Chapitre 15.-Regarde ce que j'ai pêché !
Pélias m'interpella alors que j'étais en train de couper des pommes de terre. J'avais découvert cette semaine-là que faire la cuisine me détendait. Je laissais mes mains éplucher, couper, peler et mes pensées se vidaient. J'essayais de faire des recettes compliquées, qui prenait du temps afin de m'occuper le plus longtemps possible. À ma demande, Pélias avait cherché dans les livres poussiéreux de la bibliothèque et en avait trouvé un de cuisine. Il était rouge, sans aucun décor. Chaque recettes étaient accompagnées d'une gravure noire, imageant le plat d'une façon des plus délicieuse, des traits ondulants vers le haut représentait la chaleur s'échappant des aliments tout prêt à être mangés.
Je le rejoignis sur le pont arrière. Le bateau était équipé d'une petite grue sur laquelle était équipée un énorme filet de pêche. Pélias ne l'avait jamais utilisé jusqu'à présent, d'abord parce que nous n'en avions pas spécialement besoin vu toute la nourriture que nous possédions, mais surtout parce qu'il avait peur de capturer une créature dangereuse qui viendrait mettre en péril notre petite maison. Il avait lu dans un des livres de survie que le déluge pourrait faire naître de nouvelles espèces inconnues jusqu'à présent. Il préférait donc les éviter et ne pas les faire monter à bord.
Cette matinée-là, sans qu'il ne m'explique pourquoi, il décida de mettre le filet à l'eau. Il ressemblait à une grosse ombre noire qui nous suivait, immergé, au côté de notre bateau. Quand j'arrivais, le filet était étalé de tout son long sur le parquet. Pélias était le contemplait debout, le sourire jusqu'aux oreilles. À l'intérieur, il y avait plein de petites pierres scintillantes, certaines grosses comme un poing, les autres petites comme des billes. Elles étaient magnifiques. De couleurs jaunes, vertes, roses, grenades et violettes. Je m'approchais pour mieux les voir. Elles étaient plutôt transparentes et en leur centre se trouvait des petits éclats comme des étoiles, qui brillaient magnifiquement. Les pierres n'étaient pas régulières et rondes. Je levais la main pour en saisir une, mais Pélias m'arrêta.
-Attends, il vaut peut-être mieux pas les toucher.
Je lui demandais pourquoi.
-Tu connais Marie Curie ? Elle a passé sa vie a touché des pierres radioactives sans le savoir et elle en est morte.
-Si ces pierres étaient radioactives Pélias, elles sont déjà assez prêts de nous pour nous faire du mal de toute façon, rétorquais-je.
Il fit un signe de tête pour admettre.
Fascinée, j'en pris une dans mes mains. Elle était rose pale et faisait environ la taille de ma paume. Les éclats présents en son cœur réfléchissaient la lumière et propageaient plein de petits points de lumières sur ma peau. Je n'avais jamais vu une pierre comme ça. Je refermais les doigts sur elle, comme pour sentir son énergie. Elle était plutôt légère et était fraîche au toucher. Je le reposais dans le tas, vers ses consœurs. Le filet en avait ramené énormément.
-Qu'est-ce qu'on va faire de tout ça ? demandais-je.
-Il y a un bocal vide dans la réserve, on peut en mettre un peu dedans.
Pélias alla le chercher et je mis plusieurs pierres, en faisant attention à ce qu'elles soient de couleurs différentes, à l'intérieur. Il rejeta le reste à l'eau. Je passais plusieurs jours à les observer sous tous les angles et à parcourir les livres de la bibliothèque pour voir si l'un deux mentionnaient ce genre de pierres, mais je ne trouvais rien. Ce qui était sûr, c'est qu'elles n'existaient pas avant le déluge, puisque le seul livre de géologie que nous avions, « Le Guide Complet des Minéraux » ne les décrivaient pas. Pélias avait relâché son filet et en trouvait de moins en moins au fur et à mesure que les jours passaient, ce qui signifiait que nous nous éloignions du gisement et que ces pierres ne reposaient pas partout en dessous de nous. À force de ne rien découvrir à leur sujet, je m'en désintéressais. Je n'y prêtais plus grande attention quand plus tard, alors qu'il fouillait dans la réserve pour trouver une boite de cacao en poudre, Pélias posa les yeux sur le bocal et remarqua une différence. J'étais allongée sur le lit et j'observais distraitement le paysage qui s'étendait devant moi par les baies vitrées quand il me tendit le récipient. Il avait cette fois-ci pris la précaution de porter des gants pour le tenir.
