Chapitre 3

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Lentement, je voyais les esclaves partir. La jeune femme qui avait pris la parole contre le garde avait été réclamée par la laverie royale, ainsi elle évoluerait dans un monde exclusivement féminin et cette nouvelle me rendit heureux.

Je ne la connaissais pas trop mais c'était la seule femme de la cargaison et j'aurais refusé de la savoir promise à une vie de douleur, savoir qu'elle ne ferait pas qu'ouvrir les jambes face à un rustre me rassurait.

Petit à petit, ma colère et ma douleur passèrent au second plan, s'effaçant derrière la fatigue. J'étais épuisé de cette situation et plus les minutes passaient, plus je me sentais prêt à partir avec n'importe qui tant que celui-ci me laissait somnoler un peu.

Le garde veillait pourtant à ce que je me tienne droit, ne manquant pas d'assener un coup de badine sur les membres qui se relâchaient. Aucun répit ne me fut accordé et doucement, je me sentais glisser dans l'inconscience, mon esprit se détachant de la réalité. Je le sentais s'envoler haut, survolant les collines pour arriver dans le village où j'avais grandi. Et je m'apercevais, cumulant les heures d'entrainement, mordant la poussière, poussant des grognements à chaque fois que je manquais un coup. Je m'étais préparé toute ma vie pour cette destinée. Et j'étais là, assis comme un chien à attendre que quelqu'un daigne m'adresser un regard.

Je me vis apprendre à lire à la lueur de la bougie avec le savant du village. M'instruire aux côtés du palefrenier qui avait déjà visiter le royaume entier.

Je faisais partie des enfants blancs. Ceux dont les parents avaient péri durant l'ère sombre, lorsque le royaume voisin avait tenté de s'opposer à notre roi.

En ces temps là il venait d'accéder au trône. On le prenait pour un sobriquet, chose qu'il n'était pas.
La guerre avait été sanglante, elle avait ravagé les campagnes et tué les hommes par milliers.

Et elle était la raison de toute cette mascarade.

Peu à peu, la matinée touchait à sa fin. Le soleil était au zénith et la chaleur suffocante me laissait trempé  de sueur, la vision trouble. Il ne faisait aucun doute que je ressortirais de cette journée couvert de brûlures.

Lorsque les clochers de la ville annoncèrent l'heure du déjeuner, le garde nous fit nous abreuver. Nous n'étions plus nombreux.
Un riche investisseur s'étaient munis de plusieurs d'entre nous, désirant voyager dans le luxe qu'octroient les esclaves, et j'avais frémis à l'idée d'être choisi.
Il était hors de question que j'ai fait tout cela pour me retrouver à gratter le pont d'un navire, pelant des patates et portant des bagages pour le bon vouloir de ce maitre.

Les heures les plus chaudes de la journée furent un calvaire. Rares étaient ceux qui s'aventuraient dans les rues à cette heure-ci, préférant se remplir la panse dans une taverne ou trouver refuge sous la tente d'un des voyageurs venus vendre ses trésors mais nous étions tenus de ne pas changer de positions et l'attente et l'ennuie furent interminables. Je ne voyais plus la fin de ce calvaire, je ne sentais plus mes chevilles, je ne me sentais plus, je ne rêvais que d'eau fraiche et de repos.

Et alors que je sombrais dans mes pensées les plus désespérées, une voix s'adressa au garde.

-Côme ? Tu es enfin revenu ?

-Non, je ne suis qu'un mirage. Côme s'est perdu aux pieds des falaises d'Achera.

Cette réplique me fit sourire et je dus canaliser toute mon énergie pour résister à l'envie de me tourner vers le nouveau venu.

Il avait une voix douce, modulée, prononçant chaque syllabe avec attention. C'était un noble sans aucun doute.

Son rire cristallin résonna et je me laissai bercer par le son de sa voix.

-Ne plaisante pas avec ça, tu sais que je déteste lorsque tu t'absentes aussi longtemps.

-Et pourtant c'est le cas chaque année et ça continuera de l'être. Je fais partie de la brigade de récupération de tributs, je n'ai pas le choix.

Le ton du noble parut coupable alors qu'ils s'éloignaient et rapidement, je ne pus qu'entendre les chuchotements de leurs conversations. D'eux-mêmes, mes muscles se relaxèrent et je me laissai un peu aller, conscient de ma bêtise mais encore plus de mon épuisement.

Le soleil commençait lentement à décliner, entamant sa descente des cieux et les habitants d'Achera ressortaient des bâtisses, les paniers en osier à la main, prêts à reprendre joyeusement leurs achats.

-Un esclave doit savoir obéir et tenir une pause désagréable aussi longtemps que le désir son maitre.

La voix claqua aussi fort que la branche fine et je poussai un cri soudain en sentant sa morsure dans le bas de mon dos.

Aussitôt, je me tournai vers le fameux Côme les yeux rageurs alors que les siens se teintaient de malice.

-Si ton maître veut te voir pieds joins sur une poutre, un livre en équilibre sur le crâne, alors tu dois mettre tes états d'âmes de côté et te soumettre à sa volonté. Et retiens ceci : rien n'est plus important que ses désirs.

Je le fusillai du regard et repris la position en soupirant, conscient que c'était ce qu'on attendait de moi à présent. Il y a quelques jours, on me voulait fort et brave, à présent on me voulait soumis et docile. La vie pouvait parfois être ironique.

-Maintenant, tu vas te relever et je vais te conduire aux appartements de ton maitre.

L'incompréhension me fit rester immobile quelques secondes alors qu'il se plaçait devant moi. Il me souleva par la taille et me laissa prendre appui contre lui le temps que mes pieds se remettent de l'épreuve qu'ils venaient de subir.
Je m'attendais à de la colère ou de la tristesse mais rien de tout cela ne m'envahit.

-J'ai été acheté ? demandai-je presque timidement, ayant peur de la réponse.

-Tu as un maitre oui.

-Mais ... quand ?

Puis cela fit tilte.

-Le noble m'a acheté.

Le surnom donné à son ami fit ricaner le garde qui me laissa tenter quelques pas. Je grimaçais.
La douleur était encore sourde, endormie par les heures d'attentes, mais je la soupçonnai de se tapir dans l'ombre avant de m'assaillir lorsque je serais plus confiant.

-Oui. Il a accepté de te prendre sous son aile.

-Vous l'y avez contraint ? m'étonnai-je incrédule.

-Il a besoin de quelqu'un à ses côtés, et je sais que tu sauras le combler. Je l'ai deviné.

Ces mots sonnèrent étranges à mes oreilles.

-Dans ce cas, il n'était pas malin de me laisser en vente sur l'estrade. N'importe qui aurait pu décider de m'acquérir avant l'arrivée de votre ami.

-Tu n'étais pas en vente.

Il vit mon air interrogateur et poursuivit.

-La position de vente est celle que tiennent tes camarades.

Il me les montra du doigts.

-Debout, le dos droit, pieds joints et mains liées.

Je fus incroyablement lent et lorsque je réalisai enfin, nous nous éloignions vers le palais.

-Vous m'avez fait subir la vente alors que vous me saviez déjà vendu ? Mais vous n'avez pas arrêté de me faire la morale sur « ô combien il était important que je me tienne ». Vous vous moquiez de moi ?

-Non. Enfin un peu, avoua-t-il. Je voulais tester tes limites, voire si j'avais vu juste. Tu as une parfaite capacité à te remettre en question, tu es têtu mais je ne doute pas qu'à force de menaces, je vais réussir à te rendre désireux de bien faire. Et la vente est une expérience très enrichissante. Il était hors de question que tu en sois préservé.

Puis il mit sa main dans mon dos et me poussa à avancer, coupant court à la discussion et ne me laissant pas le temps de réaliser quoi que ce soit.

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