Cerise

- discernement en réfection -

Back To Black - Amy Winehouse

Une douleur sourde bat entre mes tempes. Mes articulations me font mal. Je dois être dans un sale état. Je devrais me préparer. Le week-end est fini. Je devrais filer dans la salle de bains, ou prendre mon petit déjeuner. La troisième année de médecine offre une certaine autonomie mais il faut que je sois prête pour ma formation. Je n'en ai aucune envie. Je ne veux plus me concentrer sur des choses futiles. Je devrais m'occuper d'abord de mon bien-être.

Je finis par me lever. L'appartement a l'air vide. Mon père doit être au travail, Andreo à la fac. Je jette un coup d'œil à l'horloge de la cuisine. Il est déjà dix heures. Pourquoi personne ne m'a réveillée ? Sur le plan de travail, mon mug préféré est sorti, à côté de deux pains au lait enveloppés dans un sachet. Message implicite de papa. Il pense à moi. Ils m'ont laissé dormir.

Je déjeune. Dans ma poitrine se creuse un trou béant, où s'accumule mes peines. Les tromperies de Mark, le manque de confiance en moi, la disparition de ma mère, l'abandon. Je pleure. Je ne peux m'en empêcher. J'ai l'impression de n'être qu'un pantin ridicule malmené par la vie. Je n'en peux plus. Ils réussissent tous à avancer, moi, je reste bloquée sur des souvenirs. On m'a trop souvent abandonnée. Je ne veux plus revivre tout ça. Je dois effacer Mark. Je ne peux plus me laisser piétiner. Il ne mérite pas de laisser des traces.

Je fais une rapide vaisselle avant de retourner dans ma chambre. Au passage, j'attrape mon téléphone. Liv m'a bombardée de messages. Je les lis en diagonale, mais sa sollicitude me touche. Mark va passer un sale moment. Mais je m'en fiche. Que la colère de sa cousine se déchaîne sur lui. Ce n'est pas vers moi qu'il pourra se tourner. Je me rends compte soudainement que j'ai laissé les clefs de son appartement sur la table de sa cuisine. Je n'ai pas fermé la porte en partant. Tant pis.

Entre tous ces messages, je remarque ceux de Keon.

« merci Mia, c'est gentil »

« j'ai quelques soirées de libre pour profiter avant de reprendre sérieusement les entraînements, ça te dirait qu'on se voie ? »

Je souris. Je me sens à l'aise avec lui. Je n'ai pas l'impression de marcher sur des œufs. Il me connaît. Ça fait du bien d'avoir de ses nouvelles. Comme une bouffée d'air frais au milieu de cette pression. Je lui réponds.

« qu'est-ce que tu dirais de demain soir ? »

"petite soirée tranquille, j'ai eu quelques mauvais jours"

Je souris de nouveau. Je repose mon téléphone sur mon bureau. J'inspecte ma chambre, désœuvrée. Je n'ai plus cours et je ne veux pas aller travailler à la bibliothèque universitaire. Il est hors de question que je croise Mark. Il n'a plus à s'expliquer. J'ai besoin de temps pour réfléchir. Je ne sais pas s'il est au courant de ma découverte, mais si ce n'est pas le cas, ça ne saurait tarder vu la réaction explosive de Liv. Je préfère ignorer tout ça pour le moment. Il aura ainsi tout le loisir de se réfugier dans les bras d'Emilie. Dans tous les cas, ce n'est plus mon affaire.

Je passe un doigt sur une étagère. La poussière s'accumule depuis mon dernier nettoyage d'été. Je m'attache les cheveux en un chignon. Je troque mon pyjama pour un vieux short qui baille et un tee-shirt d'Andreo délavé. Je commence à sortir tous les livres de leur étagère puis je vide ma penderie. Je pose tout en vrac sur un plaid que j'installe au sol. J'ouvre la fenêtre, éteins le chauffage et retire les draps de mon lit. Il est temps pour moi de faire un grand ménage.

Je soupire. Chaque placard, chaque étagère est nettoyée. J'ai passé l'aspirateur dans tous les recoins, rangé tous mes trésors et livres à leur place et mis des draps propres. Il ne me reste plus qu'à faire un tri dans mes vêtements. Soudain, j'entends la porte d'entrée claquer. Je sors de ma chambre. J'aperçois Ada et Andreo qui enlèvent leurs chaussures. Des sacs en papier sont posés au sol. Une délicieuse odeur de poulet envahit l'air.