Chapitre 14 - 2017

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Mardi 5 septembre 2017.

Mathilde sortait du bus qu'elle prenait tous les matins pour aller au lycée depuis maintenant un an. Ce jour-là, elle allait rejoindre ses amies, devant le portail de l'établissement, pour se rendre toutes ensembles à leur rentrée scolaire en classe de première littéraire. 

Sur le chemin, elle repensait à son année de seconde. Elle avait fait sa première rentrée au lycée après une année de troisième qui fut la seule année agréable qu'elle avait pu avoir sur les quatre années de collège, notamment car elle avait enfin rencontré des gens bienveillants, mais aussi parce qu'elle avait accepté de s'ouvrir un peu. Lors de cette même année, elle avait arrêté son suivi psychiatrique après avoir conclu que ça lui était inutile comme elle n'arrivait pas à mettre de mots sur pourquoi elle allait mal.

Puis, elle était rentrée dans un lycée où seulement deux autres personnes de son collège allaient aussi. Et n'ayant pas choisi la même option qu'elles, Mathilde s'était retrouvée dans une classe où elle ne connaissait absolument personne, comme en quatrième. Mais c'était sans compter Abby qui lui avait adressé la parole à la minute où elle avait vu qu'elles attendaient devant le même panneau "2°3". Mathilde avait alors fait sa connaissance. Puis, presque en même temps, Leah, qui ne connaissait personne elle aussi, était venue s'intégrer au petit groupe. Et, un peu plus tard, lorsqu'elles s'étaient installés en classe, elles avaient fait la connaissance de Gabrielle après que Leah soit venue l'aborder. 

Cette année, malgré son petit groupe d'amis, elle s'était sentie toujours seule au fond et n'avait pas su comment faire pour faire partir ce sentiment. Et par dessus tout, ses idées noires, toujours présentes, faisaient qu'elle n'avait pas arrêté de se faire du mal physiquement.

Il lui suffisait parfois de plusieurs petites contrariétés accumulées pour que son moral baisse et que tout rejaillisse d'un coup. Elle appelait ça une "rechute". Lorsque Mathilde faisait des rechutes, elle avait l'impression de se vider à nouveau de toutes ses émotions et ses envies. A ce moment-là, l'auto-destruction était sa seule issue.

C'est comme ça qu'en fin de journée, un jour de février, après avoir pleuré en silence sans pouvoir se retenir en plein cours de russe, puis une demie-heure plus tard alors qu'elle patientait pour passer au self, elle avait commencé à comprendre qu'elle ne pouvait plus continuer comme ça. Une fois que son tour eût passé et qu'elle ait rempli son plateau, elle s'était assise aux côtés de ses amies qu'elle avait rejoins pour le repas. Mais, dès qu'elle fut installée devant son plateau, sans comprendre comment, ses nerfs étaient montés d'un coup.

Alors, sur une pulsion, Mathilde s'était levée avant de ranger son plateau et quitter le lycée. Elle préférait gérer sa colère seule et ne pas en faire pâtir ses amies qui n'avaient rien demandé. D'un pas rapide, et le volume de ses écouteurs augmenté, elle marchait sans itinéraire précis. C'est lorsqu'elle était montée sur la passerelle qui passait au-dessus des quais de la gare que son esprit lui avait glisser l'idée d'en finir. Alors Mathilde s'était arrêtée en plein milieu, hésitante, avant de secouer la tête et de réaliser qu'il y avait trop de gens autour et qu'elle n'avait pas assez de cran. 

Elle avait continué son chemin sur la même lancée puis s'était simplement assise sur un bloc en béton à l'entrée de la gare. Après avoir senti que ses nerfs se détendaient peu à peu, elle avait envoyé des messages à Calandra, avec qui elle s'était rapproché et qu'elle considérait maintenant comme sa meilleure amie, pour prendre les nouvelles du jour. Au bout de quelques dizaines de minutes Mathilde réalisa alors, après avoir reçu un message d'une de ses amies qui lui demandait où elle était, qu'il valait mieux qu'elle retourne au lycée avant d'être en retard à son cours.

Le soir, quand elle fut rentrée chez elle et une fois couchée sur son lit, elle avait réalisé que c'était la première fois qu'elle avait vraiment envisagé de se donner la mort. Mais les semaines passèrent et le même schéma, qui avait remplacé ce qu'elle se faisait subir physiquement, se répétait sans cesse. Dès qu'elle traversait la route, inconsciemment elle espérait qu'une voiture passe en vitesse en même temps. Elle s'endormait en faisant le souhait de ne plus se réveiller. Mathilde n'arrivait plus à penser une seule journée sans que l'idée de mourir se glisse dans son esprit.

