Le jeu est terminé

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Des bruits de pas et des voix provenant du rez-de-chaussée me sortirent de mes pensées. Là devant le miroir, plus de jolie robe en soie mais celle de soubrette. Le soir, la chambre et la partie de cache-cache terminée.

J'entrepris de retrouver mes petits frères. Je leur en voulais de n'avoir pas un peu plus persévéré pour me retrouver. Je me sentais un peu oubliée. Comme s'ils étaient passés à autre chose et qu'ils n'avaient plus pensé à moi, restée longtemps seule dans ce placard. J'entrouvris la porte de la première de leurs chambres. Elle était plongée dans le noir. J'entraperçus la silhouette de Jans allongée sur son lit non défait et celle de Thibault dans son lit cage. Je ne pouvais les réveiller sans éviter la colère de Père. Je refermai donc cette porte, en boudant car je ne pouvais exprimer la frustration que je commençais à ressentir. J'allais vérifier si les autres dormaient également quand mon ventre se mit à émettre des borborygmes affligeants. Je réalisais que j'ignorai quelle heure il était et depuis quand je n'avais pas mangé.

Je descendis à pas de loup en direction de la cuisine afin d'y chiper quelque chose à manger, évitant le salon où des bruits de pas étaient maintenant audibles. J'allumai tout doucement une lampe à l'huile et c'est là que je vis mon grand frère Yvan, assis à même le sol, sa tignasse de boucles blondes penchant fortement. Il avait dû encore faire le mur pour retrouver ses amis et avait dû abuser d'alcool ou d'autres choses. Je soupirai en levant les yeux au ciel. Si nos parents le découvraient là, dans cette situation, cela lui vaudrait une punition exemplaire. Et après l'événement de la fête il y a quelques mois, ce n'était vraiment pas le moment de réveiller une nouvelle fois le courroux de Père.

Je me mis accroupie à ses côtés, lui ôtai de sa main son monocle qu'il emportait toujours lors de ses virées. C'était lui qui les confectionnait, c'était très astucieux car cela lui permettait de visualiser la vérité sans la montrer aux autres. Je le glissai dans la poche unique du tablier de Patsie afin de libérer mes mains pour le réveiller et l'aider à se relever. Mais sa peau sous ma main me sembla froide. Je l'appelai par son nom, le secouai, mes deux mains empoignant son gilet. Il ne réagit pas. Son corps s'écroula un peu plus sur le carrelage de la cuisine, inerte.

Prise de panique, je voulus chercher de l'aide auprès des parents, de Nana ou d'un autre adulte de la maison. Yvan allait mal et il fallait qu'on vienne l'aider. J'entrai en trombe dans le salon,
la lampe vacillante à la main. Je trébuchai sur quelque chose de mou et l'enjambai maladroitement. Sous mes pieds crissait du verre. C'est là que je découvris les corps de mes parents allongés sur le sol, la lumière chaude du feu qui crépitait dans l'âtre contrastant avec leurs peaux devenues glaciales.

Tout ce qui arriva ensuite fut comme dans un rêve où l'on voit les choses sans les ressentir. Comme dans une bulle où tout vous semble flou et les sons diffus. J'étais à genoux auprès de mes parents. Plus loin, je remarquai le corps sans vie de la mère de Patsie qui avait probablement apporté un plateau de thé. Mille morceaux de porcelaine étaient éparpillés sur le sol. C'est elle que j'avais enjambé en entrant dans le salon.

Je perçus des bruits de bottes dans l'escalier et des voix indistinctes.
- Combien?
- Onze, Monsieur.
- Narcotiques ?
- Probablement.

Puis on me releva et je me laissai faire comme si je n'étais plus qu'un pantin aux yeux embués. Douze quoi? Je vis par l'embrasure de la porte deux hommes en uniforme portant une civière, de celle-ci pendait une main de petite fille habillée d'une robe bleue, Patsie.

Souvenirs d'une petite NihilisteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant