Chapitre 1

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Je ne savais pas ce qui me blessait le plus entre la morsure des menottes qui entaillaient cruellement mes poignets ou la position que je devais tenir dans cette charrette branlante et qui faisait trembler mes muscles endoloris.

Nous étions partis tôt ce matin, l'aube se levait à peine. Les villageois n'aimaient jamais assister au départ de ceux dont on ne parle pas. Ils tentaient d'oublier le plus vite possible ceux qui s'en allaient servir le roi.

A cette pensée, je crachais au sol de rage et une main brusque m'attrapa par les cheveux, relevant douloureusement mon crâne.

-Joue encore à ce petit jeu et je te fais courir derrière les chevaux, nu.

Nous nous défiâmes du regard et je finis par baisser les yeux à regret, sachant que s'il voulait me voir terminer le voyage sur une jambe en tenu de paysanne et chantant à tue-tête l'hymne du royaume, je n'aurais d'autres choix que d'obéir. Et ces derniers jours avaient été assez éprouvant pour que je ne m'inflige cela.

Ceci lui arracha un sourire en coin et après une dernière secousse, il relâcha mes mèches claires et se rassit contre le rebord de la charrette.

-Nous n'allons pas tarder à arriver, mais ne vous réjouissez pas trop vite. Lorsque nous atteindrons Achera, vous serez vendus et rares sont ceux qui se réjouissent de leur affectation.

-Je pensais que nous servirions le roi ?

La voix nasillarde venait de la seule femme du tribut, assise à ma droite. Je manquai de ricaner, conscient qu'il ne fallait pas taquiner notre geôlier. Il avait l'air d'être particulièrement irrité et je n'étais pas assez stupide pour le provoquer au risque de me faire humilier en public sous ses ordres.

Sa colère ne m'étonnait pas. Devenir garde du roi, rêver de conquêtes, d'or et de femmes et se retrouver à sillonner le pays afin de collecter les tributs durant des semaines. Avec son grade, il avait dû espérer mieux.

-Oh mais tu serviras le roi, ma jolie. Que tu laves le plancher que ses royaux souliers foulent, ou que tu te fasses ramoner par le boulanger qui lui fait son pain, tu sers le roi.

Il eut un sourire sordide et elle rougit violement. En tant que femme, être un tribut devait être bien effrayant.

Le pire qu'il puisse arriver à un homme était d'être relégué à un forgeron ou un palefrenier. Ces affectations étaient connus pour être pénibles. Il ne risquait pas de perde sa virginité dans les bras d'un gueux, on ne lui enlevait que sa dignité.

-Je ne vois pas en quoi servir un boulanger de cette manière est bénéfique au roi. Nous sommes envoyés à Achera pour renflouer les caisses du royaume, pas pour être avilie de la sorte, s'exclama un homme que je connaissais qui gigotait depuis un moment devant moi.

La position avait l'air de lui déplaire.

-Si j'en ai le désir, je peux t'avilir autant de fois que je le veux. Vous êtes sous mes ordres jusqu'à notre arrivée à la capitale.

Etrangement, ces joutes verbales calmaient l'irritation du garde. Il semblait même prendre grand plaisir à remettre à leur place la bande de villageois qu'on lui avait confié.

Le reste du trajet se fit dans le silence. Personne ne répliqua, préférant sûrement se préserver d'une humiliation cuisante, la première de notre vie de tribut.

Lorsque j'aperçus Achera se dresser sur notre chemin, je sentis un début d'angoisse poindre et la ravalai aussitôt, préférant la transformer en hargne. J'en aurais bien plus besoin les jours à venir.

Il était hors de question que je me laisse aller à la tristesse. Je préférais ne pas penser à la vie que j'avais perdu et me concentrer sur les épreuves à venir. Lorsque j'aurais été vendu et que je connaitrais tous les rouages de cette nouvelle vie, alors peut-être que je verserais deux larmes pour les proches que j'avais perdu, ils étaient peu nombreux, et les rêves que j'avais dû abandonner, eux en l'occurrence étaient gargantuesques.

La cité était bâtie au milieu de plaines verdoyantes, pas loin de falaises d'où, d'après les rumeurs qui courraient, on jetait les condamnés à mort.

Lorsque nous pénétrâmes dans l'enceinte de la cité, le cavalier qui menait notre charrette dû se frayer une place au milieu du peuple qui fourmillait.

Les tributs étaient récupérés durant les semaines de l'otium, au début du printemps. C'était des moments de fêtes où Achera toute entière se transformait en marché immense à ciel ouvert. Des artisans des quatre coins du royaume se précipitaient ici pour tenter de trouver un endroit où installer leur tente et vendre leurs produits et en contrepartie, les nobles y venaient pour trouver des objets d'exceptions.

Ce moment était donc le meilleur pour vendre les tributs prélevés dans chaque village.

Nous atteignîmes difficilement les portes du château où un étal surélevé nous attendait.

-Vous vous déshabillez, et vous montez sans faire d'histoire sur cette estrade, tonna fermement la voix du garde.

Je le regardais, abasourdi et eut un rire nerveux. Il attendait vraiment de moi que je me déshabille devant tout ce monde ? Que je le laisse aussi vite bafouer le peu de fierté qu'il me restait ?

Je le savais. Je savais que je serais considéré comme un moins que rien. Et on se moque de ce que pense un moins que rien.

Mais jusqu'ici, j'avais dû ravaler ma fureur, les laisser me manipuler comme un objet. Après avoir été tiré au sort, on avait évalué ma valeur les yeux froids sans une once de pitié ou d'empathie.

J'étais destiné à une vie de gloire et de fête. J'étais respecté pour ma carrure et mon adresse aux combats.

Il n'était pas dans ma nature de courber l'échine et je ne me laisserais pas faire.

Autour de moi, chacun semblait retenir ses larmes et se déshabiller lentement, comme s'ils avaient besoin de quelques minutes pour réaliser dans quoi ils s'embarquaient, de quoi serait faite leur vie à présent.

Je regardais au-dessus du garde, loin dans la foule, et pensai que si je courrais, maintenant, il leur serait impossible de me retrouver. L'attroupement était trop dense et les hommes qui nous étaient assigné bien trop peu habitués à l'action, j'avais mes chances.

Puis mon regard se baissa et tomba dans celui du garde, j'avisai son sourire moqueur et je compris vite qu'à défaut de ses compatriotes, lui était habitué aux tentatives de fraudes et qu'il ne me laisserait pas sortir de cette charrette si ce n'est nu, pieds et poings liés.

-Je ne te laisserais pas t'enfuir.

-Je ne me déshabillerais pas.

-Si tu vas le faire, ricana-t-il. Tu peux simplement décider de le faire seul ou de me voir te placer sur l'estrade et t'arracher ta tunique de la pointe de ma dague. Tes désirs seront mes ordres.

Un sourire en coin étira ses lèvres et je me crispais, serrant mes poings, rêvant de lui en envoyer un dans la face.

Il me regarda interrogateur, semblant jauger mes réactions et décida que je n'étais visiblement pas prêt à coopérer.

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