Chapitre 14.Depuis la rencontre avec Samia, une espèce d'énergie tranquille m'avait traversé. Mes grosses crises nocturnes n'apparaissaient plus. Il m'arrivait d'avoir du mal à m'endormir ou d'avoir un nœud dans le ventre, mais cela n'allait jamais au point où je n'arrivais plus à respirer. Pélias continuait quand même à dormir avec moi. Le savoir toujours près de moi me rassurait et je m'en voulais de le faire dormir par terre.
J'avais pris l'habitude, le matin, de m'allonger de tout mon long sur le banc qui se trouvait à côté du gouvernail. J'étalais une couverture dessus pour être plus confortable sur le bois blanc et je prenais un coussin pour ma tête. La concentration silencieuse de Pélias rythmée par ses mains glissant sur la barre me détendait. Il ne parlait pas si je ne lui demandais rien, mais parfois, il croisait mon regard alors que j'étais en train de le détailler et il ne pouvait retenir un sourire de fierté. J'observais souvent son profil. J'aimais voir ses boucles blondes posées délicatement sur son cou et la façon dont sa bouche se tordait légèrement quand il reniflait. Je me sentais en sécurité, dans mon petit cocon de couverture. Je ne pouvais pas regarder le ciel trop longtemps parce que, étrangement, son infinitude me donnait le tournis. Nous avancions toujours, tant que nous avancions nous vivons, c'est ce que je me disais. Il faisait presque toujours beau et le vent n'était jamais trop fort, c'était un des bons côtés de cette catastrophe.
Un jour, allongée comme tous les matins face au ciel, je repensais à l'histoire de la mort des parents de Samia. Je me demandais où étaient les miens et s'ils avaient été tués dans le déluge aussi. Pélias me vit froncer les sourcils et me demanda a quoi je pensais. Je lui révélais mes pensées, ce à quoi il ne fit aucun commentaire. L'expression de son visage se fit juste un peu plus sombre.
-Tu ne penses jamais à tes parents ? Renchérissais-je.
-Non, répondit-il froidement après un instant d'hésitation.
-Pourquoi ?
Je sentis sa réticence face à ce sujet.
-S'ils m'ont abandonné c'est qu'ils ne voulaient pas de moi dans leur vie, j'ai pas envie de penser à eux et de leur donner une existence dans la mienne non plus.
Je voyais qu'il ne fallait pas que j'insiste. L'ambiance devint lourde. L'air frais du vent me semblait difficile à respirer et je retournais alors à l'intérieur. Je me promis de ne plus reparler de ça avec lui.
Arrivée devant le lit, je m'agenouillais sur le tapis à longs poils. J'avais aussi commencé à prier régulièrement. Je ne priais pas Dieu comme nous l'avait enseigné les moines, mais quelque chose d'autre, dont je n'avais pas les mots pour le définir. Cette chose qui nous pousse à faire certains choix, qui nous guide tout le long de notre vie et qui ne nous parle que par signes. Les forces du hasard, de la chance, celles de l'Univers. Je leur demandais de nous garder en vie et de nous amener jusqu'à la ville sous-marine. Peut-être que personne ne m'écoutait, ou que rien n'existait de semblable. Mais je refusais de voir la vie de façon pleinement logique et scientifique. Tout simplement parce que tout ce qu'il se passait en moi, à commencer par l'effet de mes angoisses sur mon corps, me semblait dépasser la logique. Peu importe finalement, l'effet méditatif et paisible que me donnait ces moments me faisait du bien. Alors je continuais, et plus je le faisais, plus j'avais l'impression qu'on me répondait. Je tombais sur des titres de livres ou des bouts de phrases qui résonnaient avec mes pensées, parfois Pélias disait des choses qui semblaient ne pas venir de lui, comme si un message passait par ses paroles.
