Chapitre 1 : Rencontre

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     Dans une ruelle étroite, sur le pas de la porte d'une maison de pierres blanches et de tuiles bleues, deux femmes discutaient :

          - Niënor ma chérie, ta visite m'a fait plaisir mais si tu traînes trop tu arriveras en retard à ton travail !

          - Agénor tu es plus qu'une nourrice pour moi. Je ne sais ce que je ferais sans tes précieux conseils. Je promets de revenir te voir rapidement !

Puis déposant un baiser sur les cheveux blancs de son ancienne gouvernante, la jeune femme disparut pour se fondre dans la foule massée, par cette belle journée estivale, dans la rue principale de Rodorio.

Courant pour ne pas être en retard, la demoiselle ne vit pas les deux hommes qui traversaient la rue et les bouscula avant de se retrouver le nez dans la poussière. Le feu aux joues, se fustigeant intérieurement pour son étourderie et son manque de respect face à une des règles de sécurité primordiales quand on traverse une route, elle reprit une position plus digne en s'agenouillant sur les pavés brûlants.

          - Vous n'avez rien ? demanda l'une des deux personnes avec qui elle venait d'entrer en collision.

Niënor releva la tête pour se retrouver face à son interlocuteur dont les yeux d'un bleu magnifique s'accordaient parfaitement avec la chevelure bouclée qui lui encadrait le visage.

              - ...

          - Mademoiselle ?

          - Ou... Oui tout va bien. Merci. Je suis vraiment désolée de vous avoir poussé, je ne regardais pas où j'allais.

          - Vous êtes toute pardonnée ! répondit l'inconnu dans un sourire.

Le cœur de Niënor manqua un battement avant de s'emballer. La jeune femme se leva avec peine et poursuivit son chemin. Milo regarda s'éloigner la fine silhouette, perdu dans ses pensées, un sourire aux lèvres.

          - Si elle te plaît à ce point invite-la à dîner !

Le scorpion se retourna, revenant brusquement à la réalité.

          - Très drôle Camus et puis qu'est-ce qui te fait dire qu'elle me plaît ?

          - Vu la manière dont tu la dévorais des yeux ce n'est pas difficile à comprendre. Quant à l'inviter à dîner,  j'étais sérieux.

          - J'ignore son nom. Comment la retrouverais-je ?

          - Ça, mon ami,  je te fais confiance pour résoudre l'énigme. En attendant rentrons au Sanctuaire, il se fait tard.

      Quand elle arriva à l'échoppe d'apothicaire tenue par sa voisine Andromaque, elle avait dix minutes de retard. La demoiselle répondit au regard désapprobateur de sa patronne par un sourire penaud avant d'enfiler rapidement son tablier et de se mettre à la préparation des différentes décoctions dont on avait fait commande. Cependant elle ne put se concentrer correctement sur son travail: sa rencontre involontaire avec cet homme, dont elle ignorait tout, lui revenait sans cesse à l'esprit. Ce regard magnifique qu'il avait posé sur elle avait fait naître au creux de sa poitrine une étrange sensation de plénitude. Une petite voix au fond de son être lui criait que ce regard n'avait pas fini de la hanter.

Rêvassant plus que de raison, Niënor dut recommencer plusieurs de ses remèdes. Elle se confondit en excuses face à une Andromaque en colère qui lui donna son après-midi pour se reprendre car si son travail devait se poursuivre de cette déplorable manière, il lui faudrait se trouver un autre job. Jurant que ça n'arriverait plus la demoiselle, toujours sur son petit nuage, rentra chez elle en faisant un détour par le bord de mer. Étendue sur le sable, elle tenta de calmer les battements de son cœur qui s'emballait à chaque fois qu'elle pensait à cet homme mystérieux. La soirée était déjà bien avancée quand elle se décida à rejoindre son appartement.

                                                                                             ***

      La nuit avait étendu ses ombres sur la route des douze maisons. Seul le doux chant des cigales et autres grillons venait troubler le calme et la sérénité vespérale. Dans le Domaine Sacré, tous dormaient profondément. Tous sauf le gardien de la huitième maison qui, sur le parvis de son temple, observait les étoiles, revivant en pensée sa rencontre avec la mystérieuse inconnue.

Comme toujours Camus avait lu en lui aussi facilement que dans un livre ouvert. Cette fille lui plaisait indéniablement et il ne pouvait nier le trouble qui s'était insinué en lui lorsque leurs regards s'étaient croisés. À l'évocation de ce souvenir, Milo sentit son estomac se contracter et son cœur battre plus vite.

           -Est-ce donc cela tomber amoureux ? Murmura-t-il pour lui-même.

A cette pensée il ne put s'empêcher de frissonner. Il secoua la tête comme un chien qui aurait pris un bain et tenta de chasser cette idée de son esprit puis il s'étira, décidant qu'il était grand temps pour lui d'aller se coucher. La nuit porte conseil disent les anciens et le jeune homme espérait que le vieil adage contenait une part de vérité.

Au même moment, non loin de là, une jeune femme accoudée à sa fenêtre admirait elle aussi le ciel étoilé. Perdue dans ses pensées, elle ne vit pas l'ombre silencieuse s'approcher d'elle. Soudain, d'un bond leste, le jeune chat monta sur les genoux de sa maîtresse, la faisant sursauter.

          - Lomion tu m'as fait peur ! Murmura la demoiselle en lui grattant les oreilles.

Le dénommé Lomion lui répondit en ronronnant tout en pétrissant de contentement la robe et les cuisses sur lesquelles il venait de se rouler en boule.

          - A toi mon fidèle compagnon je peux raconter ce qui m'est arrivé, je sais que ça restera notre secret.

Le félin ouvrit ses grands yeux cuivrés et observa sa jeune maîtresse,prêt à recevoir ses confidences.

         - Aujourd'hui j'ai failli renverser quelqu'un dans la rue, un jeune homme assez mignon pour faire pâlir de jalousie Apollon lui-même. Et ses yeux, tu aurais dû voir ses yeux, pareils à deux océans dans lesquels je me noierais volontiers. Je crois que je suis amoureuse ! dit-elle un sourire aux lèvres, mais celui-ci s'effaça bien vite. Le problème est que je ne sais rien de lui, pas même son nom. Comment peut-on aimer une personne que l'on ne connaît pas ?

Le chat cligna des yeux avant de bâiller et de s'étirer mollement.Niënor rit.

          - Je vois que mes problèmes te passionnent, allez, va, je suis certaine que la chasse aux souris t'intéressera davantage.

Le chat passa par la fenêtre ouverte et disparut dans la nuit.

          - Mieux vaut que j'aille dormir maintenant. De toute façon je n'ai aucune raison d'espérer le revoir. À l'heure qu'il est, il doit déjà m'avoir oubliée.


L'amour du scorpion d'orOù les histoires vivent. Découvrez maintenant