Alors le 3 avril au soir, après une énième rechute, elle était descendue au sous-sol avant de se coucher et avait pris des médicaments que son papa et sa belle-mère gardaient dans un tiroir. Même si son papa avait refusé qu'elle soit sous traitement, de peur qu'elle y devienne dépendante et que les effets secondaires ne soient néfastes pour sa scolarité, Mathilde savait à peu près quels médicaments piocher dans le tiroir pour avoir une chance d'atteindre son objectif final. Elle n'était pas dupe et savait que tout n'avait pas été rose pour eux pendant les longues années où son papa, sa compagne à ses côtés, s'était battu pour avoir sa garde.

Après avoir fait son choix - deux types de médicaments dont elle était presque sûre de l'utilité et un type dont elle ignorait absolument les effets, elle était remontée dans sa chambre. Mathilde, après avoir fermé sa porte et attendu que ses parents s'endorment, ouvrit son tiroir de table de chevet où elle avait rangé la petite boîte et les deux plaquettes. Puis, elle avait préparé sa gourde avant d'en avaler une petite quantité de chaque, en pensant que cela serait sûrement suffisant pour qu'elle s'endorme sans se réveiller.

Mais en vain, le lendemain matin elle se fit réveillée par son papa qui l'avait presque secouée après avoir vu que ni son réveil, ni le fait de l'appeler plusieurs fois ne l'avaient fait réagir. Lorsque Mathilde ouvrit les yeux en comprenant qu'elle était toujours vivante, elle fixa le sol, honteuse d'avoir raté.

Quand elle s'était levée, Mathilde avait réalisée qu'elle sentait les effets des médicaments comme si elle venait de les ingérer. C'est lorsqu'elle marchait jusqu'au lycée qu'elle avait regretté de ne pas avoir avaler les plaquettes entières. Mais, au moins, avec la quantité qu'elle avait vraiment avalée, elle avait eu l'impression de flotter toute la journée jusqu'au début d'après-midi. Pour une fois, et depuis longtemps, elle avait passé une journée supportable sans que toutes les idées emmêlées de son esprit ne se bousculent. 

Et c'est après une énième remise en question, peu de temps après sa tentative qui avait échoué, que Mathilde réalisa qu'elle avait besoin d'aide. Et surtout, qu'il fallait qu'elle parle. Quitte à se forcer. Il était nécessaire qu'elle parle. Car elle ne pouvait pas continuer comme ça, elle en était consciente. 

Elle avait alors parlé à son papa et lui avait demander de reprendre rendez-vous avec le centre médico-pédopsychiatrique. Elle eût son premier rendez-vous le mois d'après où elle expliqua à l'infirmier-psy pourquoi elle avait demandé à reprendre le suivi et comment elle avait eu le déclic. Mathilde avait alors recommencé à se rendre une fois par semaine au centre. Et une fois par semaine elle parlait et se confiait. Cela faisait du bien à Mathilde de pouvoir parler du refus inconscient qu'elle avait de s'attacher aux autres ou encore de l'auto-destruction qui prenait trop souvent le dessus. Elle pleurait, parfois, mais elle savait et sentait que c'était la bonne chose à faire.

En arrivant devant le lycée, Mathilde repensa au rendez-vous qu'elle avait eu hier avec la psychiatre. Elle y était allée la tête reposée après avoir pour une fois profité des vacances d'été comme il se devait. Et, même si Mathilde ne sentait pas de courant passer avec sa nouvelle psychiatre, Dr Sophie, elle avait tout de même été contente de pouvoir dire qu'elle n'avait pas arrêté de bouger pendant deux mois. Après avoir pris le TGV seule et passé trois semaines chez Stéphanie, sa grande-sœur, elle était rentrée chez ses parents pour une ou deux journées à peine et était ensuite partie en colonie pour un voyage itinérant en Grèce. Là-bas, elle avait sociabilisé avec les gens de son âge. Et, malgré un épisode d'angoisse pendant qu'elle traversait, seule et un peu éloignée du groupe, une place bondée de monde, ce voyage lui avait permis de se sentir vivante et d'être contente de toujours l'être.

Mathilde et ses mauxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant