L'annonce

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Chapitre 1.

Je me rappelle, nous étions tous autour de la table. Depuis plusieurs jours, le sol tremblait, généralement le soir. Les vibrations s'accentuaient de jour en jour. Le modeste chandelier en fer accroché au plafond versait toute sa poussière sur nos têtes à chaque fois. Nous soulevions nos yeux pour le regarder, lentement, de peur de voir le ciel nous tomber sur la tête.

L'apocalypse, nous y étions préparés. Nous étions un groupe de dix orphelins, qu'un énorme monastère avait eu la bonté de recueillir. Je ne sais plus quand je suis arrivée. Si je cherche aussi loin que mes souvenirs me le permettent, j'ai toujours habité ici. À ce moment-là, c'est tout ce que je connaissais dans ma vie. Le monastère était si immense, que nous ne pouvions pas nous y balader sans nous y perdre. Des étages et des étages de galeries, que nous n'avions normalement pas le droit de visiter. Il était aussi luxueux qu'un palais, les moines étaient aussi tous bien gras. D'extérieur, le bâtiment avait des airs fantastiques, des dômes en forme de bulle se formaient par-ci par-là. Il était magnifique, mais je ne sais pas pourquoi, quelque chose d'intimidant se dégageait de ce monastère. Je crois que c'est son immensité qui me faisait peur.

Nos vies ici consistaient à faire le ménage, prier quand il nous l'était demandé et finalement vaquez à nos occupations d'enfants dans nos quartiers ou à l'extérieur. Les moines n'étaient pas méchants, ils avaient juste peu d'intérêt pour nous, au point de nous abandonner le jour de l'inondation. Mais ça, je ne le savais pas encore quand j'étais assise à cette table.

Il était très tard dans la nuit. Nous avions l'habitude de rester ensemble après le dîner, pour jouer et parler. Nous étions tous adolescents, à l'exception de trois enfants plus jeunes. Ce soir-là, le tremblement avait été bien plus long que les précédents. J'étais assise à côté de ma meilleure amie, Naeresa. En sentant le sol bouger, je lui pris la main, apeurée. C'était une jolie fille, plus vieille d'un an que moi. Elle avait des longs cheveux châtains qui lui tombaient jusqu'au bas du dos. Elle avait pour habitude de les attacher en queue de cheval bien haut sur sa tête. Elle avait une aura rassurante qui me permettait de ne pas m'engouffrer dans le flot de mes pensées inquiètantes. Je pouvais tout lui dire, elle ne s'impatientait jamais et ne se moquait jamais de moi. Nous étions toujours l'une à côté de l'autre, nous avions les mêmes envies et nous nous déplacions toujours ensemble main dans la main, si bien que les autres nous voyaient comme deux êtres indissociables. Ce dont je me souviens le plus d'elle, c'est la manière dont ses deux jolis yeux formaient un croissant de lune quand elle souriait.

Sentant mon anxiété, Naeresa se tourna vers moi et me fit un léger sourire qui se voulait rassurant. Elle aussi se demandait quand le jour fatidique allait arriver. Aucune parole n'aurait pu éclipser cette vérité inévitable.

"Vous croyez que c'est pour ce soir ?", avait dit avec inquiétude un garçon qui se trouvait au fond de la pièce.

Personne n'avait répondu, tous terrés dans l'angoisse. Les garçons étaient avachis, certains avec les pieds sur la table, mais leur expression trahissaient ce à quoi ils pensaient. La salle où nous mangions était sombre, seulement éclairée par un faible chandelier au-dessus de la table et des lampes à huiles posées un peu partout dans la pièce qui n'émettaient qu'une faible lumière. En parcourant la pièce, mon regard croisa celui de Pélias. Naeresa et moi, on avait déjà remarqué qu'il me regardait souvent. Elle s'amusait à me répéter qu'il était amoureux de moi. Sans que je puisse vraiment expliquer pourquoi, cela m'embêtait énormément. Alors je faisais semblant de pas le voir et si Naeresa m'en parlait, je rougissais de honte. Depuis que les tremblements avaient commencé, il me fixait avec encore plus d'insistance. C'était un garçon à l'allure étrange. Il était plus jeune que moi d'un an. Il me dépassait quand même en taille, mais il était très fin. Il avait une épaisse chevelure de couleur blond brûlé, constamment emmêlées qui lui recouvrait les yeux. Il ne parlait pas beaucoup et passait beaucoup de temps à explorer le monastère la nuit. Il était ainsi perpétuellement fatigué la journée, car il ne dormait pas beaucoup. Il ne nous racontait cependant jamais ce qu'il trouvait durant ces escapades interdites.

Comme tous les soirs, quand le sommeil nous assommait tous au point où personne ne parlait plus autour de la table, nous rentrions à notre dortoir pour nous coucher. Il fallait passer par l'extérieur, notre salle à manger étant une petite cabane dans le jardin. Une angoisse indescriptible m'oppressait la poitrine. Je sentais l'air frais de la nuit et j'entendais les insectes nocturnes chanter, mais rien de tout cela n'était apaisant, au contraire. J'étais entrée dans le monde parallèle de l'angoisse et tous mes sens étaient floutés pour ne percevoir que le négatif. J'étais persuadée que quelque chose de désastreux se préparait. Je sentais comme une main invisible me serrer la gorge à mesure que nous approchions du dortoir. Naeresa me serrait encore plus fort la main en me répétant que je n'avais pas des dons prophétiques et que mon anxiété me brouillait les sens, ce que je lui accorde, était vrai.

À contre-cœur, je m'allongeais dans mon lit, Naeresa restant sourdes à mes mauvaises impressions. Je pense qu'elle-même n'avait pas envie de confirmer ses peurs. Elle était dans le lit d'à côté bien sûr. C'était un soir de pleine lune, la pièce était donc baigné de lumière lunaire qui me permettait de distinguer les formes autour de moi. Tous nos lits étaient alignés dans une grande pièce joliment décorée. Ce que je préférais dans notre chambre, était les gros rideaux épais rouges à nos fenêtres. À ma gauche, Naeresa dormait sur son ventre, la tête tournée de mon côté. Elle s'était endormie en essayant de me rassurer. Son bras gauche pendant en direction du sol. Je l'observais avec tristesse, pensant au fait que je la voyais peut-être pour la dernière fois. Je ne pouvais pas m'empêcher de penser à des choses lugubres. L'émotion m'étouffait sans donner signe d'apaisement. Je décidais de fermer les yeux et me concentrer sur ma respiration pour essayer de dormir.

Alors peut-être une heure était passée, quand un chuchotement appelant mon prénom me réveilla. Je sursautais de surprise en voyant une ombre devant mon lit. C'était Pélias, et il me demandait de le suivre. Mon cœur, déjà oppressé depuis un moment, se mit à battre encore plus fort. Je ne comprenais pas ce qu'il se passait, alors devant mon hésitation, Pélias s'impatienta et me tira le bras pour me sortir hors du lit.

Je ne savais pas encore que c'est comme ça qu'il me sauverait.

Une tendance à flotterOù les histoires vivent. Découvrez maintenant