SEYDOU

Trois mois après...

Octobre s'annonçait avec une excessive ardeur . J'avais quitté la maison de mon père et ma ville natale  pour m'installer chez ma Tante comme me l'avait proposé son mari . Jamais je n'oublierai ce moment précis où je faisais mes adieux à Monsieur Barry avant de partir , il me serrait fort dans ses bras , si fort que je pouvais ressentir les rapides battements de son cœur . On l'avait tous remercié encore et encore pour sa générosité et d'être présent pour nous là où Nafissatou et moi n'avions vu ni parent ni ami . Il me regardait fixement encore , m'exprima ses condoléances pour une toute première fois depuis le décès de ma mère avant d'entamer comme à l'accoutumée une longue récit dans laquelle il me rassurait disant que tôt ou tard , justice ferait  son travail et me souhaitait bonne chance pour la suite . C'était un homme bien , ça me faisait mal quand j'imaginais que j'allais dorénavant plus écouter ses bons conseils ni admirer son beau sourire ... Ça me faisait extrêmement mal d'imaginer vivre loin du gentil Monsieur Barry . Dès que la voiture demarra , assis à l'arrière, je me retournais et le voyais qui balançait sa main droite en l'air certainement pour montrer un signe d' "au revoir" tout en séchant ses larmes de joie avec un grand sourire .

-Debout ! Criait Yaye Soda en me frappant son long chapelet marron sur mon dos . Il avait le pli de me réveiller comme ça chaque matin lorsqu'il avait un service pour moi à l'aube mais dans la plupart du temps il me réveillait pour que je priasse . Mais ce matin-là , ce n'était ni l'un ni l'autre , c'était les portes des classes qui s'ouvraient enfin marquant ainsi le début de l'année scolaire . Quelquefois , la peur et le doute me submergeaient , je me disais que j'allais m'inscrire dans un nouvel établissement , avoir des professeurs nouveaux , voir des visages qui ne m'étaient guère familiers et cela accélérait mon rythme cardiaque .
Aurai-je de bons camarades de classe ?
M'adapterai-je au système de mes nouveaux professeurs ? Ces deux questions ne cessaient de hanter mes pensées au moment où je finis de me baigner et m'appretais à prier . Pour garder le courage et la confiance en moi comme me le conseillait Monsieur Barry , il me suffisait de penser à ce que j'ai vécu jusque-là , aux calvaires que mon maudit père faisait vivre à ma mère et  à moi-même et mon cœur recommençait à pousser des cris de rage et de haine envers mon père . Je me disais que cet année devait être la plus dure de toute ma cursus scolaire car je devais tout donner pour décrocher le Baccalauréat en hommage à ma défunte maman , elle qui allait de droite à gauche pour trouver de quoi me payer mes études depuis mes six ans , elle qui avait vendu presque tout ses habits pour satisfaire mes besoins . Je travaillais dur en classe pour espérer la rendre la monnaie de sa pièce et je me souviens de ces jours où je rentrais à la maison avec mes notes semestriels ,   elle me félicitait sans arrêt et m'encourageait à continuer sur cette belle lancée . En effet , j'excellais dans plusieurs disciplines ce qui faisait que je recoltais de fortes moyennes et me plaçais assez souvent à la tête de ma classe , je sentais que cela l'encourageait à continuer à faire d'énormes sacrifices pour mon bien être à l'école . Parfois je lui disais que j'étais assez grand pour aller chercher de petits travaux qui me permettraient de me payer mes frais de scolarité , mais elle ne voulait guère entendre cela , elle disait que c'était son rôle de s'occuper de ses enfants c'est-à-dire Nafissatou et moi et que je devais me concentrer sur mes etudes au lieu de penser à l'argent , Nafissatou lui avait été confiée depuis ses trois ou quatre ans ... Je m'en souviens plus , elle avait deux ans de moins que moi : il paraît que ma mère ne pouvait plus avoir d'enfants après ma naissance selon le médecin , donc Yaye Soda a eu la gentillesse de la confier une de ses filles pour qu'elle puisse l'élever comme son propre enfant afin que ce dernier pusse l'aider à faire les lourdes tâches de la maison . Yaye Soda était mère de trois enfants , trois filles pour être plus clair . Je n'avais pas vu les deux sœurs aînées de Nafissatou depuis des lustres , elles avaient débarqué en France pour étudier cela faisait un certain temps . Dommage que je passais ma dernière année au lycée sans la personne qui m'assistait , me chérissait et me donnait de la force jusque-là .
Après prière , j'ouvrais la porte de mon armoire en bois où j'avais mis les tenues de mon nouvelle école que Tonton Laye  m'avait données ainsi que les matériaux dont j'avais besoin pour cette année à la veille de ce jour . Je pouvais lire à travers le paquet bruissant l'écriture noire juste à droite du dessous du col de la chemise beige : Cours Privés Les Cracks de Louga , comme me l'avait dit Tonton Laye poursuivant que c'était un établissement qui avait de bons professeurs , une bonne réputation mais surtout des taux de réussite élevés au Baccalauréat . Cela me rassurait beaucoup et je me disais que ça commençait déjà bien pour moi . J'enfilais la chemise et le pantalon marron puis portais des chaussures neufs marqués Nike que m'avait offertes Yaye Soda .
-Ton déjeuner t'attends , m'alerta Nafissatou en tapant à la porte de ma chambre pendant que je me regardais dans le miroir de l'armoire
- Un instant ! , la répondis-je , ça faisait longtemps que je m'étais sapé comme tel et je me sentais confortable dans cette tenue , ça me faisait du bien . Je rangeai  mes bagages dans mon sac à dos bleu clair puis descendit rejoindre la famille à table . La maison était belle et immense située juste à l'entrée de la ville près du monument historique de Louga , elle était peinte en blanc , un espace vert accueillait à l'entrée où poussaient des roses et d'autres plantes rares , Tonton Laye nourrissait un amour pour la végétation , il adorait s'affairer le soir dans son petit jardin et quelquefois s'y asseyait admirer les belles caracoles des papillons et écouter les chansons berceuses des oiseaux à la fin de la journée . Un grand salon se trouvait juste après franchissement de la deuxième porte entouré par de confortables fauteuils chocolat devant lesquels était fixé un géant écran sur le mur et une table en verre . Au bout du couloir à droite se trouvait la cuisine où abritait un énorme réfrigérateur , des ustensiles et des ravitaillements dont les uns sont rangés dans les hauts commodes et les autres dans le géant réfrigérateur , les toilettes se situaient un peu au fond du couloir .  À la droite du salon se succédaient des escaliers qui aboutissaient à l'étage où six chambres y avait dont les trois étaient fermées à clef et un grand salon rarement ouvert à côté duquel d'autres escaliers menaient à la vaste terrasse aérée .

