Le coffret

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Quelques mois plus tôt, je me tenais déjà là devant ce même miroir. Ma tante Juliana, que nous appelions affectueusement Nana depuis notre tendre enfance, venait de me confectionner la plus belle robe que je n'avais jamais eue. Elle était faite de soie bleue, agréable au toucher et Mère l'avait agrémentée de broderies fleuries. Je me sentais comme une princesse de conte de fées ou comme ces jolies personnes des magazines que Mère feuilletait parfois. Je virevoltai en riant. Le soir, Père et Mère m'emmenaient dans le monde des autres. J'allais enfin pouvoir observer tout ce que mon grand frère m'avait raconté sur les nobles, sur les magiciens, sur ces belles dames aux toilettes élégantes, et sur les palais aux décors majestueux.

Mère aspirait qu'en m'emmenant je m'y ferais des amis de mon âge. Père m'accablait de recommandations sur la manière de m'y tenir et sur les choses à ne surtout pas faire. Ôter cet horrible bandeau que Mère me mettait à présent sur un de mes yeux en faisait partie. Quelle idée épouvantable ! Comment pourrais-je apprécier toutes ces beautés si on m'empêchait d'utiliser mes deux yeux? Mes beaux yeux vairons, l'un couleur ciel d'été l'autre d'une nuit sans lune.

Puis je songeai au cadeau que m'avait offert en secret mon grand frère Yvan pour mes dix ans, une petite boîte de bois, vide. Devant mon visage désappointé, Yvan s'était mis à sourire et avait glissé une de ses grandes mains sur mon œil sombre, celui de la vérité. Alors ce fut comme de la magie, à la place de la simple petite boîte se tenait à présent un petit coffret serti de nacre, avec un loquet de laiton.
- Ouvre, m'a-t-il dit.
L'intérieur était capitonné de velours bleu et une douce mélodie s'y échappait.
Surprise et heureuse, j'avais applaudi des deux mains et m'étais retournée vers mon frère pour l'embrasser. À cet instant la musique s'était tue.
Je compris dès lors que cette jolie boîte n'était pleine de magie que si je la regardais de mon œil azur. Sur la paupière de l'autre, je portais le discret tatouage, comme tous les membres de ma famille, les membres de mon clan.

Mon clan tout entier était ma famille et nous vivions tous sous le même toit. Le petit manoir familial était situé en retrait de la grande cité. Il était simple, à deux étages et surtout à la propreté exemplaire. Mère était très attachée à cela. La décoration était sommaire et fonctionnelle. Tout objet le contenant était fait maison. Chacun y allait de ses propres facultés. Les adultes surtout. Pour Père c'était la menuiserie, il réparait les portes qui grinçaient ou faisait de nouveaux meubles quand cela était nécessaire. Mère brodait et reprisait. Yvan, se chargeait des machines qu'il réparait ou améliorait. L'oncle faisait l'école car Père refusait que ses enfants sortent de la demeure. Nana cousait tous nos vêtements et pestait lorsqu'elle remarquait à quelle vitesse je grandissais. Moi, qui n'étais alors plus tout à fait dans l'enfance ni encore une jeune fille, j'avais aussi parfois du mal avec ce corps qui changeait.

Pour aider notre famille nombreuse dans les taches quotidiennes, une autre famille vivait sous le même toit. Père n'aimait pas les appeler des domestiques et ceux-ci semblaient bien heureux de vivre avec nous. J'avais entendu plusieurs fois la mère de Patsie parler de son ancien travail avec peu de regrets.

Souvenirs d'une petite NihilisteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant