Cela faisait plusieurs mois déjà que j'avais intégré l'entourage de Mme Hildegarde. Je faisais doucement ma place et commençai à connaître les habitudes de chacun. C'est ainsi que je remarquai une certaine effervescence pointer parmi ceux qui travaillaient dans le hangar. On rangeait, dégageait, parlait fort. Du fond de sa chaufferie, Bjorn besognait d'arrache-pied alors qu'un froid polaire régnait dehors depuis des jours. Le contremaître, un certain Jorgen, me fit appeler, il me tendit un bloc notes rempli de colonnes et de chiffres. Mes connaissances rudimentaires en lecture et en calcul allaient m'être utiles aujourd'hui.
Jorgen semblait nerveux et inspectait les deux horloges qui étaient accrochées en haut du grand mur. Sous l'une était mentionné sobrement « Pôle » sous l'autre dont l'heure n'était pas identique « AET », les initiales d'Arc-en-Terre. J'observais son impatience avec amusement cependant je connaissais l'enjeu qu'allait être cette journée.
Je savais que la première grande livraison de l'année devait arriver et qu'elle allait passer par la double grande porte que je n'avais toujours vue que fermée. Je regardais chacun s'affairer autour de moi, certains retiraient même leur veste et retroussaient leurs manches.Une sirène stridente résonna et deux hommes actionnèrent plusieurs verrous. Les deux battants s'ouvrirent laissant pénétrer une lumière forte plongeant instantanément tout le hangar dans une clarté aveuglante. La main en visière, je m'approchais de l'endroit où tous les regards convergeaient alors qu'une chaleur étonnante m'enveloppa complètement. On aurait dit qu'on avait ouvert la porte d'un four gigantesque qui dégageait à présent des odeurs enivrantes sucrées et fleuries. Ensuite des bruits, qui m'étaient inconnus, me parvinrent alors qu'en plein contrejour de découvrais des silhouettes humaines poussant des charriots.
Le moment de la surprise passé, je me ressaisis, m'habituant peu à peu à cette chaleur et à ces odeurs. Je tournais le dos malgré moi à ces portes qui devenaient pour moi les portes d'un Paradis si proche et si tentant pour m'activer à ce qu'on m'avait chargé de faire, à savoir l'inventaire de la livraison.
Alors que je sinuais, carnet de notes en main, entre les charriots remplis d'agrumes appétissants et de fruits dorés au soleil, je sentis un regard se poser sur moi. Je ne compris pas d'où provenait cette impression étrange et gênante qui se réveilla en moi. Était-ce ces effluves ou cette fournaise qui affectaient mes perceptions? Je n'en aurais pas été surprise. Mais alors que je m'approchais du dernier charriot, je levais les yeux vers un des hommes qui étaient restés à côté.L'homme était grand, la carrure athlétique, la peau matte et dorée, les cheveux noirs et fournis comme une nuit sans étoiles et ses yeux brillaient d'un éclat malicieux. En aucun cas je n'avais autant observé un autre humain et scruté le moindre de ses trais aussi vite et sans détours. Nous restâmes l'un face à l'autre, silencieux, jusqu'à ce qu'il esquisse un sourire laissant deviner des dents immaculées. Mes joues se mirent à rougir pour la première fois démontant mon embarras soudain. Je fis un pas en arrière, détournais le regard et fis semblant de chercher quelque chose dans mes notes d'une main tremblante. Jamais je ne m'étais sentie aussi embarrassée et ridicule. Je le contournais, le nez plongé dans mes colonnes dont je n'arrivais pas à distinguer un seul chiffre.
VOUS LISEZ
Souvenirs d'une petite Nihiliste
FanfictionPetite fanfiction sur la jeunesse d'un des personnages de La Passe Miroir de Christelle Dabos. En stand by.