Tonton Laye nous attendait dans son Mercedes Benz pendant que Yaye Soda nous donnait quelques sous , nous embrassait avant de nous souhaiter une excellente journée . Ndéla , la femme de ménage de Yaye Soda balayait devant la maison , nous le saluâmes puis grimpâmes dans la voiture , je l'apercevais nous faire des signe d' "au revoir " de la main ce qui me fit penser à Monsieur Barry .

Les pneus du Mercedes Benz crissèrent devant la porte du Cours Privés les Cracks , nous descendîmes de la caisse après avoir souhaité une bonne journée à Tonton Laye qui reprit la direction de la maison , il disait dans la voiture qu'il allait superviser aujourd'hui son magasin qui se trouvait à Linguère et ne reviendrait qu'à la nuit tombée . Il était à la fois commerçant et entrepreneur , il avait une bonne dizaine de magasins un peu partout dans la ville et avaient plusieurs employés qui lui versaient de l'argent chaque mois avant qu'il ne les payait .

Beaucoup de tenues marron se ruaient dans l'enceinte de l'établissement . C'était un vaste bâtiment qui avait une bonne vingtaine de salles de classe dont les unes se trouvaient à l'entrée et les autres à l'étage . J'apercevais les professeurs dans leur grande salle se discuter et d'autres hommes qui étaient dans un bureau sur la pancarte duquel était joliment écrit Office du Proviseur . Nafissatou regardait le reçu de son inscription que lui avait donné son père .
- C'est la salle 8 qui accueille les élèves de la 2ndS2B , disait-elle .
- Toi , dans laquelle comptes-tu entrer ? , M'avait t-elle demandée
- Dans mon reçu , c'est la salle 17 qu'ils ont écrit .
- C'est là-haut , la troisième salle de l'étage , affirmait Nafissatou en la pointant du doigt , je la remerciais et nous nous séparâmes dès qu'une étrange sonnerie retentit dans l'école , je pris l'escalier , elle se dirigea vers sa classe .