Le soir même, je me trouvais accrochée au bord du bateau, à contempler les étoiles. Si le ciel de jour me faisait tourner la tête par son vide, celui de nuit, peuplé de milliers d'étoiles, me réconfortait. Je passais toujours un moment pour l'observer avant d'aller dormir. J'avais trouvé deux livres d'astronomie dans la bibliothèque et j'essayais de trouver le nom des étoiles que j'apercevais. Pélias ne se mêlait jamais à cette activité, tout ce qui comptait pour lui, c'était de suivre notre trajectoire. J'avais réussi à distinguer Arcturus, c'était facile puisque c'était une des étoiles les plus brillantes. J'avais appris en lisant dans un des livres qu'Arcturus était en fin de vie et qu'elle était tellement énorme que notre soleil paraissait être un grain de poussière à côté d'elle. Je me perdais un moment dans mon imagination, a essayé de réaliser à quel point cet astre était gros. Alors que je pensais à ça, un petit point clignotant sortie de l'horizon. Au début, je crus avoir rêvé, mais en regardant bien, je vis cet objet lumineux continuer sa trajectoire dans le ciel. Il allait assez vite. Le temps que je prévienne Pélias, il était déjà au-dessus de nos têtes. Je lui montrais du doigt, ce drôle de phénomène. Il courut chercher dans le sous-sol du bateau de quoi mieux le voir. Le point ne s'arrêtait pas et était maintenant de l'autre côté de l'horizon d'où il était apparu. Je ne comprenais pas du tout ce que ça pouvait être, mais je trouvais ça magique. Mon imagination s'emballa, cela pouvait être un vaisseau extraterrestre, un drone prouvant que d'autres humains étaient en vie, un nouveau type d'étoile baladeuse que nous ne connaissions pas auparavant... Quand Pélias arriva avec une longue-vue à la main, le point avait disparu derrière la ligne de la mer. Ce qui l'énerva beaucoup.
-J'espère que ça ne veut pas dire que quelqu'un nous observe, fit-il renfrogné.
-Le point avait l'air d'être vraiment loin, comme les étoiles, dans l'espace. Si c'était un gadget pour nous surveiller, il n'aurait pas besoin d'être aussi haut, non ?
Pélias hocha les épaules et posa la longue vue vers la barre, de sorte à ce qu'on puisse l'avoir sous la main la prochaine fois.
-23h50, nota t-il sur un papier.
-C'est la première fois que je vois quelque chose comme ça, alors que je regarde le ciel tous les soirs depuis 5 jours.
-Il faudra regarder demain soir, peut-être que ça veut dire que ce truc fait le tour de la terre et est visible sur certaines parties du globe seulement certains jours.
Il faisait toujours les bonnes déductions. Le lendemain soir, le point réapparu, cette fois-ci, 20 minutes plus tôt. Il refit son parcours, à la même allure. Pélias pointa sa longue-vue dans sa direction, mais elle n'était pas vraiment faite pour observer des objets qui se trouvaient si loin dans le ciel. Il ne réussit à voir qu'un rond de lumière. Cette chose l'inquiétait, moi pas vraiment. J'avais un bon pressentiment.
-C'est forcément quelque chose fabriqué par l'homme.
-Ca peut être un satellite oublié dans l'espace qui continue de graviter autour de la terre sans personne pour le faire redescendre maintenant.
-Je ne pense pas, sinon il ne changerait pas de trajectoire. Quelqu'un le contrôle.
-Bon en tout cas, ça veut dire qu'il y a bien des survivants quelque part et qu'ils sont dans un endroit assez grand pour construire et contrôler des satellites... Donc, pas un simple bateau.
-J'espère juste qu'ils n'enverront pas un truc du genre une bombe quand ils verront que nous ne sommes pas des moines.
Je déglutis.
-Il doit y avoir peu de survivants, ils ne feraient quand même pas ça.
Pélias ne répondit rien. Je restais, songeuse, à observer le ciel.
Par la suite, je faisais un rêve récurrent, où j'étais dans une immense salle noire et je marchais au milieu de milliers de lumières blanches et jaunes. Elles étaient partout autour de moi, plein d'étoiles plus ou moins grosses, mais me laissaient passer et m'observaient. J'adorais faire ce rêve.
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Une tendance à flotter
Science FictionJe n'aurais jamais cru que j'allais me retrouver sur ce bateau avec ce garçon. Autour de nous, il n'y a que de l'eau, à perte de vue. Le monde s'est vengé. Il s'est vengé en se noyant et en noyant sa population avec. Moi, j'ai survécu, grâce à lui...