Elle

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Avant de lire ceci, je vous met en garde que ce texte va parler d'auto-mutilation. Aussi je conseille aux personnes sensibles de ne pas le lire. Bonne journée.

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Elle s'asseoit sur le tabouret, tremblante. Le grand miroir au cadre doré lui fait face, et elle se met à paniquer. La porte est verrouillée, et elle sait que personne n'est dans la maison, ils profitent du soleil dans le jardin.

Alors elle se sent prisonnière. Mais pas de la petite salle de bain, pas du terrible confinement. Non. Prisonnière d'elle même.

Elle enlève son pull. Elle a froid. C'est pareil tous les jours. Les chaussettes, après. Ses pieds sont bleus, étrange. Les os de ses chevilles percent sous la peau diaphane. Alors elle commence à se recroqueviller. Bras autour du torse, elle ne veut pas se découvrir. Elle remonte les genoux, toute petite sur le tabouret.

Inspire. Expire.

Son tee-shirt. Il passe sur sa nuque et une première larme coule. Ses cheveux sont défaits, courts, ne cachent pas assez ce qu'elle aimerait voir disparaître.

Un sanglot remonte le long de sa gorge, elle le tait. On ne sait jamais, s'ils entendent.

Elle fait lentement glisser le pantalon sur ses jambes pâles, ce n'est pas difficile, elle nage dedans. Elle est trop maigre, trop fine. Le médecin dit qu'elle ne mange pas assez. Évidemment. Tout lui coupe l'appétit. Elle n'a pas faim.

Elle se retrouve en sous-vêtements mais n'ose même pas se regarder. Elle enfouit sa tête dans ses bras et pleure doucement. Elle se déteste. Elle se hait. Elle a honte d'elle.

Mais ce n'est toujours pas fini. Elle tremble, affreusement. Elle ne veut pas regarder le miroir, elle sait ce qu'elle y verra. Un corps affreusement maigre. Ses côtes, ses omoplates sont saillantes. Sa poitrine la gêne affreusement. Cela disproportionne plus encore sa silhouette squelettique.

Son corps est étrange. Elle a le cou blanc, fin, de minces épaules, qui ne supportent pas bien le poids de son sac de cours. Dans son dos, on peut presque percevoir les bosses que forme sa colonne vertébrale.

Elle a le buste large mais d'une extrême maigreur. En dessous de ses côtes, on croirait qu'un élastique a été passé. La peau rentre, crée un creux. Entre ses hanches larges et sa cage thoracique, un trou. C'est moche. Ça fait disproportionné.

Ses cuisses, tout aussi fines sont bizarres, elles aussi. Elle sait qu'elles sont trop fines mais parfois, lorsqu'elle s'asseoit et que le peu de graisse s'aplatit, elle les trouve grosses.

Ses genoux sont couverts de cicatrices. Elle est si maladroite, elle tombe et trébuche souvent. Elle se blesse. Rien de bien grave.

Ses bras sont affreux à voir. Avec le pouce et l'auriculaire, elle peut faire le tour de son poignet. Les bracelets ne tiennent pas dessus. Et la peau blanche et nue est couverte de cicatrice. Des traits, des barres. Ça fait des croix, comme dans les cellules de prison, dans les films. Comme si elle se sentait prisonnière de son corps, et barrait chaque jour sa prison d'un coup de lame.

Voilà ce qu'elle verrait si elle se regardait dans le miroir.

Cette fois, elle tremble violemment, convulse presque. De grosses larmes roulent sur ses joues creusées, passent sur le bleu de ses immenses cernes. Mais elle n'en a toujours pas fini.

Elle retire son soutien-gorge. Au moment de détacher l'attache, elle peine, ses mains tremblent trop fort. Et quand les bretelles plates glissent sur ses épaules, puis ses bras, elle se dégoute.

Maintenant, ne reste que la culotte. Le pire, sans aucun doute. Rien qu'en effleurant ses hanches de ses doigts froids, c'est l'horreur. Elle ferme les yeux, elle ne veut pas. Pourquoi ? Pourquoi ?!