Le verre du bocal qui était en contact direct avec les pierres avait pris une teinte arc-en-ciel ou irisée étrange, seulement à certains endroits. Je n'avais jamais vu ça de ma vie. Je les avais tenu à plusieurs reprise de mes mains nues et pourtant ma peau n'avait pas changé de couleur.
-Peut-être que ça marche seulement avec le verre ? hasardais Pélias.
C'était l'explication la plus probable. Par la suite, j'allais tous les matins voir s'il y avait une évolution et effectivement, les tâches irisées devinrent de plus en plus grosses jusqu'au moment où elles recouvrirent toute la surface du bocal. La marque ne s'étendait pas au bois de l'étagère sur laquelle il était posé, ni aux gants de Pélias, ni à mes mains qui restaient intacts. Ces pierres restaient un mystère. Je sortais le bocal le soir sur notre terrasse, les pierres dégageaient une douce lumière qui, à travers le verre maintenant irisé, pouvait faire passer le récipient pour une jolie lanterne. Pélias avait découvert toutes sortes de jeux dans un des tiroirs et nous jouions presque tous les soirs aux cartes ou aux dés avant d'aller dormir. Je posais le bocal au centre de la table, j'adorais voir tous les petits points de lumières colorés danser sur nos mains et nos visages. Pélias s'était habitué à ces pierres que je lui imposais malgré sa réticence, comme un père s'habitue à un chien que toute la famille veut adopter sauf lui. Un soir, il eut même l'idée de prendre l'assiette tournante où l'on posait normalement les fruits dessus pour y mettre le bocal. Il posa son invention au centre de la terrasse et fit tourner la plaque mobile. Les éclats scintillants de toutes les couleurs se mirent à se déplacer autour de nous et illuminer et faire briller chaque recoin du pont avant. C'était absolument magnifique. Je me mis à tourner moi aussi, faisant gonfler ma robe au vent. Pélias m'avait encore offert un moment de distraction et d'amusement au milieu de cette apocalypse.
L'assiette arrêta son mouvement et les éclats d'étoiles rose, vert, violet et jaunes s'immobilisèrent. Je me retournais et vu Pélias, le dos contre la rambarde et les mains dans les poches, fixer le bocal, le regard perdu dans ce qui semblait être de profondes réflexions. Je fus poussé à me diriger vers lui. Lentement, mes pas me menaient dans sa direction. Alors que j'approchais, il releva ses yeux, tristes et sérieux sur moi. Son regard me fit tressaillir, mais me donna encore plus envie d'aller vers lui. Comme s'il comprit, il se redressa et enleva les mains de ses poches et ne détourna pas les yeux des miens. Il me semblait plus grand qu'à notre départ, le visage plus grave aussi. Il avait vieillit et perdu de son air enfantin. Je m'arrêtais en face de lui.
-Merci.
Cela faisait un moment que je voulais lui dire, mais je n'y étais jamais arrivée.
-Merci pour tout.
Il ne répondit rien, ce qui ne me surprenait pas. Je me décidais à l'enlacer. Je sentis son corps se raidir sous l'étreinte et son cœur battre. Puis ses muscles se relâchèrent et il posa, doucement et avec hésitation, son bras gauche autour de mon dos. Je ne saurais dire si ce geste lui a réellement fait plaisir ou non. Il ne semblait pas habitué à l'affection physique et ce mouvement de bras me donna l'impression d'être plus automatique qu'émotionnel. Appuyée contre son épaule, je sentais le vent frais du soir faire bouger mes cheveux sur mon front. J'attendais une réaction de sa part, mais il ne fit rien. Je me dégageais, lentement, de son étreinte. Il reposa ses yeux sur moi. J'essayais de lire sur son visage ce qu'il pouvait bien être en train de penser. Je ne vis que de la neutralité et de la docilité. Peut-être un certain apaisement ? Troublée par cette réponse et ne sachant pas quoi faire de plus, je retournais à l'intérieur. N'était-il pas censé dire ou faire quelque chose en retour ? Je me surpris à être déçue et je me couchais seule, un peu vexée. Avant de fermer les yeux, je l'observais depuis le lit. Il était toujours au même endroit, cette fois-ci face à la mer, me présentant son dos. Il regardait l'eau.
Une espèce de colère monta en moi.
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Une tendance à flotter
Science FictionJe n'aurais jamais cru que j'allais me retrouver sur ce bateau avec ce garçon. Autour de nous, il n'y a que de l'eau, à perte de vue. Le monde s'est vengé. Il s'est vengé en se noyant et en noyant sa population avec. Moi, j'ai survécu, grâce à lui...