II - L'auberge (Clarok)

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Se cacher.

Un verbe aussi vaste que réducteur. On pouvait autant se cacher de soi-même, que des autres. Se mentir, se voiler la face ; ou encore dissimuler et se tapir dans l'ombre. Alors que certains préféraient ne rien montrer d'eux-mêmes, Clarok se cachait derrière de faux-sentiments.

C'était son masque ponctué de fausses couleurs. Sa manière d'essayer de se dérober à elle-même.

Au moment qu'elle jugeait opportun elle souriait alors que des larmes menaçaient de tomber, et déclarait la pitié alors que le dégoût la surmenait. Clarok était une manipulatrice. Une personne voulant obtenir ce qu'elle voulait. Pas la meilleure ni la pire. De ses doigts fins, elle tentait de tirer les ficelles de sa vie. La peur de son environnement hostile l'avait changée en cette sombre personne.

Son don la menait à sa perte, elle tentait juste d'avoir un avenir meilleur.

Une atmosphère âpre polluait l'air de ce petit village perdu aux flancs des montagnes. La peur se ressentait dans tous les regards et tous les échanges. Elle suintait dans les moindres recoins et ruelles. Pas un bruit dans les champs, le pépiement joyeux des oiseaux s'estompait, les nuages devenaient lourds : il semblait qu'une aura de désastre s'emparait de la joie des environs.

Il y avait une nouvelle victime des Mercenaires du sang.

Un jeune métamorphe, ayant à peine ses dix-sept printemps.

Son sang envolé vers des fioles crasseuses.

Clarok ressentait cette agitation. Percutante, tranchante, et poignante au fond de son être. Un étau de problèmes l'enveloppait de sa frayeur. La talentueuse le savait, le danger rôdait autour d'elle. Ce n'était qu'une question de temps : la victime des Mercenaires avait été retrouvée près du village.

Ce piège invisible commençait à l'étouffer de ses griffes fourbes.

Depuis des siècles et des siècles, ses semblables se retrouvaient au cœur d'un trafic sanguinaire qui consistait à en arracher leur sang. On les dépouillait de leur essence vitale. On les menait à une mort certaine.

Assise sur un tabouret du bar de l'auberge Clarok ne pouvait s'empêcher de fermer ses yeux. Une manière de repousser ses problèmes, les rendre moins réels. Réfléchir sans frontière. Un sentiment de solitude qu'elle affectionnait tout particulièrement.

Son esprit dépassé par les évènements, repassait les dernières nouvelles. A chaque fois la panique montait un peu plus. Son effroi grandissait. Et les légers tremblements de ses mains devenaient difficiles à contrôler. Elle n'arrivait même plus à faire semblant. Ses différents masques semblaient ne plus vouloir revenir.

Habiter dans un endroit reculé de tout, n'était même pas suffisant pour se garder en sécurité ... Clarok était désemparée.

Son impuissance la rongeait. La jeune femme ne pourrait rien faire contre eux. Ils étaient plus forts qu'elle.

Le bruit sourd des pas du propriétaire la rappela dans son présent. Et ses yeux s'ouvrirent.

Toujours avec son dos arrondi et ses mains rugueuses, tel un arbre centenaire ; cet homme d'un certain âge n'avait pas de descendance : sa femme enceinte avait été emportée dans un excès de fièvre il y avait cela bien des années.

Le vieil homme s'appuya contre le comptoir à quelques mètres de Clarok. Il se servait une pinte de bière avant que la talentueuse ne prit la parole :

"Ce soir, c'est mon dernier service, c'est plus prudent.

- C'est à cause de la nouvelle ? demanda-t-il de sa voix grave desséchée par le temps tel un sol effrité par les intempéries.

Shadow Dreams  -  I . la vague de sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant