa veste puis s'en alla, non sans un doigt d'honneur par-dessus l'épaule.

Emmeline retourna s'asseoir auprès de ses amis. Les deux fixaient leurs téléphones, gloussant, et tapotaient dessus pour répondre à des destinataires dont elle ne connaissait pas l'identité. Même s'il y avait de fortes chances que ce soit Kalia pour Jeanne.

— Hugues, tu nous cacherais pas quelque chose ? interrogea alors la brune, curieuse.

Il releva la tête, comme si on l'avait retiré de son petit nuage.

— Hein ?

Les filles le regardèrent éteindre son portable et le poser en face de lui.

— Ah non, rien, reprit-il. Pourquoi ?

— Parce que t'as exactement les mêmes réactions que Jeanne quand elle parle avec Kalia.

Jeanne sourit, fière et coupable à la fois.

— Ah bah, peut-être. Pourtant y'a personne, se contenta-t-il de répondre.

Tout à coup, le téléphone du garçon sonna. Pendant plusieurs secondes, les filles et lui échangèrent un regard douteux, se demandant qui allait l'attraper en premier. Au final, ils se précipitèrent tous, Emmeline et Hugues se cognèrent et Jeanne attrapa le portable, victorieuse.

— Oh. Mon. Dieu, dit-elle.

— Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? Allez Jeanne, montre !

Ils se regardèrent tous les trois en silence. Puis...

— C'est Vincent, lâcha Hugues. C'est Vincent qui me faisait sourire. Je peux avoir mon tel' maintenant ?

La brune eut l'envie de le prendre dans ses bras. Il paraissait si mignon et si vulnérable à l'instant. Ses joues avaient rougi, même s'il tentait de rester neutre.

— Hugues va pécho ! s'écria-t-elle, rapidement suivie par sa meilleure pote. Yesssss !

Le garçon finit par rire en secouant la tête. Ça réchauffait le cœur d'Emmeline de le voir heureux, lui qui ne l'était pas vraiment le mois dernier.

— Mais gardez ça pour vous, s'il vous plaît. Je veux pas lui mettre trop de pression, ni me mettre trop de pression, puis de toute façon y'a rien de concret pour l'instant, se justifia-t-il.

— Ça ne saurait tarder, suggéra Jeanne. Go get that D !

Ils rigolèrent tous les trois, sincèrement. Ce n'était pas forcément du bonheur, mais une simple joie. Et cela suffisait à Emmeline pour se lever tous les matins et garder le sourire. Savoir qu'elle reverrait ses amis, joyeux, lui suffisait. 

Le seul élément qui ne lui suffisait pas, c'était son cœur en plein tri. En parler avec Jeanne, Hugues, et même son frère, c'était bien et constituait la première étape pour tourner la page. Mais ce n'était pas assez. Ce n'était pas assez pour passer à autre chose, une part d'elle avait toujours l'impression de garder ses sentiments secrets. Et tant que cette partie subsisterait, ils resteraient enfouis avec elle.

Alors elle ne devait plus les garder secrets. Elle devait s'en débarrasser, les laisser partir. Et, petit à petit, elle se rendit compte que le seul moyen pour tourner la page, c'était d'aller tout dire au beau blond.

Elle souffla. C'était incroyable comme elle pouvait être bête.

Le parapluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant