La boutique

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Je déambulais, perdue, dans les quartiers de la vraie Citacielle. Rien ne m'était familier, ni les odeurs, ni les visages, ni les maisons dans ces ruelles si étroites que la faible lueur de cette journée polaire de printemps ne parvenait à éclairer leurs pavés humides.

Je tenais fermement l'enveloppe que m'avait confié l'officier avant de terminer son service. Dessus une adresse à laquelle il me conseilla de me rendre. N'ayant rien à perdre, je m'étais résolue d'y aller. En cherchant le lieu indiqué, je pénétrai dans une rue commerçante plus éclairée que les autres et où les étals commençaient à sortir leurs marchandises. Là, un barbier, plus loin un vendeur de vins, alcools et spiritueux et ici un bijoutier. J'écarquillais les yeux comme si je visitais une arche lointaine. Tout était si neuf pour mon œil bleu azur, l'autre étant toujours bien caché par mes cheveux et ma capuche.

Je m'arrêtai devant une vitrine coquette, dont l'enseigne m'indiquait « Chez Madame Gudule poudres et onguents, Pour femmes exigeantes ».
J'y rentrai, peu sûre de moi. La dame d'un certain âge, le chignon rigoureusement peigné en hauteur, me jaugea de la tête au pied ce qui ne fit qu'accroitre mon inconfort.
- Que désirez-vous ? Me dit-elle méfiante.
- Je cherche de quoi teindre les cheveux.
- Je vois, c'est votre maîtresse qui vous envoie je présume? Quelle teinte?
Je ne la contredis pas.
- La plus sombre possible, s'il vous plait.
- Hum! Encore une de ces dames qui veut masquer ses cheveux blancs? Ricana la commerçante.
Je hochais la tête.
Elle me tendit un flacon étiqueté dont le contenu ressemblait à l'encre noir que mon oncle préparait lorsqu'il nous faisait apprendre l'écriture.
Lorsqu'elle m'annonça le coût, je fus saisie d'une angoisse. Jamais on ne parlait d'argent dans ma famille et je n'avais jamais eu besoin d'en posséder moi-même. Je fouillai mes poches à la recherche de quelque chose qui pourrait satisfaire la dame en face de moi qui commençait à perdre patience.
Dans la poche du tablier de la pauvre Patsie, je sentais la présence du monocle de mon frère, c'était à présent tout ce qu'il me restait de lui et donc ce qui m'était le plus précieux. Je ne pouvais m'en défaire. Je continuais à fouiller à présent les poches de mon manteau et découvris avec émotion qu'au fond d'une d'entre elles se trouvait mon bandeau. Ce fameux bandeau noir qui avait été la source de la cascade de problèmes lors de la fête mirage où j'avais été avec mes parents. J'avais dû le glisser là en rentrant de la désastreuse soirée et l'avoir oublié. Il ne devait avoir aucune valeur ici, contrairement à ce qu'il pouvait encore me rendre comme service.
- Hmmmm, on ne vous a pas donné de quoi régler la course on dirait?
Je regardai la commerçante, confuse.
- Ceci fera l'affaire, me dit-elle en me braquant un de ses doigts noueux en direction de mon cou.
Je glissai ma main et sentis mon pendentif que je portais en permanence depuis ma naissance. Il représentait un œil, signé de vérité, symbole de mon clan aujourd'hui disparu.
- Je le garde en gage, le temps que vos maîtres vous donnent de quoi me rembourser. Le cas échéant, je le garderais.
Faute de mieux je me résignai à m'en séparer.

Souvenirs d'une petite NihilisteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant