Leur premier rendez-vous fut fixé au parc municipal. Des allées, des arbres, un étang, des canards, des poules, des paons, un bac à sable, un kiosque, de gros gardiens fâchés tout rouges contre les chiens agresseurs de volatiles, les promeneurs quotidiens, les pensionnés dans leur cahute jouant aux cartes.
Gaëlle s'était assise sur un banc près du sable face à l'étang. Elle regardait les pigeons gloutons et les cygnes pervers. Des enfants creusaient le sable, d'autres s'en recouvraient ; une petite fille tentant d'en faire un pâté. Elle n'y arrivait pas. Sur un autre banc, un homme lisait et levait les yeux de temps en temps vers elle. Son papa ?
Gaëlle aussi avait pris de quoi lire. Elle ne l'avait pas encore sorti de son petit sac à dos. Elle avait retiré son gilet bordeaux. Un soleil de février étonnait par sa chaleur. Mais bizarrement, en regardant le ciel, on ne le voyait pas bien, une nuée le noircissait. Comme une pluie de sable dorée qui restait en suspens et qui ne se décidait pas à tomber. En rentrant, elle devrait épousseter son chemisier blanc aux manches courtes et bouffantes. Dans ses cheveux blonds, cette poudre ne se voyait pas.
Son premier rendez-vous depuis longtemps pensait-elle. Ce matin, en se levant, son cœur battait fort en y pensant. Elle se prépara en une très lente hâte. Ses gestes se voulaient rapides, décidés, prestes mais une langueur la freinait, la nouait.
Ils ne devaient se voir que l'après-midi. Elle ne mangea rien. Sa mère s'étonna. « Tu es malade, comme ça ? » lui demanda-t-elle avec cette phrase et ce ton qui entre elles voulaient dire autre chose. Ce ton et cette phrase qu'elles avaient eu l'habitude de prendre pour se demander l'une l'autre, lorsqu'il y avait du monde, si elles étaient réglées, elles l'employaient maintenant toujours même seules. Une pudeur assénée par la mère de Gaëlle dès ses premières serviettes achetées en grandes surfaces et qui maintenant devenait pour Gaëlle une gêne, un embarras même en l'absence de toute personne. Elle ne voulait plus que sa mère s'en inquiète, s'en mêle. Elle travaillait, elle faisait ses courses elle-même et s'occupait de la lessive. Bientôt elle partirait, elle prendrait un appartement. Pour l'instant, ce n'était pas encore le cas et devait accepter ces intrusions dans sa vie intime. Mais à part ça, sa mère ne savait rien de ses sentiments et n'avait jamais rien su de ses expériences. Gaëlle voulut toujours les garder secrètes pour que sa mère n'allât pas lui détruire ces morceaux de vie qu'elle partageait ailleurs qu'à la maison. Chose que la mère n'aurait pu comprendre ni moins encore accepter. Elle ne sut jamais non plus que sa fille prenait la pilule depuis ses dix-sept ans ; qu'elle connut quelques garçons à l'école et puis quelques hommes au boulot. Elle ne sut jamais non plus qu'un jour le cycle de sa fille s'arrêta et qu'elle dut rencontrer un conseiller psychologique qui respectait certes sa décision mais qui était là pour lui faire connaître toutes les possibilités qui existaient pour l'enfant à venir.
Elle ne sut jamais que sa fille n'aimait pas cet homme, -elle l'avait désiré, oui-, qu'elle ne voulait pas faire sa vie avec lui et moins encore en avoir un enfant.
Elle ne sut jamais non plus que sa fille prit une semaine de congé, non pour partir à Amsterdam, comme elle le lui assura, -"il y avait même un couple qui m'a demandé de les prendre en photo avec leur appareil; ils avaient un bébé" soupira-t-elle; "la fille, bien mais lui, petit et gros, pas du tout mon genre" ajouta-t-elle en forçant son rire; "et en plus, il a plu tout le temps"; elle eut ainsi moins de mal à justifier son absence de bronzage -, mais pour aller à la clinique privée et discrète, prendre une chambre d'hôtel dans la périphérie et se reposer quelques jours.
Elle ne sut jamais non plus que sa fille eut très mal, eut une hémorragie et que sa vie fut indécise pendant ces quelques jours.
Tout ça sa mère ne le sut jamais et ne le saura jamais.
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La tentation du silence
General FictionSi ce jour-là, Frank avait décidé de ne pas ouvrir la porte, il n'aurait pas gagné le merveilleux voyage offert par Mégastar, la nouvelle émission qui cartonnait depuis quelques semaines. Il n'aurait connu ni le frisson du vol, du direct, du désert...