Et quand le tissu léger glisse sur ses cuisses, elle sursaute. Elle voudrait le garder. En fait, elle voudrait pouvoir toujours rester dans ses vêtements confortables. Les pulls épais et les jeans. Avec plusieurs couches. Pour cacher son corps hideux. Pour cacher des souvenirs qu'elle veut oublier.

Elle se retrouve nue, assise sur le tabouret. Elle peine à respirer, essaie de reprendre son souffle. Son cœur bat beaucoup trop vite, ce n'est pas bon.

Elle inspire, même si sa gorge tremble. Un peu plus de deux minutes pour se calmer et ensuite elle regardera l'immondice qui lui sert de prison.

Et quand elle relève le regard, elle pose sa main sur sa bouche. Elle veut hurler. Elle est affreuse, affreuse. Elle ne voit qu'à partir de ses hanches, mais elle sait qu'elle ne doit surtout pas regarder plus bas.

La vision de ses côtés saillantes, de ses bras mutilés, de sa peau bleuie, brûlée, griffée. Elle veut vomir. Elle court jusqu'aux WC, tremblante, en larmes.

Et elle rend tout ce qu'elle n'a pas avalé. Parce que là est le problème. Elle n'avale rien, mais rend quand même.

Elle se met une gifle ensuite. "Reprend toi bon sang !" lui hurle sa conscience. Mais bien sûr, ça ne marche pas. Et même si elle le voulait, elle est trop faible et fatiguée pour remonter la pente.

Elle tâtonne la poche de son jean, et tombe enfin sur l'éclat métallique qu'elle recherche tant. La boîte a outils de son père possède un cutter. Prendre une des lames était vraiment aisé.

Elle la prend. Son visage se reflette dans le métal. Elle a de grosses cernes sous les yeux, eux même rouges. Des larmes tracent un sillon sur sa peau tendue et elle est aussi pâle que la mort.

Puis elle appuie légèrement la lame sur son bras. Pas profondément, juste assez pour voir le rouge perler à la surface. Perler ? Goutter, couler plutôt.

Elle s'apaise alors. Elle respire, hypnotisée par les gouttes carmin qui viennent tomber dans le lavabo de porcelaine.

Depuis peu elle a commencé à tracer des lettres sur sa peau. La première qu'elle a gravé est un Y. Puis un S, un C, un J. Et aujourd'hui, elle ajoute un M. Mais sur l'autre bras. Sur l'autre bras, il y a un E, un A, un autre S et un N.

M, Comme Mal. Malédiction. Maladie. Malheur. Mort.

Cela dure peut être dix minutes. Où elle se taillade la peau et regarde le liquide couler, apaisée.

Ensuite, elle passe son bras sous l'eau claire. Lorsqu'elle glisse dans le siphon du lavabo, elle a pris une teinte rouge clair. C'est beau, à ses yeux. Elle nettoie doucement la lame. Désinfecte les plaies, et presse un mouchoir dessus, le temps que le saignement cesse.

Ensuite seulement, elle va sous la douche. Et elle maudit sa salle de bain. Le miroir fait face à la baignoire. Alors elle se tourne résolument vers le mur en lattes de bois, pour ne pas voir son corps.

Les larmes continuent de rouler sur ses joues tandis qu'elle se frotte avec énergie. Elle veut disparaître. Elle appuie, force sur la savonnette. Elle veut que son corps disparaisse. Elle veut que la crasse, la saleté dont elle se sent sale soit exterminée. Alors elle frotte avec acharnement. Sa peau est rougie mais elle s'en moque. Rien n'effacera jamais la saleté.

Elle sort de la baignoire, et s'habille le plus rapidement qu'elle peut. Son père vient cogner à la porte, fort.

"-ALORS C'EST PAS BIENTÔT FINI, CA FAIT TROIS QUART D'HEURE QUE T'ES LÀ DEDANS. ON AURA PLUS D'EAU CHAUDE AVEC TES CONNERIES."

Elle retient un sanglot.

-Je sors.

Elle a réussi à conserver une voix neutre. Mais au fond elle est terrifiée. Parce que demain, il faudra recommencer.

Alors elle range la lame, cache ses bras, essuie son visage. Et elle sort, neutre.

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~Recueil de poèmes~Où les histoires vivent. Découvrez maintenant